Punaise diabolique : comment la filière noisette est en quête d’alternatives
Très impactée par les dégâts de punaise diabolique, la filière noisette fait face à un manque de solutions phytosanitaires contre ce ravageur. Elle est en quête d’alternatives.


L’année 2024 a été catastrophique pour les producteurs de noisettes. La coopérative Unicoque, qui représente 90 % de la production française, a annoncé que seules 4 500 tonnes de noisettes étaient commercialisables cette année, sur un potentiel de production de 13 000 tonnes. En cause, les dégâts de balanin, dont la larve laisse les noisettes vides, mais aussi les piqûres de punaise diabolique, qui rendent les noisettes impropres à la consommation.
La filière pointe le manque de solutions phytosanitaires face à ces deux ravageurs, et notamment l’acétamipride, néonicotinoïde interdit depuis 2018 mais qui avait obtenu des dérogations jusqu’en 2020. Lors des rencontres phytosanitaires fruits en novembre dernier, un point a été fait sur l’évolution des dégâts de punaise diabolique (voir encadré) dans le Sud-Ouest, principale zone de production de noisettes en France, ainsi que sur deux pistes de protection des vergers.
Des dégâts différents suivant le stade
« Halyomorpha halys est très polyphage, elle peut venir se nourrir et se développer sur plus de 150 espèces de plantes, détaille Tom Villain, chef de projets R & D en lutte biologique à l’Association nationale des producteurs de noisettes (ANPN) . Elle touche de nombreuses cultures : noisette, pomme, kiwi, grandes cultures… L’Italie a été impactée plus tôt que nous, donc nous savions que la punaise diabolique pouvait causer de gros dégâts sur noisette. » Les noisettes piquées par la punaise diabolique ne sont pas commercialisables.
Selon le stade auquel les piqûres sont faites, les types de dégâts vont être différents. « Les piqûres précoces conduisent à des noisettes vides ou avortées, qui apparaissent aux mois de mai et juin », décrit Emilie Gomes, ingénieure expérimentation et conseillère technique à l’ANPN. Si la punaise pique au mois de juillet ou août, lorsque l’amandon est en pleine croissance, le fruit sera rabougri et flétri. Si les piqûres ont lieu lorsque l’amandon a fini sa croissance, on observe des nécroses blanches ou brunes et le goût de la noisette est modifié, la rendant immangeable.
Parmi les méthodes alternatives potentielles contre les punaises, la lutte biologique contre la punaise diabolique est notamment étudiée par l’ANPN dans le cadre du projet Ripposte (voir encadré) depuis 2021. « Nous nous sommes intéressés assez tôt à la lutte biologique avec des parasitoïdes oophages, évoque Tom Villain. Trissolcus mitsukurii, parasitant la punaise diabolique dans son aire de répartition d'origine, a été identifiée comme prometteuse car elle est assez spécifique et bien plus efficace que les parasitoïdes indigènes présents en France. Comme ce parasitoïde était déjà présent en Italie, on pensait qu’il était potentiellement aussi présent en France ».
« Trissolcus mitsukurii » détecté en 2020
Afin de détecter son éventuelle présence, l’ANPN a mis en place en 2018 un élevage de punaises diaboliques, dans le but de récupérer leurs œufs, puis de les fixer sur des cartonnettes. Ces « ooplaques sentinelles » sont placées sous les feuilles d'arbres hôtes de la punaise diabolique, là où sont potentiellement présents les parasitoïdes oophages. Ces ooplaques sont récupérées quelques jours après la pose. « De 2018 à 2021, nous produisions environ quinze ooplaques par semaines, ce qui nous a permis de détecter pour la première fois Trissolcus mitsukurii en 2020, indique Tom Villain. Nous l’avons capturé et mis en élevage de routine. »
Dès lors, l’ANPN a envisagé des essais en laboratoire, des suivis plus vastes sur le terrain et potentiellement des lâchers de parasitoïdes. « De fait, il nous fallait un plus gros élevage de punaises diaboliques afin d’avoir plus d’ooplaques », poursuit le spécialiste. Grâce à une nouvelle pièce d’élevage en 2021, la capacité de production d’ooplaques a été multipliée par 10. « Nous avons pu ainsi poser 1 000 ooplaques sentinelles en 2022 et 2 200 en 2023, ce qui nous donne une bonne force de frappe et un bon suivi des parasitoïdes de la punaise diabolique sur tout le territoire lot-et-garonnais. » Ce dispositif a permis de détecter en 2022 Trissolcus japonicus, un deuxième candidat potentiel très intéressant pour la lutte biologique contre la punaise diabolique.
