Tester le croisement Angus pour la production de bœufs bio
Pas facile de produire des bœufs bio à fois jeunes et suffisamment finis avec les races françaises. Utiliser les races d’origine britannique réputées plus précoces pour leur aptitude à déposer du gras intramusculaire est parfois envisagé. Un essai a démarré à Thorigné d’Anjou afin d’avoir des références sur cette pratique.
Pas facile de produire des bœufs bio à fois jeunes et suffisamment finis avec les races françaises. Utiliser les races d’origine britannique réputées plus précoces pour leur aptitude à déposer du gras intramusculaire est parfois envisagé. Un essai a démarré à Thorigné d’Anjou afin d’avoir des références sur cette pratique.
Produire avec un cheptel allaitant des bœufs à la fois jeunes et suffisamment finis. Telle est la problématique de bon nombre d’éleveurs bio qui, sans s’engager dans la voie du veau sous la mère ou du veau rosé, souhaitent pouvoir accroître la proportion de mâles nés puis engraissés sur leurs exploitations afin d’éviter d’avoir à commercialiser des broutards dans la filière maigre conventionnelle. En bio, la production de taurillon est difficile à envisager si on entend produire des animaux suffisamment finis. En effet, le cahier des charges de l’agriculture biologique stipule que la part des concentrés dans la ration ne doit pas excéder 40 % de la matière sèche journalière. Et de plus, compte tenu du coût d’achat des tourteaux et du prix auquel il est possible de commercialiser des céréales bio, il y a certainement mieux à faire que d’avoir recours aux rations riches et très concentrées qu’exigent ce type d’animaux pour arriver à obtenir de bonnes croissances et des carcasses suffisamment finies avec des objectifs d’âge d’abattage classiquement compris entre 14 et 18 mois.
Le bœuf est un passage obligé
Si en bio on veut engraisser davantage de mâles, le bœuf est donc un passage obligé. Mais les finir presque exclusivement à l’herbe demande une longue capitalisation sur pied avec le plus souvent la nécessité d’attendre trois ans révolus avant de pouvoir les faire abattre dans un état d’embonpoint suffisant avec également une certaine saisonnalité pour les mises en marché liée à une finition intégrant un maximum d’herbe pâturée. Finir des bœufs en bio, c’est d’abord une bonne croissance sous la mère puis une bonne gestion du pâturage et accorder une grande importance à la qualité des fourrages récoltés en insistant sur la précocité des dates de fauches. Mais si on entend rajeunir l’âge d’abattage en visant 30 mois, voire moins, la ration de finition devient malgré tout coûteuse. Même pour des bœufs disposant de très bons fourrages, elle comporte forcément une proportion non négligeable de céréales et de concentrés. Des itinéraires techniques qui deviennent vite coûteux en agriculture biologique.
Accroissement du format et du potentiel de croissance
Cette problématique serait accentuée par les actuelles caractéristiques des principales races à viande française. Leurs objectifs de sélection ont été — au moins à une époque — largement orientés vers l’accroissement du format et du potentiel de croissance de façon à pouvoir produire en un minimum de temps des broutards de 350 à 450 kg vif ou des taurillons de 400 à 450 kg de carcasse destinés à l’exportation tout en produisant des vaches de réformes finies atteignant elles aussi des poids conséquents. Ces objectifs ont été parfaitement atteints. Mais ces animaux de grand gabarit sont également plus exigeants pour leur alimentation, surtout en finition. Pour déposer suffisamment de gras, ils doivent disposer de rations conséquentes à forte concentration énergétique, incluant une part importante de concentrés et de céréales. La question de la génétique qu’il conviendrait d’utiliser en bio revient donc régulièrement dans les discussions. Le fait de gagner en précocité devrait logiquement permettre d’aller vers des animaux pouvant être engraissés à la fois plus jeunes et plus rapidement avec forcément des concessions à faire sur le volet du poids de carcasse. Mais cela constitue une possibilité si cette volonté de finir davantage de mâles s’accompagne du choix de maintenir à quelque chose près le même nombre de vêlages donc sans accroître de façon conséquente les surfaces en herbe, les places de bâtiments et les stocks de fourrages à réserver aux lots de bœufs.
Améliorer la précocité des cheptels bio
D’où l’idée de procéder à des croisements avec des races d’origine britanniques, principalement Angus et Hereford, pour apporter cette précocité qui fait défaut aux races françaises. Cette stratégie déjà initiée çà et là par certains éleveurs dans leurs exploitations a mis du temps avant d’être envisagée dans des fermes expérimentales. À Thorigné d’Anjou en Maine-et-Loire, la production de bœufs bio concerne jusqu’à présent exclusivement des animaux limousins nés sur la ferme. Nés en début d’automne ou en début de printemps, les bœufs de Thorigné sont en moyenne abattus à un peu plus de 31 mois pour des poids de carcasse approchant les 500 kg. Les différentes séries abattues ces dernières années ont également démontré qu’il était difficile de descendre sous le seuil des 32 mois si on entendait pouvoir disposer de carcasses correctement finies.
