Sélection variétale : des blés hybrides nouvelle génération porteurs de promesses
Les blés hybrides entreront dans une nouvelle ère en France à partir de l’automne 2022. Une technique innovante, sans agent chimique d’hybridation, permet d’espérer une baisse des coûts de production.
Les blés hybrides entreront dans une nouvelle ère en France à partir de l’automne 2022. Une technique innovante, sans agent chimique d’hybridation, permet d’espérer une baisse des coûts de production.
Ça bouge sur le créneau des blés hybrides. Dès les semis de l’automne 2021, des agriculteurs du réseau de Syngenta vont tester en grandes parcelles de nouveaux blés de ce type. Particularité de ces variétés : elles ont été obtenues génétiquement avec la technique de la stérilité mâle cytoplasmique (CMS) sans l’utilisation d’un agent chimique d’hybridation (ACH).
Cette innovation pourrait permettre de baisser le surcoût des semences des blés hybrides actuels. Celui-ci est d’environ 100 euros l'hectare par rapport aux semences certifiées de lignées, et il n’est pas compensé par le gain de rendement. C’est le frein principal au développement de ces variétés. Car les blés hybrides ne sont pas nouveaux : la première variété a été développée commercialement en France en 1995. Principalement portés par le semencier Saaten Union, ces blés ont couvert jusqu’à plus de 100 000 hectares dans les années 2000, avant de redescendre autour de 40 000 hectares.
Jusqu’ici, la production de semences de blés hybrides imposait l’utilisation d’un agent d’hybridation (Croisor 100). Celui-ci agit comme une castration chimique pour obtenir la stérilité mâle chez la lignée qui constituera le parent femelle dans le croisement. Rien de tel avec la stérilité mâle cytoplasmique, le mécanisme ne reposant que sur des gènes. Utilisée en routine chez le maïs, le tournesol ou le colza, cette technique a essuyé de nombreux échecs jusqu’à maintenant sur blé tendre, en raison de la complexité du génome de cette espèce.
Mais grâce aux progrès importants de la sélection (génomique, marqueurs moléculaires…) et à des moyens de recherche conséquents, plusieurs multinationales se sont lancées dans l’obtention de ce type de blé pour les marchés européens. Après Syngenta, les sociétés BASF, Bayer, RAGT Semences annoncent l’inscription de blés hybrides dans les années à venir.
« Nos premiers lancements auront lieu en 2023 en Allemagne, Pologne et Danemark avec des variétés déjà déposées à l’inscription, précise Régis Favier du Noyer, responsable activités semences chez BASF. Pour la France, nous prévoyons de déposer une variété à l’inscription en août 2021 pour une commercialisation en 2024. La machine est lancée. » De leur côté, Bayer et RAGT Semences promettent des variétés dans cinq ans au plus. Bayer avait dû revendre ses activités semences à BASF en 2017, suite à son rachat de Monsanto. Elle a décidé de se relancer en bâtissant récemment un programme commun de recherche avec RAGT Semences.
Gain sur le coût de production de semences
Ces sociétés soulignent l’intérêt environnemental de ne pas recourir à un agent chimique (gamétocide), même si le produit concerné ne semble pas sur la sellette. « En se passant d’un gamétocide dont l’efficacité est soumise aux conditions climatiques, on enlève une part de complexité à la production d’hybrides, ajoute Laurent Verdier, responsable européen de la sélection de blé hybride chez BASF. On réduira les risques d’échec de production de semences. »
Pour RAGT comme pour BASF, le procédé CMS baissera le coût de production des semences. « Avec cette technologie, on lèvera un verrou en termes de production, ce qui permettra un développement à large échelle et une sécurisation de la capacité de production de semences, » précise Sébastien Chatre, responsable de la sélection chez RAGT Semences.
Le procédé CMS améliorera-t-il la performance des blés hybrides ? « La mise au point d’hybrides demande trois à quatre ans, contre huit à dix ans pour une lignée. Avec la technique CMS, on sera beaucoup plus réactif aux évolutions du marché et des conditions agroclimatiques pour apporter une réponse variétale en conséquence », explique Laurent Verdier. Pour Philippe du Cheyron, Arvalis, « le procédé d’obtention du blé hybride ne joue pas beaucoup sur les caractéristiques agronomiques des variétés. Cela dépend surtout des parents ».
Des variétés obtenues au gré des demandes du marché
Sur ce point, des sociétés misent sur la richesse de leurs ressources génétiques. « Avec la qualité du germplasm RAGT, leader en Europe sur les lignées de blé, et les capacités de Bayer en matière d’outils de génomique, on part sur une base génétique très bonne et on devrait obtenir des hybrides très performants », estime Sébastien Chatre. Mais pas avant cinq ans. « Il ne faudra pas juger trop rapidement la première génération de blés hybrides CMS, prévient Philippe du Cheyron. Ce ne seront pas forcément les meilleurs. Il faudra regarder les générations suivantes. »
L’acteur historique Saaten Union continue à mettre sur le marché de nouveaux blés hybrides chaque année. « Nous avons une nouvelle gamme, présente Emmanuel Sterlin, responsable marketing. Dans la suite de la variété Hyligo, nous présentons des inscriptions qui montrent des gains de rendement jusqu’à 108 % des témoins dans les essais et un profil sanitaire sans faille. » Le match hybrides CMS contre ACH est lancé.
Deux modes de production de semences hybrides
La production d’hybrides ACH impose un dispositif lourd avec des bandes de parents mâles et des bandes de parents femelles, ces dernières étant traitées avec le produit Croisor. La production de semences (hybrides à 100 %) est délicate sur le plan technique et dépend des conditions climatiques.
Les semences d’hybrides reposant sur la technique CMS, elles, sont obtenues avec le semis d’un mélange de la lignée rendue mâle stérile et d’une petite proportion du parent mâle restaurateur de fertilité sur la même parcelle. La production de semences est simplifiée pour l’hybride, mais il subsiste une petite quantité de semences de la lignée mâle restauratrice.
Qu’est-ce que la stérilité mâle cytoplasmique ?
La stérilité mâle existe dans la nature avec des mutations naturelles portées par le cytoplasme dans la cellule végétale. Sur la fleur, elle se manifeste par l’absence d’anthère (organe produisant le pollen), des anthères vides ou du pollen non viable. Cette stérilité mâle cytoplasmique (CMS) est mise à profit par les sélectionneurs pour produire des variétés hybrides en croisant une lignée mâle fertile qui apportera son pollen et un parent femelle qui est en fait la lignée rendue mâle stérile. Les graines de l’hybride obtenu seront portées par ce parent femelle. Pour cela, il faut restaurer la fertilité de la descendance hybride pour la production de grains.
Des gènes de restauration de fertilité sont contenus chez le parent mâle fertile qui débloque la stérilité de la descendance. Les semences de l’hybride produites seront bien fertiles. Chez le blé tendre, plus que la mâle stérilité, c’était cette restauration de fertilité qui était difficile à obtenir. Les progrès de la génomique ont permis de surmonter cet obstacle. En plus, le blé ne produit pas beaucoup de pollen.