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En cours de rapprochement vers l'Union européenne
La Géorgie, marché en devenir pour la génétique française

Encore très marqué par la chute de l’ex-URSS, l’élevage géorgien se structure, et avec lui la demande en génétique laitière et allaitante. La petite république pourrait devenir un marché pour l’exportation d’animaux et de matériel génétique.

Connue des passionnés pour ses lutteurs et ses rugbymen, la Géorgie est un pays de terroirs et d’élevage. Elle compte près d’un million de bovins pour moins de quatre millions d’habitants, mais reste dépendante des importations pour satisfaire une demande croissante en viande bovine émanant des classes les plus jeunes de la population. Ce pays du Caucase partage des frontières avec la Russie au Nord et la Turquie au Sud. Des voisins imposants et ambitieux qui poussent la petite république vers l’Union européenne pour assurer son indépendance à long terme. Un accord entre l’UE et la Géorgie est d’ailleurs en vigueur depuis 2016.

Dans ce contexte et sous l’impulsion d’un club d’entreprises(1) mené par Jacques-Pierre Devillard, éleveur sélectionneur Charolais en Saône-et-Loire, France génétique élevage (FGE) a conduit une mission d’expertise du potentiel de production de viande bovine en Géorgie. Cette étude, mise en œuvre par le Bureau de coopération technique internationale (BCTI), et financée par la Direction générale du Trésor (France) s’est déroulée sur place avec le soutien du ministère de l’Agriculture local, et a fait intervenir l’Institut de l’élevage, Allice et la chambre d’agriculture de Mayenne.

Une ex-république agricole de l’URSS

Terre native de Staline, la Géorgie a conservé dans la région, depuis l’époque soviétique, l’image d’un pays à l’agriculture de qualité. La planification communiste y avait industrialisé la production millénaire de vin (les Géorgiens se revendiquent inventeurs de la vinification) et développé de nombreux élevages de grandes tailles, laitiers mais également avicoles et porcins. Ces ateliers sont aujourd’hui généralement abandonnés ou sous-exploités, même s’il existe quelques exemples de modernisations réussies. La majorité des élevages bovins sont de petite taille. Organisés autour d’une cellule familiale, ils comptent de deux à dix travailleurs. Mais il existe également un profil « agromanager ». L’élevage est alors une des cartes détenues par le chef d’entreprise. On retrouve dans ce cas des systèmes de plus grandes dimensions avec de la diversification : agriculture et pisciculture, élevage et entreprise de travaux… Les élevages modernisés détiennent moins de 5 % des animaux mais utilisent des races laitières européennes (Prim’holstein, Simmental…), conduites en bâtiment toute l’année avec ration mélangée à base de foin, luzerne, ensilage de maïs et céréales.

Dans les petits élevages, les systèmes d’alimentation reposent sur un pâturage continu en zone de plaine, complété l’hiver par des fourrages : foin, ensilage de maïs fréquemment associé à des cannes de maïs séchées. Dans l’ensemble, les surfaces en herbe sont surpâturées et laissées sans repos hivernal. La production de ces prairies est donc fortement pénalisée et les cheptels souvent sous-alimentés. Les poids vifs des bovins adultes n’excèdent guère 200 à 300 kg pour 100 à 150 kg de carcasses. Ces animaux sont issus de différents croisements, avec pour base les anciennes races soviétiques.

Un marché déficitaire en viande bovine

Toutes viandes confondues, la consommation par habitant est croissante : sur 2006-2016, elle a progressé d’environ 1 kg par an, passant de 27 à 37 kg. Cette progression est due à la hausse de la consommation de porc et de poulet. La consommation de viande bovine suit une tendance inverse. Depuis 2006, elle est passée de 9,5 à 7,5 kg par personne par an. Ceci s’explique par la concurrence entre viandes : en 2016, le prix moyen du kilo de bœuf était, selon l’institut d’économie de Tbilissi, de 12,5 GEL/kg(2) soit 5,20 €, deux fois le prix du poulet (6,5 GEL/kg). Ces tarifs traduisent aussi l’insuffisance de l’offre. La viande bovine fait défaut en Géorgie et son prix croît bien plus rapidement que celui des viandes d’autres espèces. De plus, seuls 25 % des consommateurs considèrent le bœuf géorgien de bonne ou très bonne qualité.

Entre cette hausse des prix et la faible qualité des viandes produites localement, la filière géorgienne doit réagir, sous peine de voir les importations de viandes bovines se développer. Elles représentaient en 2017 environ 20 % de la consommation nationale. Ces importations proviennent principalement d’Allemagne, d’Ukraine et de Russie. Il s’agit de produits d’entrée de gamme destinés au segment de la transformation qui, en plus d’être très attentive aux prix, a besoin de produits gras, difficiles à trouver sur le marché national. Le marché de la viande fraîche reste pour le moment protégé des importations par la vigilance du consommateur sur l’origine, mais un écart de prix grandissant pourrait avoir raison à court terme de cette préférence.

