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« En saison, c’est toujours l’urgence. En cerise il faut aller vite » Mathilde Chambe, expéditrice dans les Monts du Lyonnais

A l’occasion du 8 mars, journée internationale des droits des femmes, FLD a souhaité donner la parole aux femmes de la filière. Mathilde Chambe est expéditrice dans les Monts du Lyonnais. Jeune et dynamique, proche des producteurs, elle ne manque pas de projets. A travers ses souvenirs d’enfance et son expérience, elle revient sur ce qui fait et fera demain son métier d’expéditrice de fruits et légumes.

portrait de mathilde chambe dans un verger de cerisiers
Mathilde Chambe, codirigeante de Chambe Agri-Fruits : « Nous sommes un facilitateur (…) Avec les expéditeurs, les producteurs peuvent se concentrer sur leur cœur de métier, produire ».
© Chambe

Mathilde Chambe est codirigeante avec ses parents de Chambe Agri-Fruits, entreprise familiale d’expédition dans le Rhône de fruits spécialisée dans la cerise. Lors d’une interview à FLD le 11 février, elle a évoqué son métier, les changements qui s’y opèrent, ses souvenirs de l’entreprise familiale, les nombreux projets en cours, la féminisation d’une partie de la filière fruits et légumes.

Alors que l’Aneefel, l’Association nationale des expéditeurs exportateurs de fruits et légumes, tiendra son assemblée générale les 20 et 21 mars prochains, FLD a pu échanger avec 6 expéditeurs exportateurs de fruits et légumes sur l’évolution de leur métier, les contraintes et les enjeux. Quel sera le métier d’expéditeur exportateur demain ? Chacun-e, avec son histoire, son profil et sa vision bien à lui/elle, s’est prêté au jeu des questions-réponses. Plongée dans ce métier encore mal connu avec ces 6 interviews dont la parution s’étalera sur les prochaines semaines sur le site Internet de FLD

Lire aussi : Assemblée générale 2025 de l’Aneefel : quel est le programme pour les expéditeurs exportateurs de fruits et légumes ?

 

FLD : Pouvez-vous nous présenter votre entreprise Chambe Agri-Fruits ?

Mathilde Chambe : Chambe Agri-Fruits est une entreprise familiale d’expédition, la 4e génération aujourd’hui, basée dans les Monts du Lyonnais, à Bessenay (Rhône). Elle a pour spécificité d’acheter exclusivement des fruits dans un rayon local (30 km), en particulier la cerise, fruit emblématique de ce bassin. Nous faisons également un peu de pêches de vigne, de prunes, de quetsches, et depuis quelques temps nous développons la mirabelle. Nos débouchés sont la grande distribution française principalement, le réseau grossiste également.

En 1947 la production de cerise se développe à Bessenay et ses alentours. A ses débuts, mon arrière-grand-père se rendait sur les marchés de producteurs pour acheter les fruits et les réexpédier jusqu’aux grossistes et Monoprix de Paris. Dans les années 90, les marchés de producteurs se sont raréfiés et les producteurs sont passés en flux direct en nous livrant directement.

 

FLD : Et qui est Mathilde Chambe ?

Mathilde Chambe : Moi, j’ai grandi là-dedans. J’ai fait chaque saison depuis mes 15 ans voire même plus jeune. J’adorais ça. Mais comme beaucoup d’adolescents, je n’avais pas forcément comme projet de faire la même chose que mes parents. Je suis partie faire une école de commerce. Mais je me suis rendue compte que ça me manquait et quasiment après mes études je suis revenue pour intégrer l’entreprise. Le moment s’y prêtait : un changement d’organisation quant au tri et calibrage était en questionnement, ce qui représentait un chamboulement pour mes parents. De plus, pour les producteurs, c’est rassurant de voir quelqu’un qui va reprendre. Car les entreprises familiales ne sont pas faciles à reprendre. 

Cela fait 5 ans que je suis (re)venue. Aucun regret ! Surtout qu’il y a de beaux projets en cours et qu’un visage connu a rassuré les producteurs. Vous savez, il y a une grosse partie d’humain dans nos métiers.

