La filière œuf au rendez-vous de l’ovosexage
Poussée par les décisions franco-allemandes de 2019 d’interdire l’élimination des poussins mâles à la naissance dès 2022, la filière d’œuf de consommation commence à se mettre en ordre de marche pour faire passer toutes ses futures poulettes à travers le crible de l’ovosexage.
Poussée par les décisions franco-allemandes de 2019 d’interdire l’élimination des poussins mâles à la naissance dès 2022, la filière d’œuf de consommation commence à se mettre en ordre de marche pour faire passer toutes ses futures poulettes à travers le crible de l’ovosexage.
La question n’est plus de savoir si l’ovosexage des embryons de poule est possible ou bien quand il s’appliquera, mais quelle technique choisir pour l’appliquer en 2022. C’est ce qu’a bien fait ressortir le webinaire de l’Itavi organisé fin avril sur cette problématique. Aujourd’hui, l’élimination des poussins mâles (50 millions en France et 7 milliards dans le monde) est devenue inacceptable pour la société.
On ne peut plus faire naître « inutilement » ces coqs de ponte et la filière doit apporter des alternatives. Entre leur élevage, l’utilisation de souches mixtes chair-ponte et l’ovosexage, déterminer le sexe au cours du développement est la solution qui a la préférence des professionnels de l’œuf ; avec le rêve que cette opération puisse un jour être réalisée avant même la mise en incubation. Pour l’instant, nous n’en sommes pas là.
Un défi technologique relevé
Maxime Quentin, directeur scientifique de l’Itavi, dénombre à peu près une vingtaine de projets d’ovosexage à travers le monde, plus ou moins avancés et reposant sur trois catégories de techniques.
L'"édition de gene" est la technique qui répondrait tout de suite au rêve des accouveurs, basée sur l’introduction d’un gène fluorescent sur un chromosome sexuel Z. Chez les oiseaux, la femelle est WZ (XX chez la femme) et le mâle ZZ (XY chez l’homme). Croisée avec un mâle ZZ normal, une poule parentale génétiquement modifiée sur son chromosome Z donnerait des issus mâles tous détectables précocement. Maxime Quentin doute de son acceptabilité sociétale, même si la poulette conservée n’est pas un OGM.
La femelle OGM ZW porteuse du gene Z fluorescent est croisée avec un coq normal. Tous les descendants mâles ZZ seront fluorescents et les femelles seront ZW non OGM - source Itavi d'après Lee (2019)
Restent deux autres types de solutions, celles invasives (percement de la coquille nécessaire) qui prélèvent et analysent des composés permettant de différencier les sexes (hormones sexuelles, ADN, glucose, acides aminés…) et celles non invasives basées sur l’analyse de spectres (spectrométrie Raman, Fluo, imagerie hyperspectrale…).
Lire aussi : Avec Cheggy, l'ovosexage à grande échelle
La méthode invasive déjà commercialisée est Seleggt (par la société Respeggt), tandis que Cheggy est la méthode non invasive de AAT, filiale du détenteur des sociétés de sélection Hy-Line et Lohmann. Un troisième outsider – In Ovo – vient d’annoncer la commercialisation de sa technique Ella dans un couvoir des Pays Bas.
Chaque solution a ses plus et ses moins, en termes de rapidité d’exécution, de fiabilité et d’âge de détermination. Aucune n’a d’effet négatif sur les performances des poules ovosexées, mais il reste à mieux connaître les performances du sexage avec la durée de stockage des œufs à couver et avec l’âge des reproductrices. La méthode Cheggy est pour l’instant inopérante sur les souches blanches (15 % du cheptel français).
Flou sur la conscience de l’embryon
Ces procédés étant à l’aube de leur développement industriel, leurs performances vont sans doute s’améliorer dans les prochains mois et années. Tout comme le coût du sexage qui fluctuerait actuellement de 1 à 3,30 euros par poule reproductrice.
Avant d’investir avec l’aide probable du plan de Relance, les accouveurs ont besoin d’être sûrs que la technologie sera suffisamment pérenne pour rentabiliser leur choix. Si ce coût reste un critère important, ce n’est pas le seul.
Une question éthique fait encore débat. À partir de quel âge l’embryon a-t-il conscience de la douleur ? En Allemagne où le sujet est très sensible dans l’Opinion, le seuil des 6 jours à ne pas dépasser commence à être évoqué.
L' évolution de la sensibilité de l'oeuf embryonné fait apparaitre une vaste zone grise de non connaissance entre 7 jours et 14 jours au moins
Selon Maxime Quentin, les avis scientifiques divergent. Une approche anatomique définit à 7 jours le moment où la connexion entre nerf et cerveau se fait, donc la possibilité de ressentir quelque chose. En revanche, du point de vue fonctionnel, l’encéphalogramme (ECG) de l’embryon reste plat jusqu’à 17-18 jours. Or c’est ce qui prouverait le mieux l’existence d’une conscience. Va-t-on appliquer le principe de précaution à 7 jours ou se fier à l’ECG à 17 jours ?
Acceptabilité incertaine mais surcoût assuré
Qu’en pensent les consommateurs ? Plus informés sur cette problématique, les consommateurs allemands acceptent largement l’ovosexage (11 % sont contre), 41 % sont sensibles à l’âge du sexage et 75 % sont très sensibles au prix. La question se posera aussi en France et il est probable que les réponses seront proches.
Selon leurs réponses aux tests d'acceptabilité des alternatives à l'élimination à la naissance, les consommateurs allemands se rangent au moins dans quatre catégories - source Itavi d'après Reithmayer et Mubhoff 2020
Quelle que soit la méthode choisie, l’ovosexage engendre un surcoût (évalué à 4 % du chiffre d’affaires à répercuter pour la filière). C’est possiblement une source de distorsions de concurrence avec les pays qui ne le feraient pas. Ce pourrait être un combat entre les pays du nord de l’Europe et ceux du sud et de l’est, à moins qu’une réglementation européenne impose cette technologie ou encore l’étiquetage « œufs issus de poules non ovosexées ».
Bâtir une feuille de route
En théorie, la fin de l’élimination des poussins mâles devrait être effective en France et en Allemagne à partir du 1er janvier 2022. En France, il semble peu probable que le couperet tombera le 1er janvier.
L’interprofession (CNPO) a évoqué cette problématique dès 2018 dans son plan de Filière. L’annonce franco-allemande a accéléré les réflexions depuis novembre 2020, à travers le projet Yoong. Cette étude en cours fait l’état des connaissances et surtout étudie tous les impacts (technique, économique, éthique, environnemental… ) pour les partager entre tous les maillons.
Yoong devrait déboucher sur la feuille de route qu’a demandée le ministre de l’Agriculture Denormandie au CNPO. Par ailleurs, ce projet prévoit d’explorer la problématique de la perception de la douleur (en 2022) et d’étudier plus précisément l’alternative des souches à « double fin » (chair et ponte).