Sur le terrain, le Préfet évalue l'ampleur de la crise
Le 31 août, Le Préfet de Haute-Loire a visité 2 exploitations laitières victimes de la crise agricole qui frappe la plupart des fermes du département. Les responsables de la FDSEA, des JA43 et de la Chambre d'Agriculture ont ainsi fait le point sur tous les dossiers d'actualité. Cette visite s'est donc déroulée sur fond de crise, crise généralisée puisque toutes les productions sont touchées. Ont notamment été abordés les problèmes de la filière et de la production laitière, la sécheresse, la crise porcine, la production ovine…
“Je tenais à faire ma rentrée dans le milieu agricole. D’abord parce que les agriculteurs ne prennent pas de vacances. D’autre part, on parle beaucoup d’entreprises victimes de la crise économique et l’on oublie que les agriculteurs ont connu cette crise bien avant” a expliqué Richard Didier, Préfet de Haute-Loire au début de la visite d’exploitations organisée par la FDSEA, les JA et la Chambre d’Agriculture sur une demande du Préfet ; ce dernier avait en effet émis le souhait d’être sensibilisé sur le problème laitier et la sécheresse qui mettent largement en péril les exploitations de Haute-Loire.
La matinée de rencontres avec le monde agricole a commencé sur la commune de Chaspuzac sur les terres du Gaec Elevage Jammes, une exploitation laitière familiale sur laquelle travaillent 4 personnes (les parents accompagnés de leurs deux fils). Ce temps d’échange visait essentiellement à faire état, chiffres à l’appui grâce aux présentations chiffrées du CER France Haute-Loire, des lourdes difficultés que traversent les éleveurs altiligériens depuis de longs mois voire des années pour certaines productions.
Premier gros problème qui pèse très lourd sur les trésoreries, la baisse du prix du lait ; le Gaec Elevage Jammes, dont le quota (385 000 L) est jugé insuffisant par ses associés, s’est vu dans l’obligation de monter un atelier engraissement en vue d’essayer de compenser les pertes de revenus dues au lait. A cette mauvaise conjoncture laitière est venue s’ajouter la sécheresse qui a occasionné des pertes de récolte sur ensilage (-20% par rapport à une année normale), sur foin (- 50%) et sur céréales (rendements de 50qx/ha). “Sur l’herbe, le déficit est estimé à 25 tonnes de matière sèche pour passer le reste de l’année” a indiqué le CER France Haute-Loire.
Une trésorerie affaiblie
Les données économiques de cette exploitation ne sont pas bonnes ; le résultat 2008/2009 affiche un solde négatif malgré une plus-value de 30 euros supplémentaires sur le prix de base du lait ; cette plus-value est liée au savoir-faire de ces éleveurs. Jean-Julien Deygas, président des JA, a souligné que la trésorerie de cette exploitation est par ailleurs «fragilisée» par des annuités conséquentes liées à des investissements antérieurs (construction d’un bâtiment de stockage en 2005, mise aux normes des bâtiments en 2008).
«Nous, ce que nous voudrions, c’est vivre décemment de notre métier. La production laitière est lourde à conduire au quotidien et lorsque l’on voit nos chiffres, c’est vraiment minable !» a expliqué Raphaël Jammes.
La situation est d’autant plus grave que l’année prochaine la perte de cette exploitation sera bien supérieure en raison de la sécheresse ! Jean-Paul Sivard, vice-président de la FDSEA et Laurent Duplomb, secrétaire général de la Chambre d’Agriculture, ont insisté sur le chiffre colossal des pertes cumulées sur l’ensemble des exploitations ; avec une baisse moyenne du prix du lait de 50 e par rapport à l’an dernier, la perte se situe entre 20 et 25 millions d’e. Autant de millions qui ne seront pas investis cette année. Certains éleveurs seront même dans l’obligation de décapitaliser leur cheptel, «or, lorsque l’on décapitalise pendant 6 mois, l’exploitation met 5 ans pour s’en remettre» a insisté Gilbert Guignand, président de la FDSEA.
Si le prix du lait persiste encore pendant une longue période à un niveau bas, Jean-Paul Sivard craint que l’on se dirige tout droit vers un système d’intégration ; les éleveurs ne pouvant plus financer leurs propres bâtiments !
Raphaël et son frère Florent fraîchement installé, ont profité de la présence de professionnels agricoles pour s’informer sur l’évolution à venir du prix du lait. Ces derniers attendent une amélioration courant 2010. Yannick Fialip, président de la fédération régionale des producteurs de lait, a signalé quelques signes d’évolution positive avec les cours mondiaux du beurre et du lactosérum qui repartent. Ce dernier a tenu à rappeler que l’accord sur le prix du lait signé à 280 e “n’est pas bon mais c’est le plus élevé en Europe”.
Gilbert Guignand a fait part de l’inquiétude de la profession quant au respect de cet accord par les entreprises d’ici la fin de l’année et souhaite que le Préfet ne manque pas de faire remonter cette crainte auprès du Ministère.