Dans cette ferme expérimentale, le cheptel est dans le haut de la fourchette pour le poids et le format des animaux comparativement à ce qui est classiquement observé en France pour la race Limousine, surtout avec un cheptel conduit en bio depuis de nombreuses années. Si on analyse l’évolution des poids carcasses pour les 356 vaches de réformes finies issues de ce cheptel, abattues entre 2000 et 2016, la progression a été de pratiquement 50 kg en 15 ans avec une moyenne de 447 kg pour les trois années 2013, 2014 et 2015. Cette progression du poids de carcasse se traduit aussi par un allongement de la durée de finition. Certes le produit brut augmente compte tenu de la progression du poids de carcasse mais les besoins en céréales et concentrés font de même.
Autre donnée à prendre en compte dans cette réflexion sur le rajeunissement des bœufs produits : les carcasses de plus de 450 kg ne sont pas forcément toujours faciles à commercialiser. « Dans l’ensemble, les consommateurs 'bio' ne sont pas de gros mangeurs de viande bovine. Il convient d’être en mesure de leur proposer des morceaux de taille raisonnables. À cela s’ajoute la problématique du prix qui devient très lourde dans l’acte d’achat pour des morceaux de viande de taille importante », souligne Julien Fortin, responsable technique de cette ferme.
Format modéré, trapu et très profond
Sur cette ferme, le cheptel Limousin totalise 70 vêlages par an répartis en deux périodes strictement définies : du 20 août au 1er novembre puis du 1er mars au 30 avril. Le croisement avec de l’Angus a été initié au cours de l’hiver 2018 avec quelques inséminations sur des génisses limousines en vêlage deux ans. Elles se sont soldées par la naissance de deux premiers veaux croisés à l’automne 2019. Cette expérimentation a surtout pris de l’ampleur au printemps 2019 avec l’achat d’un taureau Angus, lequel est désormais utilisé deux fois par an en fin de printemps puis en fin d’automne sur toutes les génisses qui sur la ferme vêlent pour la première fois à 2 ans. « À côté de la recherche de cette notion de précocité, il y avait aussi en parallèle l’idée de réduire le gabarit. Avec l’Angus il est possible de faire d’une pierre deux coups. » Le taureau utilisé à Thorigné est né en France mais de souches écossaises. « Côté morphologie, il est d’un format modéré, trapu, pas très épais mais très profond. Côté aptitudes, il est très facile à maintenir en état », souligne Julien Fortin. Désormais adulte, il pèse autour de 875 kg. Ses premiers veaux sont nés ce printemps. Mâles et femelles confondus, ils pesaient une moyenne de 37 kg à la naissance avec des vêlages à 2 ans qui ont eu lieu sans difficultés particulières.
Tous les croisés seront abattus
Pas question en revanche de faire évoluer le troupeau limousin de cette ferme expérimentale vers du croisement d’absorption. Ce recours au croisement concernera les seules génisses. Les vaches resteront conduites en race pure. « C’est du croisement terminal. Mâles comme femelles, tous les croisé(e) s seront abattus. » Les mâles seront castrés au sevrage simultanément aux purs limousins. L’objectif sera ensuite de faire abattre bouvillons et génisses croisés autour de 24 mois en visant des poids de carcasse idéalement compris entre 350 à 400 kg. Né ce printemps, le premier lot de croisés ne sera donc abattu qu’au printemps 2022. Un des objectifs est également d’analyser si les génisses mettront de l’état plus rapidement que les bouvillons. Le volet économique sera évidemment pris en compte. Mais dans un premier temps cette expérimentation vise à engranger des références sur les itinéraires techniques qu’il est possible d’envisager avec ce type d’animaux. « En principe, ils devraient déposer du gras plus rapidement, mais tout dépendra aussi s’ils ont hérité davantage de leur père ou de leur mère pour cette aptitude. Le scénario idéal correspondrait à l’obtention d’animaux plus précoce permettant de limiter la part des concentrés dans les rations, de faciliter la finition tout en produisant des carcasses de format plus modestes que nos actuels bœufs limousins. » Restera à analyser la pertinence économique de cet itinéraire technique novateur. Le temps de présence écourté des animaux et des rations moins riches donc moins onéreuses permettront-elles de compenser un poids de carcasse moins important avec également certaines interrogations pour le prix auquel ces animaux pourront être valoriser. Autant de questions auxquelles ce travail vise à apporter des réponses.
Un croisement parfois mal vécu
Dans la mesure où la France est le berceau de plusieurs races à viande de renom, le fait d’avoir recours à une race d’origine britannique dont les grandes caractéristiques et aptitudes sont assez différentes des principales races françaises n’est pas forcément toujours analysé avec bonheur, surtout dans le milieu des sélectionneurs limousins. Certains y voient une remise en cause de la génétique française et l’analysent même comme un péril pour cette dernière dans la mesure où cela remet aussi pour partie en question le travail de sélection réalisé depuis des années. « L’objectif n’est absolument pas de faire du croisement d’absorption, rappelle Julien Fortin. On veut se donner les moyens de travailler sur cette notion de précocité, or il n’existe pas d’indicateur sur cette notion avec nos races françaises. » D’où cette décision d’aller chercher une génétique pour laquelle il y a certaines garanties sur l’aptitude à déposer du gras intramusculaire. Une fois ce message expliqué aux éleveurs le message passe beaucoup mieux et il est même bien perçu. Le rôle d’une ferme expérimentale est justement d’expérimenter !