Le dosage de l’acide gluconique, indicateur objectif de l’état sanitaire de la vendange
L’ICV a développé une nouvelle méthode d’analyse de l’acide gluconique dans les moûts et vins. Son taux permet de se faire une idée objective de l’état sanitaire de la vendange.
L’ICV a développé une nouvelle méthode d’analyse de l’acide gluconique dans les moûts et vins. Son taux permet de se faire une idée objective de l’état sanitaire de la vendange.
Doser l’acide gluconique pour se faire une idée de la qualité n’est pas un concept nouveau en œnologie. Mais l’Institut coopératif du vin (ICV) a décidé de reprendre les travaux sur cette méthode il y a cinq ans environ. « Notamment face à l’augmentation des sélections parcellaires en cave », indique Daniel Granès, directeur scientifique à l’ICV. L’acide gluconique est produit par les champignons qui s’attaquent à la baie de raisin, et n’est pas transformé pendant la fermentation alcoolique. Les mesures réalisées dans le cadre de différentes recherches, notamment à l’Agroscope de Changins en Suisse, montrent qu’il existe une bonne corrélation entre la teneur en acide gluconique et les perforations de vers de grappe. Et on observe la même chose avec la présence de botrytis : plus son intensité sur grappe est élevée, plus la concentration d’acide gluconique est importante. Pour les vendanges 2022, l’ICV propose donc un service d’analyse de ce composé, sur raisin, moût ou même sur vin fini. « Il existait jusqu’ici une méthode optique mais peu précise sur moût et non fonctionnelle sur vin. Nous nous sommes donc attelés à valider une méthode enzymatique dans nos laboratoires, qui a l’avantage de fonctionner sur toutes les matrices », relate Daniel Granès.
Le directeur scientifique voit deux stratégies d’usage. Soit pour évaluer l’état sanitaire du raisin avant les vendanges, soit pour avoir un regard sur la qualité du vin a posteriori, afin de guider les assemblages. « C’est difficile de demander aux personnes qui réalisent les prélèvements de raisin lors des contrôles de maturité d’estimer l’état sanitaire, remarque Daniel Granès. Tous ne sont pas formés pour. De plus il y a une part de subjectivité, tout le monde n’a pas le même référentiel. L’analyse de l’acide gluconique amène un critère objectif. » Un prélèvement avec cette analyse une semaine avant récolte par exemple, sur l’ensemble des parcelles d’une gamme donnée, peut aider à faire des sous-groupes. Ou bien en commençant dès les premiers suivis de maturité, cela permet d’avoir une vue dynamique de l’évolution de la qualité sanitaire. « Si j’ai une valeur stable dans l’été, puis qui se met à augmenter, je peux décider de ne pas pousser les maturités voire d’anticiper la récolte », illustre l’expert.
Un critère pour aider à piloter les vinifications
C’est d’ailleurs ce suivi dynamique qu’il trouve le plus intéressant. D’autant plus que le dosage peut être fait sur les analyses de contrôle maturité classiques, en même temps que les autres paramètres. « La limite d’une mesure ponctuelle, c’est qu’il y a pu avoir un développement de microorganismes en début de saison, qui a ensuite été maîtrisé et ne cause pas de problème, mais la teneur sera toujours là », argumente-t-il. Dans le barème établi en Suisse, les chercheurs considèrent qu’il n’y a aucune incidence en dessous de 0,20 gramme d’acide gluconique par litre. La zone entre 0,20 et 0,40 g/l doit attirer l’attention sur d’éventuels problèmes, et celle entre 0,4 et 1 g/l trahit généralement une anomalie. Et être au-delà n’est pas souhaitable…
Outre le classement des lots et la date de récolte, cette analyse peut aussi aider à piloter les vinifications. L’ICV s’est rendu compte en 2021, en classant les valeurs d’acide gluconique par date de récolte, que la concentration augmentait avec le temps. Aussi les conseillers ont conclu qu’il valait mieux gérer différemment les vinifications en fin de vendange : levurer plus tôt, réaliser des vérifications sensorielles systématiques les premiers jours…
Sur vins, une telle analyse est intéressante pour faire un retour a posteriori. Ce qui permet par exemple de tirer la sonnette d’alarme si on constate une baisse du niveau de qualité sanitaire d’un secteur ou d’un cépage. Mais aussi d’avoir une information supplémentaire pour guider les assemblages. C’est pourquoi l’ICV préconise de faire cette analyse assez tôt, avant la fin de l’année. « D’autre part, un niveau élevé d’acide gluconique veut dire qu’il a pu y avoir, potentiellement, des problèmes d’Aspergillus, ajoute Daniel Granès. Une analyse d’identification d’ochratoxine A coûte cher, ce paramètre permet de faire un premier tri dans les lots à faire analyser. »
L’ICV cible davantage les vignerons et les coopératives, dans le cadre d’optimisation des process. Le négoce ou la distribution se basent encore avant tout sur la dégustation sensorielle pour évaluer de la qualité. L’analyse seule coûte un peu moins de 10 euros. Elle revient moins cher lorsqu’elle est comprise dans un pack. « Je pense qu’elle trouvera toute sa place, car on observe de plus en plus de problèmes de vers de grappe, estime Daniel Granès. Les vols sont plus étalés. Sans compter la montée en puissance de Cryptoblabes, qui a un comportement chaotique et contre lequel il est dur de lutter. De même, il y a davantage de gros orages : paradoxalement j’ai le sentiment que le changement climatique entraîne des années à botrytis plus fréquentes. Dans ce cadre, l’analyse de l’acide gluconique est pertinente. »
Témoignage : Pierre Amiot, directeur de la coopérative Mont-Tauch, dans l’Aude
« Le but est d’améliorer les modalités de sélection »
« Nous n’avons pas encore beaucoup de recul puisque seules les analyses sur vins étaient disponibles l’an dernier. Mais c’est venu corroborer ce que nous avions constaté lors des fermentations alcooliques, 2021 étant une année où il y a eu des attaques sur grappe. En 2022, nous ferons des analyses d’acide gluconique en amont des vendanges, lors des contrôles de maturité. En espérant adapter les processus aux raisins, mais aussi gagner en qualité. Pour l’instant nous n’allons cibler que les sélections premium, car le coût n’est pas négligeable. Nous verrons avec le temps si cet outil est pertinent. Cela pourrait devenir, un jour, un critère de notation objectif pour discriminer les qualités et adapter les rémunérations des coopérateurs. Avec l’arrivée du vers Cryptoblabes, difficilement décelable au vignoble, je pense que ça ne peut être qu’un plus. »