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Sept points clés pour la conduite des chèvres en lactation longue

Conduire des chèvres en lactation longue, surtout si elles représentent une proportion importante dans le troupeau, ne peut pas s’improviser. Pour éviter les écueils, il faut se poser un ensemble de questions qui couvrent la conduite d’élevage, de l’alimentation au bâtiment, en passant par le renouvellement du troupeau et la livraison du lait ou la transformation des fromages.

La conduite en lactation longue est une stratégie de gestion du troupeau à part entière. Sur le terrain, les conseillers ont pu observer de nombreuses pratiques et soulèvent plusieurs points de vigilance. Dans leur ensemble, les lactations longues facilitent la gestion des aléas face auxquels elles ont un rôle de « tampon ». Pour autant, elles nécessitent une bonne technicité et la conduite en lactation longue ne s’improvise pas. Aujourd’hui, il s’agit d’une pratique bien installée sur le terrain, mais au sujet de laquelle les références manquent encore. Les résultats rapportés dans les travaux de recherche réalisés jusqu’à présent ne prennent pas en compte, faute d’enregistrements, la proportion de chèvres qui échouent à conduire une lactation longue. S’ils ne permettent pas non plus d’établir quels sont les prédicteurs de la réussite de la lactation longue, plusieurs bonnes pratiques sont préconisées. Voici sept points clés.

1 Le choix des chèvres

Le premier concerne le choix des chèvres à conduire en lactation longue. « Il doit toujours se faire après le choix des animaux support du renouvellement du troupeau, rappelle Rémi Couvet, conseiller caprin à Eilyps Group. L’objectif pour l’éleveur est bien d’élever des chevrettes issues des femelles ayant le meilleur potentiel génétique : choix fondé sur l’index combiné caprin et l’index production caprine pour les éleveurs adhérents de Capgènes ou sur des notes combinées pour les éleveurs en contrôle laitier officiel et non-adhérents de Capgènes. Parmi les chèvres restantes, le choix doit prendre en compte des critères zootechniques en fonction des seuils de rentabilité propres à chaque élevage. Concernant le niveau de production laitière, il doit être suffisant pour répondre aux attentes de l’éleveur, mais en plus du niveau de lait, le choix doit aussi se porter sur des chèvres persistantes en lait. Il faut s’intéresser aux courbes de production. »

2 La santé de la mamelle

La conduite en lactation longue signifie une absence de repos de la mamelle. Or, la période sèche est habituellement propice à la gestion des mammites subcliniques caractérisées par une augmentation des concentrations cellulaires des laits. Elle permet soit des guérisons spontanées, soit la mise en place de traitements antibiotiques ciblés. L’objectif est de guérir autant que possible les infections, de réduire le réservoir infectieux et, donc, de limiter l’exposition précoce des chèvres à la lactation suivante (action préventive). Les futures lactations longues devraient, par conséquent, être choisies préférentiellement parmi les chèvres présumées saines. On peut s’appuyer sur les résultats de concentrations cellulaires des laits, mais aussi les antécédents de mammite clinique ou encore l’existence de signes de mammites chroniques comme des déséquilibres, des indurations du parenchyme mammaire ou la présence d’abcès.

3 Le nombre de chèvres

« Le nombre minimum de chèvres en lactation longue dépend de plusieurs paramètres. Il correspond souvent à un lot physique en chèvrerie afin de gérer au mieux l’alimentation, la traite et le suivi de ce lot. Pour les livreurs, le plus important est souvent la quantité de lait minimale à livrer à la laiterie à chaque passage du laitier », précise Bernard Poupin, consultant caprin à Seenovia. Un autre point d’attention qui conditionne le nombre maximum de chèvres est le besoin de renouvellement. « Pour conserver un renouvellement correct, pouvoir réformer les animaux les moins productifs et conserver une marge de sécurité, il ne faut pas avoir plus de 60 % du troupeau en lactation longue, indique Bernard Poupin. Au-delà, il sera nécessaire d’acheter des animaux à l’extérieur avec les risques sanitaires que cela implique. » Sans compter que tous les animaux ne peuvent pas se maintenir en lactation longue.

