Le loup menace le pastoralisme
Avec l’arrivée du loup dans les Cévennes et les Causses, c’est tout le débat autour du grand prédateur qui repart de plus belle. Les éleveurs voient se profiler, dans l’immobilisme politique ambiant, la mort du pastoralisme.
Autrefois diabolisé, le loup est aujourd’hui, et depuis son retour en 1992, sacralisé par les associations environnementales et naturalistes qui voient en la croissance de sa population un gage de bonne santé de la biodiversité. Le loup fascine le citadin, pour qui il représente la quintessence de la nature sauvage. Le berger et l’éleveur, ceux qui sont au contact quotidien de cette nature et qui vivent à proximité du grand prédateur, tentent de faire voir la réalité de la situation, souvent décriée par les défenseurs du loup.
La présence du loup est avérée depuis maintenant deux ans dans les Causses et les Cévennes et les éleveurs sont les premiers à en pâtir. Alors que les attaques sur les troupeaux domestiques se multiplient et que les éleveurs se sentent plus désemparés que jamais avec les moyens de lutte qui leur sont alloués et qui n’ont pas prouvé leur efficacité, le débat se fait de plus en plus houleux après un été particulièrement dramatique pour le pastoralisme français. « Le loup est un animal très intelligent qui s’adapte très vite et déjoue rapidement toutes les mesures de protection que l’on peut mettre en place, explique François Giacobbi, élu à la chambre d’agriculture de l’Aveyron. Il ne craint plus l’homme. Il est de notre devoir de lui faire à nouveau redouter la présence du berger ». En effet, les moyens de lutte actuels autorisés par l’État sont censés être efficaces lorsque l’on part du principe que le loup a peur de l’homme. « Cette affirmation est maintenant fausse, le loup n’a plus de raison de craindre l’homme puisqu’il n’est plus chassé et de fait, les moyens de lutte actuels sont inefficaces », argumente Nicolas Lescureux, chargé de recherche en ethnoécologie au CNRS. Ce chercheur a dépeint le conflit homme-loup à travers l’Histoire et les changements de la société, à l’occasion des Riaam, rappelant que cette situation est loin d’être nouvelle puisque dès la domestication des ongulés, il y a 11 500 ans, l’homme a dû faire face au problème de la prédation. « Avec l’évolution du rapport de la société à la nature, l’animal domestique n’est plus à protéger mais à contrôler alors que l’animal sauvage emprunte le chemin inverse et est aujourd’hui particulièrement protégé », explique-t-il.
Le pastoralisme serait plus bénéfique pour la biodiversité que le loup
Or, un des arguments phare des défenseurs du loup est l’importance de celui-ci dans l’amélioration de la biodiversité. Son rôle positif est indéniable, mais selon David Mech et Luigi Boitani dans leur ouvrage Les loups, comportement, écologie et conservation, « les loups ne sont en aucune façon une espèce modèle, ils ne sont pas nécessairement de bons indicateurs de la qualité de l’habitat ni de la présence d’une chaîne trophique parfaite ». À cela s’opposent les aménités positives du pastoralisme sur la biodiversité que Michel Revelin décrit dans son récent essai Les enjeux du pastoralisme face aux loups (cf. encadré). « Le pastoralisme porte bien en lui une dimension écologique positive par son rôle envers la biodiversité par le biais des prairies. La venue du loup crée de nouveau du surpâturage, de la pollution et de l’enfrichement ». En effet, les animaux au pâturage permettent l’entretien des prairies et autres habitats naturels. Guillaume Constant, berger en Lozère, témoigne par exemple que « lorsque j’étais berger dans les Alpes, j’avais été sollicité pour conduire mon troupeau dans les zones d’habitat naturel du Grand tétras afin de les entretenir ».
Le loup va provoquer une catastrophe économique
Dans un esprit de recherche de solution concertée, la chambre d’agriculture de l’Aveyron, épaulée par l’Inra, Montpellier SupAgro et le Cerpam, a remis à la préfecture départementale une étude sur les moyens de protection des troupeaux dans les Causses pour faire face à l’arrivée du loup. Cette étude propose quatre stratégies de protection scénarisées. La première stratégie serait le maintien des pratiques actuelles avec un renforcement de la protection des troupeaux, étendue à tous les lots d’animaux dès qu’ils sont au pâturage. La deuxième option propose de modifier la conduite zootechnique afin d’alléger les coûts de protection, par exemple en limitant le nombre de lots simultanément présents au pâturage, en gardant les bêtes au bâtiment durant l’hiver, abandon d’une partie des surfaces de parcours, etc. Ces deux premières stratégies engendrent un investissement dans les moyens de protection et leur mise en œuvre colossal à l’échelle d’une exploitation. En effet, il faut compter l’achat des clôtures fixes sécurisées et leur installation, qui requiert de la main-d’œuvre supplémentaire, l’achat de chiens de troupeau, etc. L’étude précise donc que pour les première et deuxième stratégies, l’EBE pourrait baisser respectivement de 15 % et 12 %. La troisième proposition reprend les idées de la deuxième, en allégeant les coûts de protection au maximum tout en restant en accord avec le cahier des charges de l’AOP Roquefort. Cela signifie que seul le lot en production est au pâturage et ce, à proximité immédiate de la bergerie.
Cela signifie également que les animaux recevront plus de fourrages conservés, mais cela pourrait être compensé par la fauche des parcelles non pâturées et par l’achat de fourrage. L’impact de cette stratégie sur l’EBE d’une exploitation serait de - 26 % par rapport à la situation initiale. Enfin, la dernière option serait de garder toute l’année les animaux en bâtiment, causant ainsi l’exclusion des élevages ovins lait de l’AOP Roquefort. De fait, cette stratégie rendrait quasiment nuls les coûts de protection (il faut envisager d’acquérir deux chiens de protection patrouillant autour du bâtiment d’élevage si celui-ci garde ces portes ouvertes, notamment en été). Les modifications de la conduite zootechnique et la perte de valorisation du lait dans l’AOP Roquefort entraîneraient une baisse de l’EBE de l’ordre de - 63 %. « On a voulu chiffrer chacune des options qui s’ouvrent à nous pour donner des éléments concrets à nos interlocuteurs, explique François Giacobbi. Néanmoins, la quatrième option serait un désastre économique et un gâchis total de notre production. Je reste ferme sur ma position : il faut permettre à l’éleveur de se défendre du loup par lui-même ! ».
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Les enjeux du pastoralisme face aux loups
Michel Revelin est un ancien ingénieur des travaux publics. Passionné par les questions de biodiversité, il se penche sur la problématique du pastoralisme face aux loups. Dans cet essai, il reprend les idées reçues qui reviennent régulièrement dans le débat en s’efforçant d’amener des arguments objectifs, basés sur une solide recherche bibliographique ainsi que des rencontres avec les principaux acteurs du sujet. L’auteur, initialement fasciné par le loup, livre sa pensée : « sur un plan environnemental, s’il faut choisir entre le loup et le pastoralisme […], objectivement, on ne peut que s’orienter vers la conservation des pratiques pastorales ».