Des premiers résultats encourageants pour l'« Attract and Kill »
Une autre piste de lutte à l’étude dans le cadre du projet PAUPFL (1) consiste en un dispositif « Attract and Kill » pour limiter les populations de punaises ravageuses (Nezara viridula, Palomena prasina, Halyomorpha halys) en verger de noisetiers. L’objectif de ce dispositif est dans un premier temps d’attirer et retenir les punaises dans une bande de plantes pièges, afin de stopper leur migration à l’intérieur du verger. Puis, dans un second temps, de les éliminer en intervenant au niveau de la bande piège. L’essai compare les effets de bandes pièges, avec ou sans phéromones, et d’insecticides. « Pour la mise en place des bandes pièges, nous avons choisi d’intégrer du tournesol, du soja et du sorgho, indique Emilie Gomes. Ces cultures, notamment le sorgho, sont reconnues pour attirer la punaise diabolique et la retenir. »
Les premiers résultats montrent une réduction des dégâts sur noisettes dans les zones traitées avec la méthode « Attract and Kill », avec une efficacité variable selon les modalités testées, notamment grâce à l’attractivité des phéromones et la rétention des punaises par le sorgho. « Les résultats sont à reconfirmer, mais sont plutôt encourageants en comparaison du témoin non traité, souligne Emilie Gomes. Il faudra cependant comparer l’efficacité de la méthode à une pratique conventionnelle, ce qui n’a pas pu être fait ici. » L’ingénieure de l’ANPN souligne aussi la nécessité de répéter l’essai dans différents environnements. « Si le verger est situé près d’une parcelle de soja, est-ce que la punaise irait quand même sur la bande de plante piège ou est-ce qu’elle préférerait diversifier sa source de nourriture et venir sur les noisetiers ? », interroge-t-elle.
Plus de 20 millions d’euros de perte en 2024
« Les premiers dégâts de punaise diabolique sur noisetier dans le Sud-Ouest ont été constatés en 2021, avec des taux allant de 3 à 5 %, indique Emilie Gomes, ingénieure expérimentation et conseillère technique à l’Association nationale des producteurs de noisette (ANPN). Dès 2022, l’ensemble des communes du Lot-et-Garonne et du Tarn-et-Garonne comportant des noisetiers ont été impactées, avec des taux de dégâts allant jusqu’à plus de 10 %. » L’ANPN a chiffré les pertes engendrées par la punaise diabolique sur la vente de noisettes à 2,5 millions d’euros en 2022 et 13,5 millions d’euros en 2023. En 2024, cette perte serait supérieure à 20 millions d’euros.
Le projet Ripposte
Le projet Ripposte vise à mettre en place un programme de lutte biologique pour réguler la punaise diabolique à l’aide de parasitoïdes oophages. Il s’articule autour de deux volets principaux : l’étude de la biologie, et de l’efficacité en laboratoire et sur le terrain du parasitoïde Trissolcus mitsukurii ; et l’optimisation de la production de ce parasitoïde en laboratoire pour des lâchers expérimentaux ou de plus grande ampleur. Ce projet est réalisé par l’ANPN en partenariat avec l’Inrae de Sophia Antipolis et l’université de Turin et est financé par la région Nouvelle-Aquitaine et la coopérative Unicoque.