« Nous sommes quasi-autonomes en bio avec des vaches à 10 000 kilos »
Le Gaec bio La Croix Brillet, en Maine-et-Loire, concilie productivité et autonomie protéique grâce au pâturage et au séchage en grange. Un beau défi relevé avec succès et qui porte ses fruits sur le plan technique et économique.
Le Gaec bio La Croix Brillet, en Maine-et-Loire, concilie productivité et autonomie protéique grâce au pâturage et au séchage en grange. Un beau défi relevé avec succès et qui porte ses fruits sur le plan technique et économique.
Produire près de 10 500 litres de lait par vache en bio, sans ensilage de maïs, en achetant seulement 30 tonnes de soja par an, avec des vaches en forme qui vieillissent bien. Tel est le credo du Gaec La Croix Brillet, qui élève 135 vaches prim’Holstein produisant 1,1 million de litres de lait. « Quand nous avons créé le Gaec en 2006 par association de trois fermes voisines, nous nous sommes retrouvés avec un parcellaire très groupé, favorable au pâturage, explique Jean-Louis Hamard, un des cinq associés du Gaec. Nous avons alors choisi de miser sur l’herbe et nous avons créé un site neuf au centre des parcelles, pour optimiser le pâturage. »
La même année, le Gaec a investi dans un séchoir pour obtenir du foin de qualité. Et en 2015, pour valoriser le séchoir, l'exploitation est passée en bio. « Nous étions alors à 8 500-9 000 litres par vache et nous avons atteint progressivement 10 500 litres par vache. Pour produire sans trop acheter, l’important est d’avoir des vaches bien alimentées et en bonne santé, ce qui passe par des fourrages de qualité. »
Sur l'ensemble des prairies, 80 hectares de prairies temporaires sont dédiés au pâturage des vaches laitières. Les vaches sortent de mi-février à début décembre, avec une période l’été où il y a peu d’herbe. Quarante hectares sont directement accessibles depuis la stabulation, sans route à traverser. En 2018, le Gaec a refait 2 km de chemin avec du sable de carrière et créé un boviduc pour accéder à 40 hectares supplémentaires de l’autre côté d’une route.
Les prairies sont semées avec des mélanges de ray-grass anglais diploïde et tétraploïde, trèfle blanc, trèfle hybride, lotier, plantain, trèfle violet, luzerne pâturable, fléole, pois protéagineux ou fourrager et trèfles annuels (squarrosum, Alexandrie). « La première année, nous faisons une coupe en avril, qui produit 3 à 5 t MS/ha. Grâce au pois, riche en protéines, fibres et tanins, et aux trèfles annuels, nous obtenons un fourrage à 20 % MAT que nous ensilons ou enrubannons. »
Le choix de ne pas forcément sécher l'intégralité de l'herbe
Les prairies sont ensuite exploitées en pâturage tournant dynamique, à raison d’un jour par paddock de 1,3 hectare. « Nous entamons un paddock quand l’herbe est au stade 3 feuilles. Depuis 2019, nous avons un quad qui permet d’aller facilement voir quand nous changeons d’îlot si l’herbe est au bon stade, ce que nous ne faisions pas toujours avant. Nous nous en servons aussi pour enlever les fils quand nous devons faucher les refus. » Les rendements sont en moyenne de 10-12 t MS/ha. 75 hectares de prairies sont destinés à la fauche, avec des mélanges de luzerne (25 kg/ha), trèfle violet (5 kg/ha), fléole ou brome et trèfles annuels, semés à 35-45 kg/ha.
