Soja : pourquoi on peut désormais le cultiver (presque) partout en France
Le changement climatique et la sélection de variétés plus précoces permettent désormais de produire du soja sur une grande partie de l’Hexagone. La culture s’affranchit de la région sud et de l’Alsace.
Le changement climatique et la sélection de variétés plus précoces permettent désormais de produire du soja sur une grande partie de l’Hexagone. La culture s’affranchit de la région sud et de l’Alsace.
« Depuis 2012, les surfaces de soja en France ont été multipliées par cinq pour atteindre 180 000 hectares en 2020 et 165 000 hectares en 2021(1), principalement du fait du développement dans de nouvelles régions », indique Matthieu Charron, ingénieur développement soja Grand Ouest à Terres Inovia.
Historiquement, le soja était principalement cultivé dans le Sud-Ouest, en Midi-Pyrénées et sud Aquitaine. On le trouvait aussi dans le Centre-Est, en Bourgogne Franche-Comté et nord Rhône-Alpes. Depuis plusieurs années, la culture s’est étendue en Poitou-Charentes et dans le sud des Pays de la Loire. Aujourd’hui, poussées par la recherche d’autonomie protéique et par le développement de filières sans OGM, les régions encore plus au nord s’y intéressent, jusqu’au Nord-Pas-de-Calais.
Le changement climatique est un facteur essentiel de cette évolution. « Le soja est une plante tropicale, rappelle Matthieu Charron. Son zéro de végétation est de 6°C. Et le plus important est la somme de températures en été. Or, depuis dix ans, les sommes de températures en France sont de plus en plus élevées. »
Selon le projet européen Legvalue, même dans les scénarios de réchauffement modéré, les rendements en soja en 2050 pourraient dépasser 20 quintaux/hectare dans quasiment tout le nord du pays, excepté à la pointe ouest de la Bretagne et sur le littoral de la Manche. « Les projections climatiques, notamment l’augmentation des températures moyennes l’été et l’hiver, permettent d’envisager la culture du soja plus au nord, indique Philippe Debaeke, d’Inrae. Des taux de CO2 plus importants dans l’atmosphère favorisent aussi son rendement. »
En pratique, le changement climatique devrait entraîner des taux de levée plus importants, du fait de conditions plus chaudes et plus sèches et de la possibilité de semer plus tôt. La phase semis-levée sera raccourcie en semis précoce. Des conditions moins humides en fin d’été-automne favorisent également de bonnes conditions de récolte.
Des variétés de plus en plus précoces
Autre facteur déterminant dans la conquête septentrionale du soja : la sélection de variétés plus précoces, 000 voire 0000. Les semenciers français Lidea et RAGT Semences proposent désormais plusieurs variétés de ce type. « Ces dernières années, de gros efforts de sélection ont été portés sur les variétés très précoces, souligne Bernard Gourgues, chef de marché soja chez Lidea. Il y a aujourd’hui des variétés cultivables dans le Grand Ouest, le Bassin parisien, les Hauts-de-France, l’Est… avec des potentiels de rendement de 30-35 quintaux/hectare et des taux de protéines de 40 %, ce qui permet une bonne rentabilité pour l’agriculteur. »
Lidea propose sept variétés 000, dont les nouveautés Conductor, Collector, Chancellor, Compositor et Bachelor, adaptée à l’alimentation humaine. Depuis six ans, Saatbau, sélectionneur autrichien, propose également des variétés de soja adaptées au nord de la France. « Historiquement, Saatbau sélectionne des variétés de soja pour les pays de l’Est au climat continental, explique Jean-Philippe Courreau, représentant du semencier pour la France. Notre génétique est axée sur un bon démarrage en printemps froid et sur la tolérance à la chaleur. Depuis quelques années, nous proposons des variétés cultivables au nord de la France en culture principale et en deuxième culture dans le Bassin parisien, la Bourgogne… » Le semencier propose notamment la variété Ambella (0000) et les variétés 000 Abaca et Abelina. Deux nouvelles inscriptions 000 sont attendues en 2021.
