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Le prix de la viande dégringole en ferme mais pas en rayon

Après avoir tenu le choc en début de confinement, le prix des gros bovins de boucherie s’est nettement érodé depuis début avril. La demande accrue en viande hachée et non tranchée n’est pas étrangère à ces évolutions.

graph ventes de haché en avril 2020

Si on s’en tient aux cotations France Agrimer, le prix moyen pondéré des gros bovins de boucherie entrée abattoir était de 3,49 euros/kg de carcasse au cours de la semaine 14, première semaine d’avril. Un chiffre en recul de 0,02 euro par rapport à la précédente. Cette érosion concerne toutes les catégories et plus particulièrement les JB et laitières de réforme. Si on s’en tient aux seules cotations France Agrimer, les vaches bien conformées semblaient moins concernées par ces évolutions que les laitières, mais les chiffres de France Agrimer ne sont pas forcément représentatifs des tarifs réellement pratiqués en ferme.

« Pour couvrir mes coûts de production, je devrais vendre mes animaux 4,90 euros le kilo de carcasse lorsqu’ils quittent mon exploitation. Avant la crise du Covid-19 je les vendais 3,50 euros le kilo, soit un manque à gagner de 670 euros par animal, ce qui est déjà énorme. Depuis les mesures de confinement, les prix grâce à cette formidable solidarité au sein de notre filière ont encore baissé de 30 centimes soit une rémunération à 3,20 euros et un manque à gagner de 816 euros par animal… », explique François Garrivier, éleveur de Charolaises dans la Loire.

Pas de concours d’animaux de boucherie

L’annulation des concours d’animaux de boucherie qui ont habituellement lieu les semaines précédant Pâques a été lourde de conséquence pour la valorisation des bovins qui auraient dû être amenés sur ces manifestations. Si on s’en tient aux chiffres 2019, quelque 5 000 têtes sont présentées pour les concours de printemps. L’émulation entre acheteurs et « l’effet plaques » favorise l’obtention de tarifs en moyenne supérieurs à ce qui est obtenu en ferme.

Les animaux très lourds semblent avoir été plus particulièrement pénalisés dans la mesure où leurs débouchés demeurent étroits côté volume. Le nombre de boucheries et de rayons à la coupe de grandes surfaces qui ont à la fois le débit, la clientèle et le savoir-faire pour écouler ces carcasses de plus de 500 kg est loin d’être extensible. Il est même plutôt en diminution. Qui plus est, le confinement a pénalisé la consommation de certains morceaux (rôtis, côtes de bœuf…) dont les achats sont clairement favorisés lorsque les convives sont nombreux autour de la table ou du barbecue. Les magasins ont au contraire dû proposer des pièces plus petites, adaptées à un confinement qui interdit les grands repas de famille.

Une partie des boucheries de détail ont momentanément fermé boutique. « Cette éventualité est disparate sur le plan géographique. D’après une enquête de la CFBCT, cette situation serait plus fréquente dans les grands centres urbains », explique Philippe Chotteau, responsable du département économie de l’Institut de l’élevage. Idem pour les rayons à la coupe des supers et hypermarchés où sont essentiellement écoulées des carcasses issues de cheptels allaitants.

Steak haché plébiscité

Le produit phare du printemps 2020 a clairement été le steak haché. Il sort grand gagnant de ces longues semaines de confinement au cours desquelles une partie de la viande bovine habituellement consommée en restauration hors foyer, l’a été à domicile. La progression des achats de viandes hachées fraîches (voir graphique) ou congelées a été spectaculaire à compter de mi-mars. « En ce qui concerne les viandes hachées (toutes espèces), l’indicateur IRI sur ces mêmes semaines 9 à 14 donne une augmentation de 24 % des achats en frais et de 60 % en surgelé. » Entre les devoirs des enfants à la maison, le télétravail, le peu de temps disponible pour la préparation des repas, le steak haché avec son côté pratique et son tarif modéré a été plébiscité. La progression soudaine du début de confinement s’est rapidement atténuée, en raison du « syndrome du congélateur plein » qui voit le volume des achats se réduire après une période de stockage.

Les gammes proposées en grandes surfaces ont été simplifiées et recentrées autour de produits standard. Deux raisons à cela : « le manque de personnel et la volonté de faciliter et d’accélérer la circulation des clients dans les rayons », souligne Philippe Chotteau.

