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Calibrer son système au potentiel disponible et en adéquation avec la nature

Susana Ciscares, établie dans le Périgord Vert en Dordogne, "cultive" l’herbe avec autant de passion qu’elle élève ses limousines. À la fois éleveuse et botaniste, elle tire profit au maximum des ressources disponibles grâce à une fine connaissance du milieu.

À la tête d’un troupeau de 70 vaches limousines à Saint-Saud-Lacoussière en Dordogne, Susana Ciscares coche toutes les cases de ce qu’attendent filière, société et nature : qualité et saveur des produits, bien-être animal, système tout herbe, préservation de la biodiversité et entretien des milieux naturels. « Je ne suis pas 'écolo' mais j’aime travailler en harmonie avec la nature et j’estime aujourd’hui me dégager un revenu correct », indique l’éleveuse. Pour arriver à cet accomplissement, le chemin n’a pas été facile.

Installée en 2011 avec deux associés non exploitants, Susana se retrouve onze années plus tard seule à la tête de l’exploitation. « Ce n’était pas gagné d’avance car je cumule trois handicaps étant une femme non issue du milieu agricole, d’une autre région…, concède-t-elle. Titulaire d’un bac Sciences et technologies de l’agronomie et de l’environnement (STAE) puis d’un BTS productions animales en 2006, j’ai eu la chance d’être reçue en apprentissage chez un éleveur charentais qui a cru en moi. Puis, j’ai été salariée responsable du troupeau bovin du lycée agricole de Limoges Les Vaseix pendant quatre ans. De 2010 à 2011, j’ai effectué le stage de parrainage qui m’a permis d’entamer une installation progressive. »

Limitation des charges

Puis une relative galère de quatre ans commence entre l’achat du cheptel, le croît interne à engager, les sécheresses subies et la difficulté de tirer deux rémunérations de l’exploitation. Susana s’adapte. En 2022, elle rachète l’intégralité des parts sociales, le bâtiment d’élevage et 2 hectares autour. Dans ce contexte, la limitation des charges et l’optimisation des moyens de production sont des impératifs.

Sur les comptes de l’exploitation, aucun achat d’engrais et de produits phytosanitaires ne figure. Elle dispose par ailleurs de peu de matériel (deux tracteurs de 70 ch et un de 125 ch en copropriété). Bottelage, curage et épandage de fumier sont externalisés. Les travaux qui nécessitent d’être à deux comme la prophylaxie sont réalisés avec son conjoint, lui aussi exploitant et pluriactif. La consommation de gasoil modeste (à hauteur de 3 500 l par an) diminue aussi les charges du fait du faible équipement de la structure. Le plus contraignant et coûteux reste les déplacements sur le site des génisses distant de 12 kilomètres, surtout l’hiver. L’exploitante a pour objectif de substituer ces coûts à terme par le rachat de parcelles plus proches.

Zéro complémentation au champ

Son troupeau est aujourd’hui constitué de 70 mères, 17 génisses et 3 taureaux (un par lot). Tout le maigre, comprenant vaches, broutards et broutardes, est engraissé par un voisin. « Les retours d’abattage ainsi que les cinq vaches finies par an permettent de mesurer le potentiel génétique boucher de mon cheptel », fait savoir Susana. C’est sur les reproducteurs, qui pèsent 30 % des ventes pour 18 % des effectifs, que se gagne de la valeur ajoutée.

S’agissant de la conduite de la reproduction, « il m’a fallu recaler les vêlages trop étalés au fur et à mesure, reprend-elle. Je vise une double période : la première entre le 15 octobre et 15 décembre, la seconde du 15 janvier au 1er avril ». La plage allant du 15 décembre au 15 janvier correspond à une coupure pour « souffler » en milieu d’hiver. La phase en bâtiment, qui court du 15 décembre au 5 mars, est volontairement courte. « Elle dure moins de trois mois car je donne priorité au pâturage et ne dispose pas de paille », précise Susana. Achetée à raison de 60 tonnes par an, la paille est utilisée comme litière et en ration sèche pour les cinq vaches systématiquement engraissées, le foin étant réservé aux vaches productives.

Aussi, l’éleveuse réalise elle-même quatre pesées par an, dont une première pour tous les veaux à la naissance. « Cela permet de piloter mon troupeau », souligne Susana. Cette dernière avait pour habitude de complémenter ses veaux mais, n’ayant observé aucun écart significatif entre les lots avec ou sans aliment au pré, elle a décidé d’arrêter la complémentation depuis trois ans. Les GMQ à 210 j se situent aujourd’hui à 1 050 g/j, pour les mâles, et 1 000 pour les femelles.

Une conduite à l’herbe guidée par la flore

« La mise à l’herbe se fait avec un déprimage systématique à partir du 5 mars, quand la somme des températures atteint 300°, mon repère étant la floraison des forsythias ! » Ce jalon indique que Susana est aussi botaniste ! Cette connaissance fine des plantes lui sert car elle a pris le parti de gérer de façon la plus naturelle possible ses surfaces en herbe. Résultat, elle est 100 % autonome. Elle produit 3,5 t de MS en fauche. Dix hectares sont récoltés par enrubannage, 35 sont réservés à la fauche pour du foin sur des parcelles déprimées et 50 autres sur des parcelles non déprimées. L’ensemble des surfaces est ensuite pâturé. Côté fertilisation, seul son fumier avec additif de compostage est épandu à raison de 10 à 12 tonnes sur les parcelles de fauche. Une herse régénératrice avec sacrificateurs est passée une fois par an au printemps avec un travail en profondeur pour favoriser au maximum l’enracinement des plantes.