Des races rustiques françaises en croisement sur les races locales

L’étude conduite par FGE montre que l’augmentation des tonnages abattus en Géorgie doit avant tout passer par une hausse des poids carcasse. Cela nécessite des changements radicaux dans les pratiques d’élevage et d’engraissement. Déjà, autour de Tbilissi, des changements s’opèrent via de nombreuses exploitations récentes qui développent l’engraissement sec à base de céréales et foin, avec des résultats parfois surprenants. Ces élevages hors sol achètent l’intégralité de l’alimentation et finissent des animaux maigres et jeunes achetés sur des marchés régionaux. Ils trouvent une rentabilité grâce au prix relativement élevés des animaux finis dans le contexte géorgien. Ils étaient vendus en 2017 entre 5 et 6 GEL/kg vifs, soit environ 2 €.

Efficace dans le contexte péri-urbain actuel, ce mode de finition n’est toutefois pas préconisé pour l’ensemble du pays. Il semble que des marges de progrès soient possibles via une meilleure gestion des prairies et de la production fourragère, en luttant contre le surpâturage, qui demeure un véritable problème. Promouvoir de meilleures pratiques d’élevage et diffuser en parallèle de la génétique française parmi les naisseurs de maigre, éleveurs laitiers ou mixtes dans leur immense majorité, permettrait d’améliorer les performances d’engraissement et les poids carcasses. Dans un premier temps, les races rustiques françaises seraient probablement les mieux adaptées pour une utilisation en croisement sur les cheptels locaux.

Enfin, dans un contexte de montée en gamme de la demande, le marché géorgien du bœuf manque cruellement de segmentation. L’expertise française pour la mise en avant des signes de qualité pourrait aider la filière géorgienne à répondre aux attentes des nouveaux consommateurs. Dans les points de vente, l’origine géorgienne de la viande est mise en avant, mais la découpe des carcasses demeure sommaire et la maturation totalement absente. En dehors de quelques magasins de luxe dérogataires, elle est même interdite. La viande doit être vendues dans les 72 heures suivant l’abattage. 

(1) Remorques Rolland, Cosnet matériel élevage, Clinique vétérinaire de Charolles, Coopérative Feder, Axereale élevage, Kuhn, Races ovines des Massifs, Intergenes SAS, herd book Salers, Groupe Gascon, Élevage Devillard, Interlim, herd book Charolais, La Buvette SAS.(2) GEL : Lari géorgien, la monnaie locale.

Un marché très peu segmenté

Le consommateur géorgien voit la viande bovine comme un ingrédient avec différents niveaux de qualité. La notion de découpe est très différente de l’approche française. Ceci s’explique par la cuisine traditionnelle, qui utilise le bœuf sous forme hachée dans les plats préparés et sous forme d’émincés cuisinés en sauce ou en cubes grillés. Le plus populaire des plats préparés à base de bœuf est le Khinkali, sorte de ravioli géant consommé avec les doigts. Le marché est fortement impacté par la législation qui impose la vente de la viande bovine fraîche dans les 72 heures suivant l’abattage.

Compte tenu de cette contrainte, les animaux abattus jeunes - avant 2 ans - sont commercialisés en carcasses découpées directement devant le client. Les animaux plus âgés sont orientés dans le circuit du haché, qui représenterait de 40 à 60 % de la consommation.

Une demande en mutation

Dans la société géorgienne, une nouvelle classe moyenne émerge avec des jeunes citadins. Depuis la chute de l’URSS, ils développent l’économie dans un contexte très libéral, avec un certain succès. Malgré un ralentissement récent, le PIB par habitant a crû de 12 % par an depuis 2004. Ces jeunes urbains ont un pouvoir d’achat et une ouverture sur le monde supérieurs à leurs ainés.

Alors que les consommateurs de plus de 40 ans se focalisent sur des viandes non désossées, la demande des plus jeunes s’occidentalise, avec une place plus importante accordée aux viandes désossées et hachées. Par ailleurs, certaines grandes chaines internationales de fast-food s’implantent dans les villes (McDonald’s, KFC, Wendys…).

La population demande une viande produite en Géorgie, mais elle est trés critique vis-à-vis de la qualité de la viande issue des élevages locaux. Interrogés à ce sujet, seuls 25 % des consommateurs géorgiens ont déclaré trouver la viande disponible sur le marché « bonne » ou « excellente ». Ce taux chute à 20 % chez les moins de 40 ans.

Finition à l’attache chez M. Kevlishvili

Monsieur Kevlishvili est un éleveur d’une quarantaine d’année. Son exploitation se situe dans la région de la Kakhéti, à l’Est de la Géorgie. Son système de production présente un profil assez atypique pour la Géorgie, au sens où il engraisse à l’attache des animaux à partir des produits de son exploitation. Il exploite 145 ha dont 80 ha en location annuelle, sur lesquels il produit 70 ha de maïs grain (80-90 qtx/ha), 40 ha de blé (20-30 q/ha), 30 ha d’orge (20-30 q/ha) et 5 ha de luzerne fauchée trois fois par an. Une grande partie de ses céréales sont stockées puis vendues au détail, alors que la luzerne est entièrement consommée par les animaux et complétée par de la paille quand cela est nécessaire. Monsieur Kevlishvili travaille sur l’exploitation avec son père et un ouvrier, il emploie des saisonniers pour les pics de travail (récoltes, transhumances…).

