Pourquoi s’être intéressé à l’ovosexage ?
benoît Gourmaud – Les professionnels des filières concernées – œuf de consommation et foie gras – sont depuis de longue date fortement sensibilisés à la problématique de l’élimination des éclos du sexe n’ayant pas d’intérêt marchand. Si on les garde, cela pose un problème économique et si on les élimine cela pose un problème éthique. Notre objectif à tous est bien sûr que ce dilemme cesse en attaquant le problème à sa source, c’est-à-dire dans l’œuf. Et il se trouve que nous avions une piste génétique à creuser pour nos canards mulards, qui se révèle réalisable techniquement et économiquement après dix ans de recherches.
En quoi consiste votre innovation ?
B.G.- Nous avons amélioré notre technique d’autosexage des canetons mulards à l’éclosion, laquelle est liée à la couleur des yeux. C’est un peu comme le daltonisme chez l’être humain. Accouplés avec des femelles Pékin, nos mâles Barbarie porteurs du gène « yeux rouges » transmettent ce phénotype uniquement à la descendance mulard femelle. Nos recherches ont montré qu’on pouvait observer cette différence de coloration sur des embryons pendant le premier tiers de l’incubation, et donc envisager de les écarter précocement. Ce gène « yeux rouges », nous l’avons découvert il y a déjà vingt-cinq ans à la suite d’une mutation naturelle et nous l’avons intégré progressivement dans certaines de nos lignées Barbarie.
En somme, vous arrivez au bout d’une démarche…
B.G.- Oui, c’est le prolongement d’un long travail de sélection génétique classique, qui est je le rappelle d’anticiper les marchés de demain. Pour ovosexer nos canetons mulards, nous n’avons pas créé un organisme génétiquement modifié. L’historique de la découverte de cette mutation et de son intégration dans nos lignées est parfaitement documenté. Les données généalogiques pourraient être produites si on nous demandait d’en apporter la preuve.
Où en êtes-vous de la mise au point industrielle de la technologie ?
B.G- Il nous a fallu trois ans pour arriver à une solution industrielle non invasive, mettant en évidence la couleur rouge de l’œil des femelles, tout en préservant l’intégrité de l’œuf. Après avoir exploré plusieurs pistes en spectrométrie, nous avons finalement développé notre solution avec l’optique, une technologie de haute précision. Cela s’est fait en trois étapes : trouver la position adéquate de l’œuf à analyser, déterminer le mode de captures des images et mettre au point un système d’analyse des données. Nous sommes arrivés au prototype final, considéré comme l’étape de préindustrialisation du procédé. Actuellement, nos résultats atteignent 95 % de fiabilité. Si tout se passe bien, la solution industrielle sera prête cet automne et les premiers canetons ovosexés seront commercialisés au début de l’année prochaine.
Cette technologie sera-t-elle spécifique de vos canetons mulards ?
B.G.- Absolument, mais le principe d’ovosexer sur une différence de phénotype détectable précocement est extrapolable, pour peu qu’on maîtrise le déterminisme génétique. Nous n’avons pas fait cette démarche d’autosexage sur nos canards Pékin. Comme il n’existe pas de dimorphisme sexuel, les deux sexes sont conservés pour produire de la viande.
Au final, quel sera l’impact pour la filière à foie gras ?
B.G.- Le bénéfice à attendre est de mieux répondre collectivement aux attentes sociétales sur le bien-être animal. C’est un paramètre nouveau qui entre de plus en plus dans la composition de la valeur finale de nos produits. Je ne peux pas prédire pour l’instant ce que l’ovosexage va coûter. Cette technique coûte, c’est évident, mais elle permettra aussi d’économiser de la place d’incubation au couvoir. Cela dit, le bien-être animal demeure l’impact premier pour la filière, et donc pour le consommateur.
« Une innovation au service du bien-être animal