Ces variétés nécessitent cependant un besoin en températures de 1300°C-1400°C et un sol à 10-12 °C pour lever, ce qui ne permet pas d’avancer nettement les semis. Avec l’objectif de récolter au plus tard mi-octobre, ce cycle raccourci pénalise les composantes de rendement (ramifications, nombre de gousses, PMG). Face à des variétés tardives qui produisent 50 quintaux/hectare sans irrigation dans le Sud-Ouest, la moyenne des variétés 000 implantées au nord avoisine 20-30 quintaux/hectare, un peu plus dans l’Est, où les étés sont chauds. « Au nord, le soja ne peut s’envisager sur de grandes surfaces, estime Bernard Gourgues. Mais dans des zones assez arrosées, sans besoin d’irrigation, il peut s’inscrire dans une rotation. »
L’eau devient le premier facteur limitant
Dans ces nouvelles régions, des producteurs se lancent dans le soja, souvent soutenus par des programmes régionaux de recherche-développement. Des négociants (comme Jeusselin en Sarthe) et des coopératives accompagnent ces agriculteurs pionniers. « Val’France est très axée sur les produits filières, indique Hugues Desmet, responsable collecte de Val France. Depuis quelques années, il y a une dynamique autour du soja dans la région. Les aléas climatiques sont de plus en plus fréquents et des agriculteurs veulent diversifier leurs cultures. Le soja ne représente encore que 2000 tonnes sur 800 000 tonnes de collecte, mais nous l’accompagnons. Nous avons fait des essais, trouvé des débouchés, nous vendons des semences, des intrants. Si le soja se développe dans la région, nous sommes prêts. »
L’accès à l’eau, dont le soja est très gourmand notamment en fin de cycle, pourrait devenir le principal problème. Les sols bretons et normands disposent en général de bonnes réserves utiles, mais ce n’est pas le cas dans certaines zones des Pays de la Loire, de l’Est et des Hauts-de-France. « Dans les Hauts-de-France, le premier facteur limitant pour le soja n’est plus les sommes de températures mais l’eau, confirme Nicolas Latraye, de Terres Inovia. La majorité des agriculteurs n’irriguent pas. Et les parcelles profondes ou irriguées sont en général réservées à la pomme de terre, culture à plus haute valeur ajoutée. »
Les nouvelles régions à la loupe
Pays de la Loire : les surfaces de soja augmentent depuis quelques années en Vendée (1 000 ha), Maine-et-Loire, Sarthe et des essais sont menés en Mayenne.
Normandie : environ 100 hectares sont cultivés dans le cadre d’une filière associant la coopérative de Creully et l’OP des Trois-Vallées (producteurs de lait Danone), avec des variétés 000 voire 0000.
Bretagne : une centaine d’hectares sont cultivés avec les variétés les plus précoces des 000, le cycle s’étalant entre le 1er mai et le 30 septembre. « Comme le soja est gourmand en eau et que les sols bretons ont de bonnes réserves utiles, il est désormais possible de cultiver du soja en Ille-et-Vilaine, Morbihan, sud Finistère », indique Matthieu Charron.
Hauts-de-France : la production se développe surtout dans le sud de la région, (Oise, Aisne, limite Seine-et-Marne) sur 200 à 400 hectares selon les années. Une cinquantaine d’hectares sont aussi cultivés en Nord-Pas-de-Calais, principalement par des éleveurs pour l’autoconsommation.
Bourgogne-Franche-Comté : « Le soja est cultivé depuis longtemps dans la région, notamment dans les plaines aux terres profondes où il bénéficie de l’irrigation développée pour les légumes et de la valorisation par l’usine de trituration Extrusel, indique Louis-Marie Allard, de Terres Inovia. Les surfaces ont augmenté de 30 000 hectares depuis 2012 dans les zones historiques où il peut remplacer le colza, et plus au nord (Yonne, Bassin parisien), avec des variétés 000. Ces variétés sont aussi utilisées en dérobé, par exemple après une orge d’hiver ou un oignon. »