Les différents lots pâturent deux à dix jours sur chaque parcelle selon la pousse de l’herbe, au jugé, car l’éleveuse ne préétablit pas de planning de pâturage avec ares/UGB. Deux vaches par lot portent des cloches, la meneuse et une « gentille » comme dit Susana. Cela permet de les repérer plus facilement dans les bois mais l’éleveuse pense surtout que cerfs et sangliers viennent moins dans les parcelles où ils entendent sonner… Ceci est d’autant plus important que la zone est à haut risque tuberculose, imposant une prophylaxie très stricte.

Entretien de zones humides

Deux types de sol cohabitent, un plateau rocheux avec six à sept passages par an et les zones humides. C’est une autre caractéristique de l’exploitation que la présence de ces zones humides. Elles offrent de l’herbe en saison estivale, et un abreuvement sur place aux animaux. Ces surfaces, si elles n’assurent que trois à quatre passages par an, sécurisent grandement le système en périodes sèches.

La plus grande parcelle humide se situe en bord de Dronne. Elle est classée Natura 2000 car son eau de qualité abrite des moules perlières. Centaurée, Luzule, orchis brûlé, trèfle, petite oseille, Carex, jonc… n’ont aucun secret pour l’éleveuse. « Je pourrais laisser sur la plus grande parcelle quatre à cinq vaches à l’année mais je préfère amener des lots de vaches en pression de pâturage sur trois jours pour la valoriser au mieux », estime-t-elle.

La Dronne est bordée d’une haie ripisylve que Susana entretient. Elle bénéficie ainsi d’aides type MAE ou du plan de sauvegarde environnementale. La ripisylve, par sa présence le long du cours d’eau, permet la circulation de la faune sauvage. De plus, Susana a la fibre ornithologique : elle enregistre les déplacements des hirondelles, hérons et autres migrateurs. « La présence nouvelle de hérons garde-bœufs depuis deux hivers montre la réalité du réchauffement climatique », s’inquiète-t-elle.

Toutes les parcelles de pâture ont un accès à l’eau en espaces aménagés sur les confluents de la Dronne : une clé du système. Les parcelles sans eau sont uniquement réservées à la fauche. Un gros travail d’agencement des berges reste cependant à faire.

Chiffres clés

103 ha de SAU répartis sur trois îlots dont le principal autour du siège, l’un à 4 km et un « site à génisses » à 12 km

100 % de prairies naturelles dont 8 ha en zone humide classée

70 vaches limousines contrôlées VA4 et certifiées au HBL

91 UGB soit 0,9 UGB/ha SFT de chargement

1 UMO

Un troupeau encore en constitution dont le niveau génétique progresse

Dès 2010, le troupeau est inscrit au herd-book limousin (HBL) et à Bovins croissance. Les objectifs de sélection de Susana Ciscares se portent prioritairement sur la docilité, la facilité de vêlage et la production laitière. « Un tiers des vaches et génisses sont inséminées sur chaleurs naturelles que j’observe quotidiennement », rapporte-t-elle. Cette dernière réalise depuis 2010 des plans d’accouplements. « Pour les génisses, je choisis trois taureaux mixtes. Pour les vaches, je fais des accouplements complémentaires », explique Susana. Le principal point faible concerne l’intervalle vêlage-vêlage des primipares qui s’élève à 439 jours. Elle compte le réduire en mettant un taureau sitôt le vêlage pour éviter des chaleurs mal exprimées et des IA tardives. « Mes critères de réforme sont stricts : mauvais aplombs, vaches vides ou ayant eu un veau mort, absence de lait, expulsion de matrice », liste l’exploitante. Les vaches ayant atteint l’âge de 10 ans sont aussi réformées. En termes de renouvellement, un premier tri est effectué au sevrage sur le caractère (enregistré au pointage), les dates de naissance, les croissances à l’herbe et la morphologie. « Le troupeau étant en constitution, je ne trie pas encore sur index. Cela viendra car mon niveau génétique progresse avec un IVMat de 104 aujourd’hui », se satisfait Susana.

Aurore Giroux, conseillère Bovins croissance de la Haute-Vienne

« Un système autonome, économe et rentable »

« Susana Ciscares attache beaucoup d’importance à la facilité de conduite de son troupeau alliant docilité et facilité de vêlage. Éleveuse passionnée, elle choisit d’accorder moins d’importance à la mécanisation contrairement à l’attention particulière qu’elle porte envers ses animaux. Côté génétique, elle a pour ambition de rechercher des vaches présentant de bonnes qualités maternelles et une efficacité alimentaire intéressante. Son système, basé sur l’optimisation du pâturage, lui permet d’être autonome, et par conséquent, de ne pas complémenter ses veaux au champ. Tout est pensé de façon simple et naturelle de manière à être économiquement rentable. »

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