Dans le calcul du nombre de chèvres en lactation longue, il faut inclure à la fois les chèvres qui vont être réellement choisies et qui ne seront pas mises à la reproduction, mais aussi toutes les bonnes productrices qui seront en échec de reproduction, les lactations longues subies. « En fonction de l’objectif final, il est donc important d’anticiper le nombre de lactations longues subies pour les intégrer avec les choisies », précise-t-il. En principe, dans un troupeau en croisière et avec suffisamment de chèvres en lactation longue, le taux de renouvellement devrait diminuer : une partie des chèvres vides sont conservées, on réforme donc un peu moins, et il y a un peu moins de pathologies ou de mortalité liées à la mise bas ou aux maladies métaboliques du péri-partum.

4 La création de lots

Sur le plan de la conduite d’élevage, la constitution de lots peut être nécessaire, au moins, à certains moments dans la campagne. « La mise en lots des chèvres en lactation longue dépend, d’une part, de la conduite de la reproduction des autres chèvres et, d’autre part, de la conduite de l’alimentation, indique Aude Pasquet, conseillère d’élevage caprin et ovin à Adice. Quatre périodes peuvent être différenciées en matière d’allotement. Après mise bas, faire un lot spécifique est optionnel. Il peut d’ailleurs être préférable de trier les animaux sur d’autres critères : cellules, production, etc. Car à ce stade, la ration peut être la même pour toutes les chèvres. Au moment de la reproduction, un lot spécifique est presque toujours obligatoire pour que les chèvres choisies comme lactations longues ne soient pas saillies par les boucs. Une fois la reproduction passée, il est possible de remélanger les lots si nécessaire, en faisant attention à ne pas perturber les animaux (risque d’avortement précoce). Enfin, à la période de tarissement, constituer un lot spécifique de chèvres en lactation longue est obligatoire, car les chèvres taries et celles en lactation n’ont pas les mêmes besoins alimentaires. »

Le fait de constituer des lots pour mieux respecter les besoins des chèvres a des implications sur la gestion et l’organisation du bâtiment.

5 L’alimentation

Même si les références sont encore peu nombreuses sur les besoins nutritionnels des chèvres en lactation longue, certaines recommandations peuvent être formulées. « La conduite alimentaire des chèvres en lactation longue doit être raisonnée sur deux points : la régularité dans la qualité de l’alimentation afin de maintenir une bonne persistance laitière, d’une part, et l’ajustement des apports pour limiter l’engraissement excessif, d’autre part », souligne Brenda Oviedo, conseillère caprine à la chambre d’agriculture de l’Indre. La conseillère insiste sur la nécessité d’anticiper : « Lors du bilan fourrager, les meilleurs fourrages doivent être réservés prioritairement aux chèvres en début de lactation et en lactation longue. À la mise à la reproduction, si les stocks de qualité manquent, ce sont les lactations longues qui doivent recevoir les meilleurs fourrages. Il est préférable d’accepter une baisse de production sur les chèvres saillies. »

Elle rappelle l’importance de la mise en lot, parfois dès la mise à la reproduction, et indique, par ailleurs, qu’il est parfois nécessaire de modifier la ration de base des lactations longues pendant le tarissement des autres chèvres, notamment si elle contient un fourrage humide (ensilage/enrubannage) qui ne serait pas consommé assez rapidement. Enfin, pour limiter le risque d’engraissement excessif, l’alimentation doit être corrélée à la réponse laitière. Il faut caler la ration aux besoins, sans excès d’énergie, dès que la gestion des lots le permet, et l’ajuster en fonction de l’évolution de l’état corporel.

