En voie de disparition
L'outarde canepetière n'est pas tirée d'affaire
Passionnée par l’outarde canepetière, Carole Attié essaie de sauver depuis dix ans cet oiseau migrateur proche de l’extinction en élevant des jeunes nés en captivité.
Les années sont peut-être comptées pour l’outarde canepetière. Cet oiseau discret des plaines céréalières, qui chaque année fait l’aller-retour entre l’Espagne et la France, est de plus en plus rare dans les régions qui l’accueillent encore d’avril à fin octobre. À la fin des années 70, en Poitou-Charentes, la population était estimée à plus de 6500 mâles chanteurs. Entre 1978 et 2004, l’effectif a chuté de 95 %. Il y subsisterait 600 individus, dont 300 mâles. La région Centre ne comptabiliserait plus qu’une trentaine de mâles. Dans le Sud (Languedoc, Provence, plaine de Crau) une population forte de quelques milliers d’individus non migrateurs réside à l’année. L’effectif français d’outardes canepetières serait de l’ordre de 3000 individus.
LES RAISONS DU DÉCLIN
Pour Carole Attié, de la ligue de protection des oiseaux (LPO), les raisons du déclin sont multiples. Elles sont toutes liées à des pratiques agricoles intensives défavorables : perte de la mosaïque des cultures, réduction des surfaces en jachère et des terrains avec une couverture végétale de type herbacé, agrandissement des parcelles, raréfaction des ressources alimentaires et fauchage des prairies au moment de la reproduction. Selon le centre d’études biologiques CNRS de Chizé (79), tout cela se concrétise par un taux de reproduction naturelle d’environ un demi-jeune envolé par femelle et par an, alors qu’avec un jeune par an, la population pourrait être stabilisée. Carole Attié est la coordonnatrice du second programme européen Life qui consacré à la réalisation de l’élevage des outardes à des fins de repeuplement. Son but était de compenser la baisse de la productivité naturelle et de reconstituer un stock. Depuis cinq ans, d’avril à octobre, le rythme de vie de Carole Attié s’est calqué sur le cycle de reproduction de l’outarde.
RÉCUPÉRER DES OEUFS DANS LA NATURE
La biologiste-éleveuse a commencé par incuber des oeufs prélevés dans la nature, issus de nids détruits accidentellement par les travaux agricoles ou collectés par des ornithologues. « C’était un travail de fourmi souligne Carole Attié. En quatre mois, à six personnes, on n’a pas pu repérer plus de trente nids dans les zones connues pour abriter des outardes! » Mais c’était une étape incontournable pour constituer un cheptel de reproducteurs élevés en captivité. La piste des outardes espagnoles, beaucoup plus nombreuses qu’en France, a été testée mais abandonnée : une fois lâchées, celles-ci ne migraient pas et disparaissaient l’hiver, faute de nourriture. Depuis deux ans, une vingtaine de couples nés et élevés en captivité est installée dans des volières du parc animalier de la Haute- Touche (Indre), propriété du muséum d’histoire naturelle de Paris et partenaire du projet. Les oeufs issus de ponte en captivité sont expédiés au centre d’élevage de Villiers-en-Bois. Celui-ci est situé près de zones à outardes et à proximité du CNRS de Chizé où travaillait précédemment Carole Attié. Le centre d’élevage abrite également cinq couples de reproducteurs. Une bonne reproduction en captivité repose sur une imprégnation suffisante. Pour fournir des oeufs fertiles, les oiseaux ne doivent pas craindre l’homme. « Durant l’automne et l’hiver, je vais régulièrement dans les volières. Faute de quoi, les reproducteurs sont stressés au moment des pontes », assure la coordinatrice. S’ajoute le maintien des couples, fidèles d’une saison à l’autre. Dans ces conditions, les taux d’éclosion atteignent facilement les 80 %. Au total, 180 oeufs ont été récoltés cette année. Une couvée atteint normalement quatre ou cinq oeufs. Pour ne pas épuiser la femelle, une seule ponte est prélevée par saison. En cas de nouvelle, celle-ci est laissée sous la mère. Pour Carole, même si c’est techniquement plus efficace, il n’était pas question de pratiquer l’insémination artificielle et l’élevage en cage individuelle, comme c’est le cas au Maroc pour les outardes houbara.
DES HEURES À NOURRIR LES OISILLONS
L’incubation naturelle dure 21 à 22 jours. Après l’éclosion dans les incubateurs du centre de Villiers-en-Bois, la phase la plus cruciale commence. Les oisillons sont incapables de se nourrir seuls. Les trois premiers jours sont primordiaux. Bien qu’elle soit secondée par trois soigneurs, de 7 heures du matin à 10 heures du soir, week-end compris, Carole Attié passe ses journées d’été à nourrir ses oisillons. Toutes les heures, on leur présente des vers de farine et des criquets un par un, comme le ferait leur mère. En pic de démarrage, jusqu’à 15000 criquets sont distribués par semaine. « Les oisillons sont facilement stressés. Si le soigneur s’impatiente, ils le sentent et arrêtent de manger, donc ils s’affaiblissent. » En quelques jours, le rythme passe à un repas toutes les deux heures.Vers 20 jours les poussins sont sortis de la salle de démarrage vers une volière.Dés lors, ils seront nourris plusieurs fois par jour d’un mélange de granulés, de coquilles d’huitre et de vers de farine.
UN APPRENTISSAGE PERMANENT
Les volières d’élevage comprennent les oiseaux destinés à devenir des reproducteurs et ceux qui seront relâchés à la fin de l’été. Bien que ces derniers aient encore besoin d’apprendre quelle nourriture naturelle leur convient, les soigneurs veillent à limiter les contacts avec ces oiseaux. C’est pourquoi le lâcher final est précédé d’une quinzaine de jours passés dans une volière de pré-lâcher implantée à proximité d’une bande d’outardes sauvages. « C’est indispensable, afin que ces jeunes puissent intégrer un groupe constitué, qu’ils continuent à apprendre comment se débrouiller, qu’ils découvrent aussi où se trouvent les autres bandes et le chemin du retour », résume la biologiste. Carole Attié va chaque jour alimenter les deux volières installées. Cette année, elle compte lâcher une cinquantaine d’outardes, autant qu’en 2008. Un chiffre à comparer aux 600 individus sauvages comptabilisés dans la région. Un certain soir d’octobre —« on ne sait jamais lequel et pourquoi celui là » — les outardes se rassemblent et partent pour l’Espagne et le Portugal. Chaque année, Carole Attié attend de retrouver les jeunes bagués de la saison précédente. Elle espère qu’ils pourront survivre dans un milieu naturel de plus en plus hostile.