Cette progression des tonnages de hachés en GMS et boucheries ne devrait pas compenser la baisse des tonnages écoulés en restauration hors foyer. « En 2019, les importations de viande bovine ont totalisé 22 % de la consommation française. Mais tant que les données des douanes ne sont pas disponibles, il est impossible de savoir dans quelle proportion la hausse des ventes en GMS et boucherie a compensé le très fort recul de la RHF », précise Philippe Chotteau.

Il semblerait toutefois que la consommation de viande bovine en France au cours des premières semaines d’avril ait été inférieure à ce qui est habituellement constaté à cette période de l’année. « Le déséquilibre dans la valorisation des carcasses s’est aggravé. Le piécé a connu une baisse brutale, sous un triple effet : -1- la fermeture des réseaux de restauration commerciale traditionnellement consommateurs de morceaux nobles, -2- la fermeture des rayons traditionnels, notamment en hypermarché, qui permettaient de valoriser les races allaitantes, -3- le besoin de réassurance des consommateurs qui les incitent à des achats vers les rayons libre-service et les produits préemballés », expliquait Culture viande, le syndicat des industries de l’abattage-découpe dans un communiqué. Cette situation se traduirait par la nécessité de congeler certains muscles habituellement destinés à être vendus tranchés et à orienter vers le hachoir une plus forte proportion des muscles d’une même carcasse. Et d’indiquer également que l’arrêt de l’activité dans les industries de l’automobile, de l’ameublement et de la maroquinerie a fait dégringoler le prix des peaux.

Début avril, les disponibilités en animaux étaient de ce fait largement suffisantes. Mais entre un prix de la viande qui dégringole en ferme mais pas en rayon, la tentation est grande de soupçonner abatteurs et/ou distributeurs de profiter de l’occasion pour conforter leurs marges.

Écœurement des éleveurs

« Alors que la consommation de viandes bovines se tient, alors que les Français veulent continuer à acheter nos produits, le prix payé aux éleveurs reste beaucoup trop bas pour nous permettre de vivre de notre métier », explique dans un communiqué Christian Bajard, éleveur en Saône-et-Loire et coordonnateur du Berceau des races à viande du Massif central. Et de dénoncer « l’attitude irresponsable » des acteurs de l’aval. « Sans garanties d’un prix rémunérateur pour nos animaux, nous sommes dans l’obligation de les conserver sur nos exploitations… Nous sommes écœurés du fonctionnement de notre filière et de l’attitude des GMS ! Nous demandons aux pouvoirs publics d’être les garants des annonces faites lors des EGA : une rémunération des agriculteurs à leurs coûts de production ! Cette crise ne doit pas être une excuse de plus pour les autres maillons de notre filière de pressurer les éleveurs. »

François d’Alteroche

Écroulement des prix en Europe

Dans la plupart des pays européens, on assiste depuis début avril à un écroulement du prix des laitières de réforme. Tout comme en France, le débouché de la restauration hors foyer et en particulier celui de la restauration rapide s’est écroulé qu’il absorbe une forte proportion des laitières de réforme. D’autre part ce marché de la RHF française est le débouché habituel d’une partie des laitières de réformes issues d’autres pays européens (Allemagne, Irlande…). Sa forte contraction prive de débouchés bon nombre de ces animaux, peu consommés dans leur pays d’origine, favorisant de ce fait la dégringolade des tarifs des laitières de réforme à l’échelon de l’ensemble de l’UE.

Avis d’expert - Jean-François Guihard, président de la Confédération française de la boucherie-charcuterie

« Steaks, saucisses et cordons-bleus se vendent bien »

« Les gens ne s’invitent plus et consomment différemment. Ils cuisinent davantage et achètent plus de produit brut au détriment des produits cuisinés. Avec les enfants à la maison, les steaks, saucisses et cordons-bleus se vendent bien. Par contre, notre activité traiteur, qui représente 20 % du chiffre d’affaires en moyenne dans les boucheries, diminue fortement. Je suis outré que le gouvernement ait fermé de nombreux marchés et pousse les gens à aller dans les supermarchés alors que la sécurité sanitaire est aussi bonne dans les halles ou les marchés de plein air. Un cinquième de nos adhérents sont sur les marchés et sont fortement impactés. Je remercie les maires qui ont eu le courage de les maintenir pour soutenir nos artisans et nos producteurs. »

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