« Nous produisons nos propres plants de grenadiers »
Les viticulteurs Thomas et Christine Saleilles cultivent 14 hectares de grenadiers dans le Gard. Presque quinze ans après ses premières plantations, la grenade représente 50 % du chiffre d’affaires de l’exploitation. [Texte : Sophie Sabot]
Les viticulteurs Thomas et Christine Saleilles cultivent 14 hectares de grenadiers dans le Gard. Presque quinze ans après ses premières plantations, la grenade représente 50 % du chiffre d’affaires de l’exploitation. [Texte : Sophie Sabot]
Thomas Saleilles est arrivé à la grenade « par hasard », guidé par la volonté de diversifier son exploitation suite à la crise viticole du milieu des années 2000. Il fait aujourd’hui partie des « gros » producteurs français en superficie et volumes. Il propose également des prestations de pressage et commercialise des plants de grenadiers (1). « J’ai démarré en 2010 sur un hectare avec une dizaine de variétés. Deux ans après la plantation, j’ai expérimenté la transformation des premiers fruits », rapporte le producteur installé à Bagnols-sur-Cèze dans le Gard. L’occasion de recycler le matériel de sa cave particulière après avoir fait le choix en 2009 de rejoindre la cave coopérative de Laudun (Gard) et de convertir la totalité de l’exploitation en agriculture biologique.
Implanter le verger au carré à 500-600 plants par hectare
Très vite, le potentiel commercial du jus de grenade, notamment en magasins bio, s’est confirmé. Mais Thomas Saleilles s’est heurté à la disponibilité en plants pour implanter de nouvelles parcelles. « J’ai donc décidé de produire mes propres plants et construit une collection de soixante-dix variétés en provenance de pépinières du monde entier avec l’objectif d’identifier les plus adaptées au territoire », poursuit-il. Si la grenade est souvent catégorisée comme « fruit exotique », sa présence est attestée de longue date dans le sud de la France. Mais sur les sept variétés (2) qu’il commercialise désormais via sa pépinière, une seule, baptisée Provence douce, est originaire de l’Hexagone. Dans ses vergers, Thomas Saleilles a opté pour une densité de 900 pieds/ha avec un écartement de 4 mètres entre rangs et 2,5 mètres sur le rang. Ses arbres sont conduits en cépées.
Cette conduite en buisson lui semble plus adaptée au grenadier. Elle offre aussi l’avantage de limiter le temps passé à la taille. « Mais c’est une forme qui convient davantage pour produire du jus car elle cause plus de blessures sur les fruits par le frottement des branches ». Ses vergers sont irrigués par goutte à goutte. « J’apporte vingt-quatre litres par arbre deux fois par semaine de fin juin-début juillet jusqu’à fin août, voire jusqu’à la récolte en absence de pluie. Pour une conduite en sec, mieux vaut travailler le sol pour éviter la concurrence. Dans ce cas, je recommande d’implanter le verger au carré, avec un écartement de quatre par quatre qui permet de travailler dans les deux sens, soit entre 500 et 600 plants par hectare », détaille le producteur. Pour l’instant, il ne rencontre pas de problème sanitaire sur ses vergers et se passe de traitements. « Mais la vigilance reste de mise », insiste-t-il, notamment sur la zeuzère du poirier dont la larve s’attaque au bois, ou encore sur alternaria, champignon qui entraîne la pourriture des arilles, parfois sans symptômes externes.
Rendement jusqu’à 20 t/ha après douze ans
Côté fertilisation, Thomas Saleilles estime qu’on manque encore en France de références. « Comme tous les fruitiers, le grenadier a des besoins en azote et potasse. Mais je n’apporte pas d’engrais. Mes vergers sont sur des terres de limons riches. J’épands seulement le compost issu des déchets du pressage des fruits », explique-t-il. Toutefois, « l’emploi des engrais, y compris organiques, peut doubler le rendement de l’arbre », souligne le groupement régional Bio de Provence dans sa fiche technique dédiée à l’espèce.