L’élevage dispose d’un bâtiment entravé de 60 places dans lequel trois vaches laitières côtoient les animaux d’engraissement. Ces derniers sont rentrés en octobre, à la fin de la saison d’estive. L’éleveur possède 35 vaches allaitantes qui passent l’été en estive à plus de 100 km du siège de l’exploitation dans la région de Samtskhe-Javakheti et l’hiver dans les plateaux kakhétiens à la frontière de l’Azerbaïdjan. Il engraisse leurs produits et achète en complément des mâles d’un poids vifs compris entre 100 et 300 kg, mais également une dizaine de femelle. Une large gamme de poids ne lui pose pas de problème car il a besoin de différentes catégories d’animaux finis pour ses différents clients. « Les animaux gagnent, pendant l’engraissement, environ 100 kg de poids vif, avec une ration composée de 5 kg de foin de luzerne et 3 à 5 kg de mélange fermier : blé (45 %), orge (30 %), maïs (25 %), explique cet éleveur. Je les vends en mai car cette période correspond au creux des disponibilités en animaux finis. » En avril 2017, les animaux avaient été acheté 5 GEL/kg vif (soit 2,10 €/kg au taux de change à cette date) et l’éleveur escomptait les revendre 11 GEL/kg de carcasse (4,60 €/kg). « Je possède également environ 2 500 brebis conduites en estive comme les vaches allaitantes. Elles ne passent jamais par le siège de l’exploitation et les agneaux sont exportés vers l’Azerbaïdjan et les pays du golfe. »

Une ferme laitière en système intensif

Monsieur Ejibashvili dirige une exploitation de 120 laitières aux portes de Tbilissi. Il s’agit d’une exploitation créée en 2008 à l’aide de fonds de développement suisses et danois. « J’ai construit et équipé mon exploitation sur le modèle de fermes visitées en Europe. » Ses 120 laitières sont des Holstein importées de Hongrie. Elles sont toute l’année dans une stabulation à logettes sur sable, avec racleurs automatiques et ventilateurs. Elles sont nourries avec une ration complète à base l’ensilage de maïs, et inséminées avec des doses de taureaux holstein européens. Les veaux mâles sont depuis peu finis en JB selon le modèle européen.

Cette absence de pâturage est une constante dans ces systèmes laitiers intensifiés. Et ceci, malgré la tradition pastorale de la Géorgie et de grandes surfaces de prairies autour des exploitations. Pour ces éleveurs suivis par des consultants étrangers, le pâturage est analysé comme trop compliqué à conduire, du fait du morcellement des parcelles et de l’absence de clôtures. De plus, le savoir-faire en termes de gestion des prairies et de maitrise du pâturage fait clairement défaut. Enfin, faire pâturer des animaux importés de haute valeur serait les exposer aux animaux géorgiens porteurs de maladies.

Ces fermes d’investisseurs, calquées à 100 % sur le modèle européen, témoignent de l’absence de modèle agricole et de la pauvreté de l’amont des filières élevages. Monsieur Ejibashvili est conseillé par un consultant indépendant venu d’Ukraine. L’ensemble de son matériel d’élevage est importé d’Europe et, faute de constructeurs compétents, il a dessiné et monté la structure de son bâtiment d’élevage lui-même.

Une situation sanitaire explosive

Côté sanitaire, la Géorgie fait face à des problématiques majeures. La NFA (National Food Agency), agence en charge de la sécurité alimentaire, gère des plans de prophylaxie nationaux pour une longue liste de maladies, incluant la fièvre aphteuse, la rage, l’anthrax, la brucellose, la tuberculose, la variole des petits ruminants, la dermatose nodulaire contagieuse bovine…

Pour ces maladies, l’État finance des programmes de vaccination des bovins. Elles font également l’objet de mesures de dépistage associant laboratoires vétérinaires et de médecine humaine, mais également analyses post-mortem en abattoir et renforcement de la traçabilité. Aucune politique d’indemnisation des animaux abattus n’existe pour les propriétaires. À signaler également la difficulté à mettre en place des contrôles sanitaires. La pratique quasi « culturelle » de la transhumance et les divagations d’animaux sont un facteur aggravant pour la diffusion de ces maladies.

Un manque de biodiversité

L’élevage d’herbivores et les surfaces en herbe associées garantissent la conservation de nombreux habitats comme la haie, les arbres épars et les bosquets, favorables au maintien de la biodiversité des espèces. En revanche, l’érosion de la biodiversité dans les quelques bassins de production de céréales est bien réelle. Vestige de la période soviétique, cette « simplification » des paysages et le recours massif aux pesticides ont conduit à des paysages en « openfield » où les oiseaux et les pollinisateurs sauvages se font bien rares… Enfin, la prédation sur les troupeaux (loup et ours) est un frein au développement de l’élevage au pâturage. Concernant la protection des ressources en eau des risques de pollution nitrique, aucune réglementation prescrivant des règles techniques n’est à ce jour arrêtée.

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