« Comme beaucoup d’adolescents, je n’avais pas forcément comme projet de faire la même chose que mes parents. Partie faire une école de commerce, je me suis rendue compte que ça me manquait »

 

FLD : Quel est votre définition du métier d’expéditeur en fruits et légumes ?

Mathilde Chambe : Nous sommes le lien entre la production et la grande distribution. Nous sommes un facilitateur : on s’occupe du transport, de la gestion des cahiers des charges avec la grande distribution, de la fixation des prix. On a une vue d’ensemble objective de nos producteurs et de leurs fruits -l’offre variétale notamment. Et comme on connaît parfaitement nos clients et leurs exigences, depuis plus de 40 ans, on répartit au mieux la marchandise pour mieux la valoriser.

J’ai tendance à penser que quand on fait tout, souvent on le fait mal. Avec les expéditeurs, les producteurs peuvent se concentrer sur leur cœur de métier, produire.

 

FLD : Quelles compétences faut-il avoir pour être expéditeur ?

Mathilde Chambe : Il faut être très polyvalent, surtout quand on est une petite structure.

Il faut aussi avoir un côté très humain : entre clients, producteurs et personnels, il y a une variété de discours. On ne va pas parler de la même façon à un jeune saisonnier de 17 ans qu’à un acheteur de la GMS.

Il faut également être très organisé car en saison c’est toujours l’urgence. Il faut savoir déléguer et gérer les problèmes qui arrivent. Notre rapidité d’expédition est un atout. En cerise, produit fragile, il ne faut pas se tromper et il faut aller vite. On essaye d’être chaque soir à stock zéro. Il faut gérer les fluctuations de volumes : en fin de semaine, il y a beaucoup plus de débouchés qu’en début, car les grandes surfaces font le plein pour le week-end.

Enfin, il faut savoir négocier, pour toujours valoriser au mieux pour le producteur et pour nous.

 

FLD : A quelles difficultés faites-vous face au quotidien dans votre métier d’expéditrice ? 

Mathilde Chambe : La gestion des prix en cerise est très complexe à gérer. C’est facile de baisser les prix, mais très difficile de les faire remonter. La météo va aussi impacter la gestion des volumes : s’il pleut pendant deux jours, les producteurs ne vont pas cueillir. Sauf qu’avec les suppressions de molécules, on ne peut plus trop attendre.

Autre difficulté : la saisonnalisation de notre activité et donc le recrutement. Du fait de notre spécialisation autour de la cerise, notre activité est très saisonnière, concentrée sur 5-6 mois. 

Nous sommes 6 permanents dans l’entreprise, dont mes parents et moi. Nous sommes vraiment une petite structure ! Mais en saison, nous montons à 70 personnes ! avec le fonctionnement et les enjeux d’une grosse structure. La partie recrutement, que l’on gère en saison creuse, n’est jamais simple mais ça se passe bien. On embauche des gens en local. Il y a quelques retraités, et beaucoup de jeunes -étudiants, bacheliers- car le gros de notre saison -mai-juin-juillet- c’est pendant les vacances étudiantes ! On aime voir ces jeunes revenir chaque été. Certains commencent à 16 ans et reviennent chaque saison le temps de leurs études, parfois pendant 10 ans pour les étudiants en droit. 

Le reste de l’année, en saison basse, nous faisons de la gestion administrative, la conduite des cahiers des charges, préparons la communication, gérons la marque Cerise de Bessenay, une marque que l’on développe main dans la main avec les producteurs. En ce moment nous sommes sur l’organisation du festival de la cerise les 3 et 4 Juillet 2025 à Bessenay : le Eh Cherry Festival (le groupe IAM et la chanteuse Santa sont notamment annoncés).

« En cerise c’est facile de baisser les prix, mais très difficile de les faire remonter »

 

FLD : Quelles évolutions du métier avez-vous pu constater par rapport à votre enfance ?

Mathilde Chambe : Il y a beaucoup de changements ! Du côté de la production déjà. Les producteurs subissent des contraintes réglementaires de plus en plus fortes, notamment les suppressions de molécules de traitement. Il y a des solutions mais qui demandent de se poser 10 fois plus de questions et d’être encore plus rigoureux ; par exemple pour la surveillance en termes de calendrier de traitement. Et donc nous aussi nous devons nous réorganiser. 