Le producteur gardois annonce atteindre une production de 10 tonnes par hectare à partir de 7 ans jusqu’à 20 tonnes après douze ans [sur les vergers à 900 arbres par hectare irrigués]. 90 % des volumes sont pressés. Trois kilos de grenades donnent environ un litre de jus. Celui-ci est commercialisé pour l’essentiel en citernes par une coopérative bio du Gard auprès d’industriels qui embouteillent ensuite sous leur propre marque. « J’envisage aussi de développer le fruit frais avec des variétés comme Acco, Vkushny, Fleshman ou Seedless. Mais attention, il faut toujours avoir une solution pour transformer. Sur une parcelle on peut difficilement faire plus de 40 à 50 % des volumes pour le frais », signale Thomas Saleilles.
Recherche des économies d’échelle
Il insiste aussi sur la nécessité de construire « une offre compétitive » face à la concurrence étrangère. Si la grenade est souvent présentée comme une solution de diversification face au réchauffement climatique, la filière française, encore balbutiante, doit mettre en avant la qualité de ses produits et consolider ses débouchés. « Il nous faut aussi rechercher des économies d’échelle via des outils collectifs performants pour proposer un jus de grenade français moins cher », estime le Gardois… Sans oublier la maîtrise des coûts à l’échelle de l’exploitation, notamment sur la récolte. Et Thomas Saleilles de préciser : « Une personne peut récolter jusqu’à une tonne par jour en palox, beaucoup moins en frais puisqu’il faut poser les fruits délicatement dans les caisses. Nous menons des tests de mécanisation depuis 2023 avec mon fils qui a le projet de s’installer. Nous avons implanté un verger haute densité, 1,3 mètre sur rang et 3 mètres entre rangs, palissé sur trois fils que nous avons récolté à la machine à vendanger en rajoutant des batteurs. Les premiers résultats sont concluants mais il faut presser les fruits immédiatement car ils éclatent. » Une piste parmi d’autres à explorer pour améliorer la compétitivité de la grenade française.
Quel potentiel de production en France ?
Les données précises sur les vergers de grenadiers en France sont difficiles d’obtenir. La production n’est pas identifiable dans les déclarations Polique agricole commune. Elle reste classée dans une catégorie « autres fruits », comme le sont les pistachiers. Enora Jacob, chargée de mission pour le syndicat France Grenade, créé en 2023 et qui regroupe 75 adhérents, estime que la surface plantée dans l’Hexagone est d’environ 600 ha chez 200 producteurs. Ce qui pourrait représenter à moyen terme un potentiel de production de 6 000 tonnes, dont 25 % pour le marché du frais, le jus restant le débouché majoritaire de la grenade française.
En 2021, les équipes de l’institut national polytechnique (INP) de Toulouse, dans le cadre du projet Gimms (1), ont pu répertorier 180 producteurs sur 420 hectares. « Trois départements, le Lot-et-Garonne, les Pyrénées-Orientales et l’Hérault concentraient alors l’essentiel des surfaces, suivis par le Gard. La production semblait toutefois se déplacer vers l’est avec une grosse dynamique au moment de l’enquête sur la région Paca », souligne Théo Châtellier. Après avoir questionné en direct une centaine de producteurs, il estimait à 12,8 tonnes par hectare le rendement moyen que les vergers français pourraient atteindre d’ici 2031. Une estimation pessimiste reconnaît-il. « Beaucoup de producteurs étaient en effet sceptiques sur leur capacité à atteindre un rendement productif et régulier », signale-t-il. 78 % des producteurs de l’échantillon enquêté conduisaient leur verger en AB.
La grenade et ses marques
Plusieurs marques ont fait leur apparition sur la grenade. Certaines ne sont pas collectives. Ainsi, la marque Grenade de France est la propriété d’un producteur du Gard qui l’a déposée en 2005. La marque France Grenade, déposée en 2021 par un autre producteur du Gard, a quant à elle été mise à disposition du syndicat France Grenade depuis décembre 2023 pour une utilisation commune. Ce même producteur a également déposé en 2022 la marque La grenade française. Enfin, sous l’intitulé Grenades d’Occitanie – France, on retrouve une marque collective déposée fin 2021 par la Fédération des producteurs de grenade du Sud, première étape vers une démarche de reconnaissance IGP.