L’importance de se baser sur les données observées
Si le secteur agricole, l’un des premiers à subir de front le changement climatique, réfléchit aux adaptations nécessaires pour préparer l’avenir, les données observées sur le terrain diffèrent de celles utilisées dans les modèles de projection qui servent pourtant de base de travail. Or, ces divergences peuvent avoir des conséquences très importantes dans les choix à effectuer pour adapter les systèmes d’exploitation.
Entre les modèles de projection utilisés pour anticiper les conséquences du changement climatique, et les observations sur le terrain, de grosses divergences existent, a expliqué Vincent Cailliez, climatologue, à l’occasion de l’assemblée générale de la Fédération nationale des groupes de développement agricoles (FNGeda) le 4 avril. L’expert, qui a travaillé pour Météo France pendant plusieurs années, est désormais responsable du projet AP3C, un projet de recherche et développement innovant et ambitieux pour l’adaptation des systèmes d’exploitation au changement climatique dans le Massif central. Le projet réunit les chambres d’Agriculture, les coopératives, et de nombreux acteurs agricoles de la zone. Il est le seul à utiliser les données observées aujourd’hui sur le terrain pour mieux anticiper les conséquences du changement climatique. Or, le delta peut être particulièrement important : ainsi, l’augmentation des températures serait, d’après les données empiriques, quatre fois plus rapide que ce que décrivent les projections. Même plus minimes, ces divergences peuvent avoir des conséquences très importantes. Par exemple, les modèles prévoient au printemps une légère augmentation de la température, et une légère augmentation des précipitations, ce qui peut paraître positif pour l’agriculture, et ne nécessiterait pas de se pencher sur l’adaptation nécessaire. Mais lorsque l’on regarde les données recueillies dans le cadre du projet AP3C, il y aurait en fait une forte augmentation des températures, et une légère baisse des précipitations, un scénario beaucoup plus catastrophique pour l’herbe.
Applications agronomiques du projet AP3C
À partir de ces données observées, trente indicateurs agronomiques ont été définis pour réaliser des projections à 2050. Par exemple, le ratio entre les précipitations/ETP pour la mise à l’herbe était, en 1980, de 1,52. Il est aujourd’hui de 1,14, et serait de 0,77 en 2050. Autre exemple, le ratio précipitations/ETP pour la fauche du foin est passé de 1,08 en 1980 à 0,83 aujourd’hui et serait à 0,58 en 2050. Conséquence pour l’élevage : « on va conseiller de plus en plus d’abandonner le foin et de passer à l’ensilage pour plus de sécurité », indique Vincent Cailliez. Parmi les autres indicateurs figurent également le nombre de jours où la température dépasse les 32 °C entre le 1er juin et le 30 septembre pour le maïs, un nombre de jours passé de 10 en 1980 à 26 en 2015, et prévu à 45 en 2050. Si certaines zones seront favorisées par le changement climatique, comme la moyenne montagne, ce sera loin d’être la majorité de l’agriculture française. Cependant, les agriculteurs peuvent envisager de nouvelles cultures, qui n’étaient auparavant pas réalisables dans leur zone – du soja en Normandie, par exemple, car le climat se décale de 100 à 150 km tous les 10 ans – mais à condition d’augmenter la technicité des exploitations, estime le météorologue. Et cela pose également la question de l’accès à l’eau, dans un contexte actuel de blocage des projets de territoires. Car si les agriculteurs, qui subissent de plus en plus fréquemment les aléas climatiques et des plafonnements de rendement, sont parfaitement conscients de la réalité du changement climatique, la prise de conscience collective n’a toujours pas eu lieu… Or, quand on se base sur l’observation des données actuelles, comme dans le projet AP3C, les températures prévues en 2040 dans les projections sont en réalité celles que l’on observe déjà aujourd’hui sur le terrain.