Nous aussi expéditeurs avons de plus en plus de cahiers des charges exigeants (qualité, process), de papiers à remplir. La réglementation s’alourdit.

Oui, la loi Agec est un exemple. En cerise on a droit au plastique jusqu’en 2026-2027. Mais après ? La cerise s’achète au visuel. L’année où nous avons essayé la barquette carton sur une MDD connue, les ventes ont été divisées par deux ou trois !

 

FLD : Quelle est la place des femmes dans la filière ?

Mathilde Chambe : Il y a beaucoup d’expéditrices à l’Aneefel, j’ai pu le constater lors d’un évènement FC2A [Fédération du commerce agricole et agroalimentaire] : nous étions la branche avec le plus de femmes !

Je remarque qu’il y a aussi de plus en plus de femmes acheteuses. En revanche, ce n’est pas le cas en production

« Il y a beaucoup d’expéditrices, de plus en plus d’acheteuses aussi. Ce n’est pas le cas en production »

 

FLD : Y a-t-il une problématique de transmission d’entreprise et de renouvellement des générations dans votre bassin de production ?

Mathilde Chambe : Dans notre bassin, nous avons un beau renouvellement des générations de producteurs. Je vais avoir 30 ans et certains des producteurs sont plus jeunes que moi ! Les exploitations avec lesquelles nous travaillons depuis plusieurs générations souvent sont aussi des entreprises familiales. Donc ces jeunes producteurs, je les connais de vue ou de nom depuis toute petite ! C’est génial d’avoir des jeunes producteurs, l’ambiance est très bonne et ça donne une vision pour la suite

« Avoir des jeunes producteurs donne une vision pour la suite (…) Et l’inverse est vrai aussi : voir reprendre une entreprise familiale d’expédition rassure les producteurs

 

FLD : Quels sont vos plus grandes fiertés dans votre métier ?

Mathilde Chambe : Mes plus grandes fiertés ? Celles en rapport avec l’humain. En premier lieu, notre entente de long terme avec les producteurs. Quand les producteurs sont contents de leurs prix et qu’ils le disent, ça veut dire que c’est vraiment bien.

En deuxième lieu, quand on arrive à gérer les 70 saisonniers. Il y a toujours une bonne ambiance, on mange ensemble. Je les vois prendre des responsabilités. Un exemple que j’aime beaucoup : il y a une jeune fille de 16 ans que j’ai dû reprendre la première année (beaucoup d’absences etc.) mais l’année suivante je l’ai vu gérer une chaîne de production avec 20 personnes. Voire l’évolution de ces personnes est une grande source de fierté.

Enfin, quand les clients viennent en visite chez nous en saison et qu’ils sont bluffés par ce qu’ils voient, que ça tourne avec des jeunes étudiants, et qu’ils repartent avec des étoiles dans les yeux

 

FLD : Quels sont ces projets en cours dans l’entreprise ?

Mathilde Chambe : Le tri et le calibrage. Aujourd’hui, le tri et le calibrage se font, pour une bonne moitié de nos producteurs, chez deux de nos plus gros producteurs. Pour la saison 2026, nous aurons mis en place un atelier de tri et de calibrage. Les producteurs pourront choisir de nous livrer en brut de cueille, à nous de gérer le tri et le calibrage. Avec ce projet, nous allons soulager les producteurs qui pourront se concentrer sur leur production. Cela va permettre à certains producteurs de taille moyenne de grossir.

Autre développement en cours : la mirabelle, qui est un fruit historique dans la région mais anecdotique face aux volumes de Lorraine et d’Alsace. On a pour objectif d’en faire plus car en termes de climat et de sol, la mirabelle se plaît bien sur nos coteaux et vient bien en complément de la cerise.

 

FLD : Quel avenir voyez-vous pour le métier d’expéditeur ?

Mathilde Chambe : Très difficile à imaginer. L’IA [intelligence artificielle] est déjà là dans les machines de tri. Les machines sont déjà très puissantes, et avec l’évolution elles sont encore au-dessus.

En production je vois de gros tournants. Mais lesquels ? La cueillette mécanique des cerises ? Des injections de phytos dans le tronc ? Ce sont des sujets déjà en réflexion.

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