Reprogrammation moteur des machines agricoles - Atouts et limites
Qui ne serait pas tenté de faire gagner quelques chevaux à son tracteur pour augmenter le débit de chantier et réduire la consommation ? La reprogrammation moteur séduit, mais n’est pas à prendre à la légère.
Avant, il y avait le coup de tournevis. Maintenant, il y a la valise. Depuis la démocratisation des injections électroniques, booster les performances de son tracteur, de sa moissonneuse-batteuse ou de sa machine à vendanger passe par des spécialistes et par la reprogrammation moteur. Pour un montant avoisinant les 1 000 euros, bon nombre d’agriculteurs et de viticulteurs sont tentés de faire appel à ces prestataires spécialisés pour gonfler les performances de leur engin agricole et bénéficier de la puissance et du couple des modèles supérieurs, quelques milliers d’euros plus chers à l’achat. « Les deux autres raisons le plus souvent invoquées par nos clients sont le passage à un outil un peu plus large ou un peu plus gourmand en puissance, l’agriculteur se rendant compte que son tracteur devient un peu trop juste, ou le souhait de réduire la consommation », explique David Coupez, de la société Fochesato Agri.
Attention à la gonflette excessive
Aussi, dans le monde des reprogrammeurs, il est important de distinguer les bonnes et les mauvaises pratiques. « Ce matin, on m’a appelé pour reprogrammer un tracteur de 70 chevaux et le booster à 110 chevaux, la puissance maximale correspondant à cette gamme de tracteurs : j’ai refusé, cite pour exemple Carl Cartillier, gérant de Sport System, qui, au travers de ses partenaires (programmeurs itinérants et concessionnaires formés), réalise plus de 3 000 reprogrammations d’engins agricoles chaque année. Il explique : « Lorsque nous faisons une reprogrammation, nous tenons compte des caractéristiques générales du tracteur ou de l’automoteur, des éléments périphériques au moteur, comme le capteur de température ou la transmission. Si cette dernière n’autorise pas un couple de plus de 500 Nm, il n’est pas envisageable de dépasser cette valeur. » David Coupez confirme : « Pour chaque puissance, on a des injecteurs spécifiques avec des plages d’utilisation de +/- 10-15 %. Au-delà de ces valeurs, il faut s’attendre à des problèmes au niveau de l’injection. »
Tous les acteurs de la reprogrammation ne prennent pas ces précautions. Sur les réseaux sociaux, des agriculteurs ou des prestataires postent régulièrement des augmentations de puissances importantes. Par exemple, un tracteur quatre cylindres de 130 chevaux boosté à plus de 200 chevaux… à la prise de force. Soit plus que la puissance maximale du modèle le plus puissant de la gamme. Le résultat économique n’est pas toujours au rendez-vous, car la consommation de carburant est souvent à la hausse. « Quand on augmente trop la puissance, on dégrade la combustion », explique David Coupez. Mais la conséquence la plus dommageable, c’est qu’à court ou moyen terme, il faut s’attendre à une panne. Ce que confirme Antoine Brissart, responsable produits Fendt : « Les reprogrammations soft, on n’en entend pas parler. Mais les grosses augmentations de puissance se terminent par des casses, avec de belles factures à la fin. »
Les reprogrammeurs moins scrupuleux « shuntent » également les systèmes de dépollution (filtre à particules, catalyseur à l’AdBlue). « C’est légalement interdit, avertit Carl Cartillier. Et ceux qui le pratiquent 'shuntent' également tous les codes défaut, pas seulement ceux qui paralyseraient l’utilisation du moteur sans dépollution. » Ce sont d’autres diagnostics préventifs d’éventuelles grosses pannes futures, dont l’agriculteur n’aura pas connaissance.
Garantie, homologation, antipollution et assurance remises en questions
Les conséquences des reprogrammations ne sont pas anodines non plus d’un point de vue réglementaire. « Lorsqu’on détecte en atelier qu’une reprogrammation a été effectuée, les éventuelles garanties sautent automatiquement, quel que soit le constructeur, prévient Antoine Brissart, qui émet des doutes quant au maintien de la conformité des normes antipollution. Souvent, la reprogrammation est effectuée, car le tracteur manque de nervosité. L’injection est bridée lors de ces phases d’accélération, car c’est justement au cours de celles-ci que les normes antipollution sont les plus délicates à tenir. En redonnant du 'peps' au tracteur à bas régime, je ne suis pas sûr que l’on continue à respecter les seuils de NOx et de particules. » Le responsable produits Fendt met aussi en garde par rapport à l’homologation routière de l’engin modifié. « Sur la carte grise, figure une puissance maximale », explique-t-il. Directeur des affaires réglementaires à l’Axema, le syndicat des constructeurs de machines agricoles, Guillaume Bocquet confirme : « Si l’on dépasse cette valeur, il faut refaire une réception à titre individuelle pour pouvoir continuer à circuler sur la route. »
En cas d’incident, les assurances se montrent de plus en plus vigilantes quant à ces modifications, surtout quand des tiers (stagiaire, salarié, autre usager de la route, etc.) sont impliqués. « Parfois, les reprogrammations sont difficiles à détecter, reconnaît Antoine Brissart. Mais les dernières générations d’injecteurs sont de plus en plus inviolables, ce qui impose l’apposition d’un boîtier extérieur. Et ça se voit. »