Commercialisation
« Une volatilité accrue des cours est certaine » affirme P. Chotteau de l´Institut de l´élevage
Commercialisation
L´ouverture du marché européen aux viandes importées est un des points cruciaux des discussions qui se déroulent à l´OMC. Philippe Chotteau, de l´Institut de l´élevage, nous explique ce que serait « un accord supportable » pour le secteur.
Pourquoi la baisse des droits de douane sur les découpes d´aloyaux et de globes(1) risque de déséquilibrer l´ensemble du marché européen ?
Philippe Chotteau - La baisse des droits de douane sur les découpes sera une aubaine pour les importateurs européens comme pour les exportateurs du Mercosur. C´est au niveau des marchés de gros des pays importateurs, dont sont au premier plan l´Allemagne et les Pays-Bas, que se jouera l´arbitrage du marché. Une étude sur trois ans nous a permis de montrer que les cours des découpes d´aloyaux et de globes importés du Mercosur sont bel et bien connectés à ceux produits en Europe, malgré des niveaux de prix différents sur ces marchés de gros. En cas de très forte baisse des droits de douane comme le proposent le G-20 - les pays émergents emmenés par le Brésil - et les USA, les conséquences à la baisse sur les cours des aloyaux européens sont quasi-certaines. Or ces morceaux sont le coeur du marché : leur prix dirige les cours de la viande bovine.
Certes aujourd´hui, le marché est segmenté. Les aloyaux importés du Mercosur restent cantonnés au marché de la restauration parce que leur mode de conditionnement (« chilled ») ne facilite pas leur vente en GMS. Mais avec l´OMC, on se place à moyen et à long terme, et à cette échéance, il ne faut pas compter sur cette barrière technologique pour limiter les débouchés. Une meilleure maitrîse du « chilled », voire la fabrication d´UVC sous atmosphère contrôlée au Mercosur semble très envisageable et pourrait ouvrir les portes des GMS européennes.
Que peut-on attendre du classement de certaines catégories de produits en « produit sensible » ou de la « clause de sauvegarde spéciale » ?
P. C. - La « clause de sauvegarde spéciale » est plutôt symbolique car très difficile techniquement à faire fonctionner telle qu´elle est pour l´instant. Il faudrait en renégocier les règles, or il n´est même pas sûr qu´elle soit maintenue car très peu de pays la défendent.
Il est par contre très probable qu´au moins les viandes désossées - voire peut-être aussi d´autres types de produits - soient classés par l´UE « produit sensible ». Pour ces produits, les droits de douanes seront baissés de façon moins forte que pour les autres, et en contrepartie des contingents (volumes qu´il est permis d´importer à droits très réduits) supplémentaires seront ouverts. Les modalités ne sont pas encore négociées(2). Il est sûr alors que les importations progresseraient, mais dans des volumes négociés et de façon progressive. Par rapport à une baisse générale des droits de douanes, l´effet serait de stabiliser les prix à l´import.
On voit les conséquences de l´épidémie de fièvre aphteuse au Brésil sur le marché européen. Les normes techniques, sanitaires, réglementaires, nous protègent-elles ?
P. C. - L´épée de Damoclès de la fièvre aphteuse pèsera encore très longtemps sur le Brésil, en interdisant les exportations de viandes non désossées et d´animaux vivants. Pour ces derniers, les directives européennes sur le bien-être laissent difficilement envisager des transports transatlantiques. Par contre les autres mesures européennes jouent moins sur le marché des découpes réfrigérées : la Commission européenne est beaucoup moins drastique sur l´identification du bétail en Amérique du Sud qu´en Europe, par exemple.
Le Brésil exporte déjà dans une centaine de pays et trouve chez chacun les meilleures opportunités de marché. L´UE restera le marché le plus rémunérateur du monde pour les pièces d´aloyaux, même si une demande pour ces produits haut de gamme peut émerger à moyen terme en Chine ou en Russie.
Des effets de calendrier pourraient-ils être favorables à la filière européenne ?
P. C. - Avant 2010, le risque de déstabilisation du marché est faible. Si jamais un accord est trouvé cette année, il entrera en application au plus tôt à partir de 2008 et de façon progressive. Cela nous amène à une application totale au plus tôt en 2 014. Néanmoins, il faut aussi tabler sur une suppression totale des restitutions pour les bovins, aujourd´hui proposée par l´UE. Ceci augmentera les disponibilités européennes et laissera d´autant moins de place pour des importations supplémentaires.
(1) ici au sens « Hilton », aloyau = filet, faux-filet, coeur de rumsteack et noix d´entrecôte et globe = tende de tranche, tranche grasse et semelle.
(2) entretien réalisé le 23 juin 2006.