Le séchoir, qui compte trois cellules de 240 m², permet de stocker 650 tonnes de foin. « Depuis 2006, nous avons dû apporter plusieurs modifications au séchoir, précise Jean-Louis. Aujourd’hui, il fonctionne très bien. Nous séchons parfois jusqu’à 1 000 tonnes de foin, en en ressortant une partie et en le bottelant. »
Une autre décision a favorisé la qualité de l'herbe. Désormais, quand la récolte dépasse la capacité du séchoir, le Gaec préfère en enrubanner une partie. « Quand nous voulions tout sécher, cela nous amenait parfois à ne pas faucher au meilleur stade, explique Jean-Louis Hamard. Maintenant, nous avons un foin mieux séché et un enrubannage de qualité. Ce n’est pas évident car nous devons faire appel à une ETA pour l’enrubannage, ce qui a un coût. Mais au final, ça fonctionne beaucoup mieux ainsi. »
Autre spécificité du régime des laitières : l’introduction d'enrubannage de colza fourrager, cultivé sur 10 hectares. « C'est un voisin qui m'a fait découvrir ce fourrage, avance l'éleveur. Nous l'avons essayé et adopté. Nous le récoltons à 20 % MS et l’apportons aux vaches quand elles ne pâturent pas. L'enrubannage de colza ramène de l’azote soluble, des fibres et de l’eau qui limite les risques d’acidose liés à une ration trop sèche. Sa teneur en protéines est de 18 % MAT. Il est aussi très odorant, appétent, et booste l’ingestion. Nous en apportons 1,5 à 3 kg en complément des autres fourrages et tout est consommé. Il n’y a plus de refus et les vaches reprennent de l’état. »
Semé en août, après une céréale, le colza est fauché à 50 cm de haut en octobre-novembre, avec un rendement de 3,5 t MS/ha. Les bottes se conservent bien jusqu’en mai. « Elles craignent seulement les grands froids qui peuvent geler le fourrage sur 5-10 cm. Il faut alors le consommer rapidement. »
À partir de 2022, les éleveurs prévoient toutefois de réduire le colza malgré ses qualités. Le Gaec a adhéré au réseau Invitation à la Ferme et construit une fromagerie pour transformer 500 000 litres de lait en fromages vendus localement. « Nous ne sommes jamais pénalisés en butyriques, note Jean-Louis. Mais nous craignons par contre que le colza donne du goût au fromage. Nous allons le réduire de moitié et apporter en contrepartie du petit lait qui enrichira la flore intestinale. » À terme, le Gaec disposera d'environ 400 000 litres de petit lait issu de la fromagerie. « C'est un produit riche en ferments naturels et en protéines et cela ramènera de l'eau dans la ration. Cela se pratique dans les régions fromagères d'Italie du Nord et en Suisse. Par contre, il faut bien le conserver. »
Du maïs grain humide plutôt que de l'ensilage
Le Gaec cultive aussi 50 hectares de maïs, mais récolté uniquement sous forme de maïs grain humide ou sec. « Le grain de maïs est un très bon complément énergétique, mais la partie tige de la plante n’a pas d’intérêt dans la ration », estime Jean-Louis. L’essentiel du maïs est moissonné à 50-60% MS, puis aplati. « Parfois, s'il est trop humide, il peut encrasser l'aplatisseur. Nous le récoltons alors plus sec et l'humidifions ensuite. » Le maïs grain humide est stocké à plat sous une bâche d'ensilage avec un conservateur.
