Les virus de l’influenza aviaire deviennent endémiques
L’adaptation génétique des virus influenza de la lignée 2.3.3.4.B et leur circulation estivale persistante dans l’avifaune font craindre aux scientifiques leur installation permanente dans le compartiment des oiseaux sauvages.
« Les épizooties d’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) de 2021-2022 ont révélé un niveau inédit de diversité génétique des virus, a souligné Axelle Scoizec, épidémiologiste à l’Anses, lors d’une conférence au Space. Huit sérotypes différents ont été détectés au cours de l’épizootie, avec des variations génétiques en leur sein, suggérant plusieurs introductions primaires. » Fait inquiétant, un neuvième sérotype (FR9) a été détecté cet été sur des laridés (goélands, sternes…) et dans deux élevages en Normandie. « Il résulte de réassortiments entre un virus H5N1 et un virus IA sauvage faiblement pathogène », d’après Gilles Salvat de l’Anses. « Les souches issues de la lignée 2.3.3.4 B se caractérisent par une très grande variabilité génétique, ajoute Axelle Scoizec, entraînant le risque d’une forte circulation dans l’avifaune sauvage et un risque élevé d’augmentation de sa variabilité dans les élevages. » En d’autres termes, cette famille de virus évolue rapidement et surprend à chaque nouvelle saison.
Plus de pause virale estivale
Les détections dans l’avifaune ont été très élevées durant les deux saisons précédentes. « Du jamais vu », avec des mortalités importantes en 2021-2022 dans des populations regroupées. En France, le nombre de détections a été très élevé, avec des mortalités inédites et de nouvelles espèces affectées (vautours, fous de Bassan…). De nouveaux territoires ont aussi été atteints (Espagne, Portugal, Islande).
L’autre nouveauté est la permanence estivale des détections, aussi bien en France qu’en Europe. « Depuis juin dernier, le virus circule activement dans l’avifaune sauvage, principalement sur les laridés (sérotype FR9) et les Fous de Bassan (sérotype FR1), confirmant l’endémisation de la lignée 2334b dans l’avifaune sauvage », indique Axelle Scoizec. Toute la façade maritime française a été progressivement touchée de Dunkerque à Saint-Jean-de-Luz.
Dans ces conditions, il n’est pas surprenant de détecter beaucoup plus tôt des infections de basses-cours ou d’élevages plus ou moins proches des zones côtières. Et depuis septembre, les détections s’enfoncent dans le territoire (Ain, Indre et Loire, Maine et Loire, Meuse) suggérant une extension virale à bas bruit. En Allemagne, aux Pays Bas et au Royaume Uni, les infections s’intensifient bien que les migrateurs venus de Sibérie et de Russie n’aient pas fait leur apparition. « Ils arriveront en octobre, déclarait le 16 septembre la scientifique néerlandaise Nancy Beerens. C’est un risque important, mais pour le moment nous ne pouvons pas faire de prévisions, faute de nouvelles venant de Russie. »Aéroportage plus important
La saison passée, toutes les introductions primaires en élevage n’ont pas abouti à des contaminations entre élevages. « Au moins onze fois, la diffusion a été maîtrisée. Mais deux à trois introductions virales ont conduit aux diffusions massives dans le Sud-Ouest, les Pays de la Loire, le Centre Ouest. »
La voie aéroportée semble avoir été plus importante que dans les années précédentes, sans doute facilitée par les opérations d’euthanasie et dépeuplement générant beaucoup de poussières contaminées. « La diffusion s’est faite en tache dans le sens des vents dans plusieurs zones, dans le Sud-Ouest fin décembre, et dans le Centre Ouest » rapporte Axelle Scoizec. Le rôle de la livraison de canetons est encore à l’étude. « Il y a un cas très probable en Bretagne, trois possibles en cours d’investigation et onze cas peu à très peu probables. » Entre le 20 février et le 9 mai, 550 lots sont partis de la zone réglementée (ZR) vers la zone indemne (ZI). Le faible nombre de cas plaide en faveur de la diffusion spatiotemporelle de l’épizootie. « Même si la livraison de canetons constitue un risque majeur de contamination de zones indemnes, son occurrence est peu élevée en regard du nombre de lots livrés. »
La menace zoonotique
La transmission de l’IAHP à l’homme nécessiterait la capacité des virus à franchir la barrière d’espèce, par mutations et réassortiments avec d’autres virus d’influenza (aviaires, porcins, humains).
La lignée 2.3.4.4.B a connu de très nombreux réassortiments avec d’autres virus IA, avec des cas humains en Chine, en Russie, aux USA. Des franchissements à d’autres mammifères sont aussi constatés depuis août 2021 (renard, blaireau, porc, dauphin…). Des phoques ayant consommé des oiseaux marins ont été infectés cet été.
« La plus grande vigilance s’impose quant au risque zoonotique », estime Axelle Scoizec. Des recommandations ont été émises par l’Efsa pour surveiller des mammifères (porcs notamment) et les populations potentiellement exposées à ces virus (éleveurs, intervenants), conseiller le port d’équipements de protection et la vaccination contre la grippe humaine (pour éviter les réassortiments).