6 La compatibilité avec le pâturage

Si la conduite en lactation longue est totalement compatible avec la mise à l’herbe, il existe trois points de vigilance. Le premier concerne la qualité des fourrages et la gestion des transitions alimentaires. Le deuxième concerne l’allotement et la gestion des zones de pâture au moment de la reproduction. « Certains éleveurs font le choix de gérer les saillies uniquement au bâtiment en dehors des heures de sortie, expose Vincent Lictevout, de l’équipe caprine de Touraine Conseil Élevage. Cela permet de garder un lot unique de pâturage, mais nécessite de trier les animaux lors de leur rentrée au bâtiment. Le recours exclusif à l’insémination artificielle lors de cette période est une autre solution. » Le dernier point concerne la gestion du parasitisme. « Le fait de ne pas tarir ces chèvres limite l’utilisation d’anthelminthiques pour des traitements éventuels à une seule famille qui ne nécessite pas de délai d’attente pour le lait », précise-t-il. Cet aspect est délicat dans un contexte d’émergence de résistance des parasites aux anthelminthiques.

7 L’organisation du travail

Enfin, la conduite en lactation longue a des répercussions globales sur la charge et l’organisation du travail. Certains éleveurs mettent en place la lactation longue pour alléger le travail. Si cette pratique a de nombreux atouts en matière de temps de travail, elle a aussi quelques contraintes. « Avec un nombre réduit de mises bas, la lactation longue permet de diminuer le temps de travail et d’écrêter les pointes de travail. Cela concerne tant la surveillance des chèvres à la mise bas que l’élevage, au moins les premiers soins, des chevreaux, rappelle Nicole Bossis, responsable de projets à l’Institut de l’élevage. Le temps de travail est aussi allégé au moment de la reproduction. Des lactations longues bien maîtrisées nécessitent moins de renouvellement et permettent ainsi de réduire le temps de travail consacré à l’élevage des chevrettes. » En fromagerie, les pointes de travail sont également diminuées, ce qui permet de faciliter la gestion du temps de travail, notamment des salariés. « En définitive, la plus grosse contrainte de la lactation longue est l’obligation de traire, et de nettoyer la salle de traite, toute l’année, même si certains éleveurs pratiquent la monotraite à certaines périodes. La gestion de deux lots d’alimentation au moment du tarissement et de la saillie des lactations classiques complexifie aussi le travail », complète Nicole Bossis.

Des objectifs multiples

Les chèvres conduites en lactation longue peuvent l’être soit en raison d’échecs à la reproduction, lactations longues subies, soit par décision, lactations longues choisies. Il peut, par exemple, s’agir de laisser du temps aux primipares, de favoriser leur croissance tout en leur évitant une nouvelle mise bas trop rapprochée. C’est aussi un moyen de gérer la fin de carrière des chèvres, de limiter les problèmes à la mise bas, les décrochages de mamelles. À chaque chèvre, sa trajectoire. Ces objectifs viennent rencontrer d’autres préoccupations à l’échelle de l’élevage. Celles-ci ont été regroupées en quatre grandes catégories qui se recoupent : gagner en souplesse sur la conduite du troupeau ; optimiser les résultats économiques ; réorganiser le travail ; s’adapter aux besoins du marché et à la conjoncture.

Les sept questions à se poser avant de se lancer

Puis-je traire toute l’année ?

Ma salle de traite, mon tank, ma fromagerie sont-ils adaptés pour traire une partie seulement de mon troupeau pendant une période donnée ?

Puis-je livrer ou transformer mon lait toute l’année, quels que soient les volumes produits ?

Mes bâtiments et mon système de distribution des aliments sont-ils adaptés pour gérer des lots d’animaux séparés et aux besoins différents ?

Ai-je suffisamment de stock de qualité pour assurer une alimentation régulière et sans à-coup aux lactations longues ?

Puis-je mettre une partie de mon troupeau en lactation longue sans nuire à mon besoin de renouvellement (effectifs nécessaires, niveau et progrès génétique) ?

Ai-je des chèvres bonnes productrices et sans suspicion d’infections mammaires à conduire en lactation longue ? Ai-je des données individuelles pour apprécier la situation (lait et cellules) et la suivre au cours du temps ?

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