La profession réclame l’aide de l’Etat sur le dossier contractualisation
Yannick Fialip a également souligné l’intention de la profession d’entrer dans un système de contractualisation avec les entreprises ; sur ce dossier, il a réclamé l’aide de l’Etat notamment pour faire comprendre aux entreprises qu’elles auront besoin de tous les producteurs, même ceux localisés en montagne.
Quant aux responsabilités de cette crise agricole qui touche toutes les productions (viande, porcs, ovins…), Laurent Duplomb accuse l’Europe «qui s’est désengagée de toutes les politiques structurelles en terme de régulation.»
Conscient de l’ampleur de cette crise, le Préfet fera remonter l’ensemble des revendications auaprès du ministre de l’Agriculture ; il a par ailleurs indiqué son intention de convoquer un comité de suivi des entreprises uniquement sur l’agriculture. Certes des initiatives gouvernementales ont été décidées (Ndlr : 70% des primes PAC seront versées aux agriculteurs le 16 octobre), mais cela reste insuffisant car comme le rappelait Gilbert Guignand , “95% des agriculteurs vont consommer leurs aides PAC pour rembourser leurs prêts court terme d’attente de subventions”.
Une trésorerie tendue, des investissements reportés
Après Chaspuzac, le Préfet a suivi les responsables professionnels jusqu’à St Martin de Fugères où il était accueilli chez Philippe Gire, un producteur de lait en Agriculture Biologique installé depuis 2000.
La visite de cette ferme a permis aux responsables professionnels d’attirer l’attention du Préfet sur les importants volumes d’investissements dans les bâtiments réalisés par les jeunes qui s’installent. Ne possédant que des bâtiments anciens dont la capacité était insuffisante, Philippe Gire a décidé de construire une nouvelle stabulation pour ses vaches laitières dont le coût atteint 330 000 euros, un très lourd investissement qui, d’après la Chambre d’Agriculture, est monnaie courante en Haute-Loire pour un bâtiment bien équipé.
Une trésorerie tendue
Le CER France Haute-Loire a présenté les résultats économiques de cette exploitation. Victime de quelques accidents de cheptel (perte de 6 vaches) et de la sécheresse qui a réduit sa récolte de céréales (-15qx sur les rendements) et a donc empêché l’éleveur de commercialiser une partie de sa récolte, Philippe Gire a enregistré une perte sur les produits de l’exploitation.
Dès novembre 2008, le prix du lait bio a diminué ; même si le lait bio lui est acheté plus cher (+92 e/Tonne de plus-value moyenne par rapport au lait conventionnel), la perte de revenu est réelle.
Toujours d’après le CER, la marge de sécurité de cette exploitation est insuffisante ; d’ailleurs si le prix du lait bio est payé 330 e/1000L sur l’exercice, cette marge s’annulera.
La trésorerie de cette exploitation est tendue et dans ces conditions, les nombreux projets d’investissements (achat d’un nouveau tracteur, investir dans du séchage en grange) de ce jeune éleveur ne peuvent être réalisés.
Les responsables professionnels ont rappelé que certes l’agriculture biologique apporte une plus-value mais elle impose aussi une technicité bien supérieure à l’agriculture conventionnelle.
Ovins : l’élevage du secteur s’éteint
Raymond Gagne, délégué cantonal du Monastier, a fait le point sur la santé des autres productions du secteur ; en ovins, l’élevage s’éteint peu à peu et les éleveurs auraient grand besoin d’une avance sur les aides prévues dans le cadre du rééquilibrage des aides décidé par le gouvernement. «Le risque est de voir disparaître une filière organisée, ce qui annonce la fin de la production» a souligné Gilbert Guignand.
Les responsables professionnels ont montré du doigt les fabricants d’aliments qui vendent toujours aussi cher leur aliment alors que le prix des céréales a diminué.
Raymond Gagne a ensuite regretté la disparition progressive des chevillards et la reprise en main des grands groupes sur le marché de la viande ; une évolution qu’il juge inquiétante.
Le cas du porc
Maurice Imbert, président de la section porcine de la FDSEA, a profité de cette rencontre avec le Préfet pour lui parler de la crise porcine que subissent les éleveurs depuis 2006. Pour un élevage moyen, les pertes financières s’élèvent en moyenne à 100 000 euros. Des pertes compensées par des prêts courts terme ou de l’endettement.
Cette année, la reprise estivale des cours tant attendue n’a malheureusement pas eu lieu ; les prix de la viande ont baissé de 20 centimes d’euros par rapport aux années précédente, ce qui représente une perte de -20 e par porc.
«Pourtant dans notre région, la demande en porc est très soutenue ! Le problème vient en réalité du prix du cadran breton qui ne s’avère pas représentatif par rapport au commerce régional» a expliqué Maurice Imbert. Les éleveurs de porcs ont également subi de plein fouet la sécheresse qui a induit des retards de croissance sur le cheptel, se traduisant par des pertes de revenu.
Maurice Imbert a demandé au Préfet d’organiser une rencontre avec les abatteurs du département en vue de tenter d’établir un autre prix de base. Le Préfet a accepté cette demande.