Si les rendements sont suffisants, l'excédent est récolté en grain sec et utilisée dans le concentré fermier vache laitière. « Depuis deux ans, nous avons de faibles rendements en maïs, liés peut-être à des semis trop précoces, et devons en acheter. Mais en général, nous en avons suffisamment pour répondre à nos besoins. »
Le Gaec travaille 60 hectares de mélanges blé-féverole (rendement 45 q/ha). Les graines sont récoltées, triées, aplaties et valorisées dans la ration de base et le concentré fermier. Depuis leur passage en bio, pour limiter les coûts de concentré, les éleveurs ont en effet investi dans une fabrication d’aliment à la ferme et fabriquent eux-mêmes un concentré vache laitière à 18% MAT. « Il est constitué de 40 % de maïs grain sec, 30 % de soja, 15 % de féverole, 15 % de blé et 3 % d’un produit qui associe argile, tanins de châtaignier et yucca. Le soja sert à équilibrer le concentré. Nous avons déjà réduit nos achats de tourteau de soja puisqu'au départ, nous en apportions 1 kg dans la ration de base. Mais les 30 tonnes de soja que nous achetons par an pour le concentré sont importantes pour avoir des vaches en forme et du rendement laitier. »
La ration hivernale est constituée de 10 kg de foin, 3,5 kg d’enrubannage de prairie riches en légumineuses, 1,5 kg de colza enrubanné, 5 kg de maïs grain humide, 1 kg de blé, 1 kg de féverole et 2 kg de concentré fermier (en moyenne) distribué au DAC. Et quelle que soit la période, les vaches reçoivent toujours 4-4,5 kg de maïs humide, 1 kg d’orge, 1 kg de féverole et du foin (3-4 kg au printemps). « Même au printemps, nous apportons un complément énergétique pour équilibrer l’herbe riche en azote soluble et du foin qui ramène du sec dans la ration, précise Jean-Louis. Nous apportons aussi de l’argile, seule en hiver et avec des tanins naturels au printemps. Les tanins aident à ralentir le transit et les vaches valorisent mieux le pâturage et ont moins de diarrhées. »
La production atteint près de 10 500 litres par vache (29 à 33 kg/j), avec très peu de mortalité, des vaches qui vieillissent bien et en achetant seulement 30 t/an de soja (1 200 €/t), des minéraux et parfois du maïs grain sec. « Nous ne calculons pas notre coût alimentaire, qui varie beaucoup selon la météo et les rendements, souligne Jean-Louis. Mais notre EBE de 400 000 euros montre que notre système est efficace. »
Avis d’expert : Luc Leblay, nutritionniste
« Des détails qui font toute la différence »
Chiffres clés
Adaptation du séchoir et de la distribution
Pour améliorer la qualité du foin et la valorisation de la ration, les éleveurs ont dû apporter quelques améliorations au séchoir à foin et modifié le système de distribution.
Depuis 2006, plusieurs modifications ont été apportées au séchoir(1). « En 2006, c’était un des plus gros séchoirs en France, précise Jean-Louis. Nous avons fait des erreurs de conception et le foin n’était pas bien séché. » Aidés par Segrafo, association de promotion et développement du séchage en grange, les éleveurs ont isolé les murs et le sol en béton, pour que l’air chaud n’ait pas à réchauffer le béton avant de sécher le foin. Ils ont remplacé les parpaings sur lesquels reposaient les caillebotis par des rondins de bois qui laissent mieux passer l’air. Ils ont augmenté la puissance des ventilateurs et obstrué une partie des ouvertures du côté nord-ouest pour que l’air soit aspiré plutôt côté sud. Enfin, ils ont installé sur le toit des panneaux solaires hybrides qui réchauffent l’air par échange thermique en plus de produire de l’électricité qui est revendue.
Lire aussi : « L'affûtage des couteaux de la mélangeuse a été bénéfique »
Les éleveurs ont également revu leur système de distribution. « Au départ, nous posions le foin avec la griffe sur la table d’alimentation, puis nous rajoutions les autres éléments de la ration au godet désileur. Cela faisait beaucoup de manipulations et la ration, qui contenait alors aussi de la betterave, n’était pas mélangée, ce qui entraînait des pics d’acidose. » En 2010, le Gaec s’est donc équipé d’un bol mélangeur. « Le bol a réduit les problèmes métaboliques. Mais au bout de deux à trois ans, il était très abîmé. Les bols mélangeurs sont en général conçus pour mélanger du maïs coupé en brins de 5 cm, alors que nous avons des brins de foin de 15-20 cm qui doivent donc être recoupés et nécessitent plus de puissance. » Le Gaec a alors fait appel à un nutritionniste et concepteur de bols mélangeurs, qui l’a aidé à adapter son bol avec des renforcements, des ajouts de couteaux, etc. Puis en 2019, il a acheté un bol Conor de 24 m³, qui coupe le foin en brins de 1,5 à 5 cm.