Quelles ont été les conséquences du confinement sur la consommation bio ?
Didier Perréol - On a constaté une
accélération de la croissance de la consommation. Comme à chaque crise sanitaire, les produits bio servent de repère ; ils sont une sécurité pour le consommateur quand la peur s’installe sur son alimentation. Tous les circuits ont connu un succès. Dans les circuits spécialisés historiques, on a observé une croissance de 15 à 20 % supérieure à celle de la consommation conventionnelle. Le panier moyen est passé de 30 à 60 euros. La grande distribution - surtout en MDD - a aussi beaucoup progressé, tout comme les circuits de vente directe et les ventes sur internet.
Philippe Henry - A l’Agence Bio, on observe cette période particulière et surtout la suite. Y’a-t-il de nouveaux consommateurs ? Y’a-t-il eu transfert d’un mode de distribution à l’autre ? On va essayer de répondre à ces questions, d’avoir des données par filière. Ce dont la bio a besoin, c’est d’un équilibre entre ses circuits de distribution entre les circuits courts et longs pour la pérennité du système.
Comment analysez-vous la forte croissance de consommation avant la Covid-19 et confirmée depuis ?
P. H. - Le dernier baromètre de l’Agence Bio de novembre 2019 révélait déjà une dynamique forte, avec en gros 15 % de croissance. La première motivation des consommateurs est la santé plus portée par les générations plus âgées, la deuxième est l’environnement qui préoccupe plus les jeunes.
D. P. - Ce qui peut rassurer le consommateur, c’est qu’il sait aujourd’hui, que les produits sont contrôlés et tracés de la production à la distribution.
Guillaume Riou - La question de la distance est très importante. Nos concitoyens ont l’impression de mieux connaître l’agriculteur, qu’ils sont plus proches du lieu de production. Ils ont l’impression – à tort ou à raison – de mieux connaître la façon dont est produite l’alimentation bio. Il y a aussi un phénomène un peu nouveau : le concitoyen associe plaisir et bio.
Quel peut être l’impact de la probable crise économique sur l’essor de la filière bio ?
P. H. - Il y aura une problématique de pouvoir d’achat. Il ne s’agirait pas demain que le bio soit réservé à ceux qui en ont les moyens et que les autres ne puissent pas y avoir accès. Il faut construire des filières qui apportent un juste prix au producteur et au consommateur. Tout cela doit être concerté pour arriver à résoudre cette équation.
D. P. - La crise économique sera une période difficile à traverser. Mais on est convaincus que le consommateur a plébiscité nos produits. Fera-t-il le choix de mettre plus que 15 % de son budget dans son alimentation au détriment des loisirs, des nouvelles technologies ou des achats de vêtements ? L’avenir nous le dira.
N’y a-t-il pas un risque de retournement de la demande ?
G. R. - La déflation du prix et la décroissance, ça fait 20-30 ans qu’on en entend parler. Aucun indicateur nous montre un infléchissement, bien au contraire, avec les questions de la biodiversité, des aléas climatiques et de la pollution qui sont de plus en plus posées. Et puis, un plan bio est envisagé au niveau de l’Union européenne. Tous les feux sont au vert pour que la bio continue à se développer. C’est le plus grand développement agroalimentaire depuis 10 ans et ça va continuer.
D. P. - Aujourd’hui le bio représente plus ou moins un marché de 10 milliards d’euros et 20 milliards d’ici 5 ans. On les atteindra avec les conversions en cours et si la filière travaille en commun pour développer la contractualisation.
Croyez-vous à une bio à deux vitesses : du « premium » français, à tarif élevé en circuits spécialisés, et du « basique » moins coûteux, en GMS, potentiellement importé ?
D. P. - On a une seule bio avec un cahier des charges, avec un règlement européen, avec un contrôle clair et établi. Certes, il existe des fermes qui produisent de plus grosses quantités et des transformateurs qui ont des outils industriels.
G. R. - Je ne sais pas si c’est à 2 ou 18 vitesses, mais le nombre d’opérateurs croissant élargit la gamme proposée. Trouver du bio chez un producteur à côté de chez soi et en même temps dans un supermarché à Villeurbanne ou en Seine-Saint-Denis, est une excellente chose. On a multiplié les plans gouvernementaux pour que le bio se développe ; on ne va pas se plaindre aujourd’hui qu’il se soit développé.
Existe-t-il un risque de plus d’importation pour faire face à la demande ?
P. H. - La part des importations reste globalement stable à 30 %, dont 15 % de produits exotiques. La production suit la consommation et on ne constate pas de faille qui conduirait à un appel d’air à l’importation.
D. P. - En GMS, les marques distributeurs ont plus progressé que les autres produits et les grandes surfaces se sont engagées à acheter français. Il faudra vérifier si cela dure.
Une surproduction, suite à une hausse des importations ou à une baisse de la demande, est-elle un scénario probable ?
G. R. - La déflation par la massification, cela fait longtemps qu’on nous l’annonce et on ne la voit toujours pas. Le risque de déflation du prix payé au producteur du fait d’une surproduction structurelle, je n’y crois pas. Lorsque nous mettons des garanties supplémentaires autour des serres chauffées, c’est pour éviter que l’artificialisation de la production conduise à des volumes absolument ingérables.
Craignez-vous une baisse des aides publiques ?
G. R. - En agriculture biologique, le marché intervient et c’est essentiel pour le développement, tandis que le cahier des charges est géré par l’État, sous l’égide d’un règlement européen. L’action publique a un rôle important à jouer pour éviter les déséquilibres. Comme pour la santé, la sécurité, la justice, l’agriculture et l’alimentation sont des domaines pour lesquels la puissance publique doit rester interventionniste. Le plus grand risque pour notre agriculture, c’est la forte décroissance de la démographie agricole. Un plan de relance de l’installation et de la transmission est une absolue nécessité.
L’objectif des 20 % de bio dans les cantines scolaires, voté par la loi Egalim, peut-il être maintenu ?
D. P. - Pour l’instant, on est à peine à 3 % dans les collectivités territoriales alors que l’incidence du coût matière sur le coût d’un repas n’est même pas de 15 %. Il y a beaucoup de leviers d’économie à trouver ailleurs.
P. H. - On peut très bien imaginer que les collectivités territoriales se réveillent et achètent des produits qui viennent de leurs régions, entre autres bio, dans une recherche d’économie circulaire et pas forcément de prix bas.
Que pensez-vous du nouvel agenda post-Covid de la réglementation européenne bio et de la prochaine PAC ?
G. R. - Le nouveau règlement de base bio, qui a nécessité dix années de travail, a été voté en mai 2018 et ne sera pas remanié. La Covid-19 a décalé le calendrier d’un an. Nous sommes maintenant dans la phase des actes secondaires. Il pourra y avoir des ajustements, mais les grands enjeux ont déjà été traités. Le plus important, c’est la possibilité d’un remaniement de la PAC qui renforcerait la bio et la prise en compte des questions environnementales. La bio ne représente que 9 % de la SAU française, mais 12 % de l’emploi agricole. C’est une formidable occasion de doper l’emploi sur les territoires, mais cela nécessite un investissement public fort et long. Sur les 9 milliards budgétés par la PAC, nous demandons 1 milliard pour l’agriculture biologique, contre, bon an mal an, 430 millions d’euros aujourd’hui. Tout cela pour poursuivre la structuration des filières, aider la transformation, participer au paiement de services environnementaux, lancer un réel plan national d’aides à l’installation couplé à une loi foncière pour préserver les terres…
« La filière biologique sortira renforcée de la Covid-19 »