Aller au contenu principal

En Afrique du Nord, le blé tendre reste la clé de voûte de l’alimentation

Dans les pays du Maghreb, de nombreuses voix s’élèvent pour déplorer l’hégémonie du blé tendre dans la ration alimentaire locale. Mais la diversification de l’alimentation se heurte à de nombreux écueils.

étalage de boulangerie à Tunis (Tunisie), baguettes, pain, viennoiseries
La baguette blanche reste un élément essentiel des repas au Maghreb, comme pour les clients de cette boulangerie à Tunis (Tunisie)
© Omar Chebil

Dans la plupart des pays d’Afrique du Nord, le pain blanc fabriqué à partir de blé tendre reste la base de l’alimentation, et est lourdement subventionné. Les tentatives de hausse du prix se heurtent à des protestations populaires, même si les importations de blé tendre représentent une fuite de devises importantes pour ces pays. Si l’Égypte a récemment relevé le prix de vente officiel pour la première fois en trente ans, ce n’est pas le cas au Maroc : « Le pain est à 1,20 dirham depuis vingt ans. Il y a un manque de contrôle sur le poids mais le prix reste symbolique. Il représente une calorie abondante et pas chère », explique Ali Hatimy, agroéconomiste pour l’ONG Nitidae et contributeur du média Nechfate sur l’agriculture et l’eau au Maroc. En Afrique du Nord, les céréales représentent 2 000 calories sur les 3 400 du régime alimentaire d’un adulte, et la consommation de blé en Égypte a été multipliée par deux dans les années soixante, rappelle-t-il. 

Lire aussi : En Égypte, le prix du pain subventionné a été multiplié par quatre

Les politiques alimentaires continuent à soutenir la consommation de blé tendre malgré les critiques

Aucun programme ou politique alimentaire d’envergure n’envisage la sortie de ce modèle alimentaire, basé en grande partie sur le pain blanc, utilisé en accompagnement des repas. « Le Maroc a toujours été un énorme consommateur de céréales, entre 300 et 500 kg par habitant et par an », précise Ali Hatimy. « Maintenant, les consommations sont les mêmes mais les céréales traditionnelles ont été remplacées par du pain blanc subventionné », ajoute-t-il. 

Selon lui, il n’y a pas eu au Maroc d’investissement dans des politiques alimentaires visant à mieux valoriser les produits de l’agriculture familiale, dont les céréales locales. « Le secteur agroalimentaire basé sur l’agriculture d’exportation tire la croissance marocaine. La vision qui domine dans les politiques alimentaires est court-termiste en stimulant la croissance dans l’immédiat mais fragilise la santé des Marocains en promouvant un pain blanc à l’indice glycémique élevé », déplore-t-il. 

Une vision que partage Krimo Behlouli, ancien directeur de la Coopérative de céréales et légumes secs de Blida, dans l’Ouest de l’Algérie, qui rappelle que le pain blanc peut aussi avoir mauvaise presse à cause de sa mauvaise tolérance par les malades cœliaques. En Tunisie, le gouvernement a pourtant tenté de se saisir de la question. En avril dernier, une réunion a rassemblé le ministre de l’Agriculture, celui de la Santé, et les principaux acteurs et actrices de la recherche agronomique et agroalimentaire, pour explorer la possibilité de remplacer le type de pain subventionné, la baguette blanche, par un pain complet.

Lire aussi : De la farine de lupin et d’amande pour des brownies sans gluten

La réduction du gaspillage de pain et de farine, l’axe privilégié par les politiques publiques

Dans les pays d’Afrique du Nord, les politiques publiques essayent en priorité de sensibiliser les populations à la réduction du gaspillage de pain, via l’installation de gâchimètres à pain dans les cantines universitaires pour son recyclage en alimentation animale, comme en Tunisie par exemple. 

Pour Jihene Ben Yahmed, enseignante-chercheuse spécialisée dans les systèmes céréaliers à l’Institut national agronomique de Tunisie (Inat), le gaspillage a tout de même beaucoup reculé ces dernières années, principalement sous l’effet de l’inflation qui a touché de plein fouet le pays du jasmin après la crise Covid. « La consommation de pain a même reculé, et les boulangeries ont baissé leur production de baguette », avance-t-elle. 

Comme dans les autres pays du Maghreb, la baguette blanche y est pourtant un élément indispensable de l’alimentation, mais la crise économique qui touche le pays et vient avec son lot de pénuries de farine, pâtes alimentaires et autres produits de première nécessité a rationné la consommation. Selon Krimo Behlouli, « le gaspillage se concentre sur les boulangeries, même si la situation s’améliore, et chez les ménages. Il n’y a plus de pertes en meunerie ».

« Le gaspillage se concentre sur les boulangeries, même si la situation s’améliore, et chez les ménages. Il n’y a plus de pertes en meunerie », selon Krimo Behlouli, ancien directeur de la Coopérative de céréales et légumes secs de Blida, en Algérie.

La culture des autres espèces céréalières peine à se développer

Que ce soit en Algérie ou chez son voisin marocain, les autres espèces que le blé tendre se développent difficilement. En cause : l’absence de débouchés, et l’image du pain blanc, associée au progrès et à la richesse. Et ce, malgré les nombreux atouts d’espèces comme le triticale ou l’orge pour la consommation humaine. « Le triticale est rustique et résiste à la sécheresse, on peut atteindre les 100 quintaux à l’hectare dans certaines zones. Mais sa culture est timide pour l’instant : le pain noir reste associé à la pauvreté », explique Krimo Behlouli. 

Au Maroc, si les agriculteurs se rabattent certes sur l’orge, plus adaptée au contexte de changement climatique, les essais de développement d’autres céréales se soldent par des échecs. « Jusque dans les années soixante-dix, la sole de sorgho pouvait atteindre 100 000 à 150 000 hectares mais est devenue maintenant anecdotique », explique Ali Hatimy. 

En Tunisie, où le sorgho est pourtant l’ingrédient principal du drôo (ou dro3), une sorte de porridge consommé au petit déjeuner, et où existent des variétés locales, la culture peine aussi à se développer, faute de débouchés. Si le sorgho était intégré dans les habitudes alimentaires, ce n’est plus le cas aujourd’hui. 

Les produits à base d’autres céréales que le blé tendre et le blé dur sont difficiles à valoriser et doivent faire face à des blocages de marché. Le prix de vente des pains de blé dur, d’orge ou de mélanges demeure également dissuasif face à celui du pain blanc subventionné : d’après Ali Hatimy, ceux-ci se vendent en moyenne 2,50 dirhams contre 1,20 dirham pour le pain blanc. « Des cultures comme le quinoa ont été promues par l’OCP [Office chérifien des phosphates] et les startups dans son giron, dans les zones de montagne vers Khenifra, mais les débouchés n’étaient pas au rendez-vous sur le marché local et le Maroc est moins compétitif à l’export que le Pérou », précise-t-il.

Lire aussi : Les surfaces de céréales reculent au Maghreb sous l’effet du changement climatique

Les plus lus

Engrais chimique en granulé
Marché des engrais : demande encore timorée et prix en repli

Dans un contexte de cours du blé français au plus bas et des trésoreries affectées dans les fermes, l'activité est limitée.

FranceAgriMer atténue la lourdeur des bilans français des céréales

L’Établissement public a abaissé sa prévision de stocks finaux pour 2025-2026 en blé tendre, orge et maïs grain. Les…

Culture de soja.
La profession agricole veut profiter du nouveau report du RDUE pour le simplifier

Pour la seconde fois, la Commission européenne propose de reporter d’un an l’entrée en application de la RDUE, la…

Graphique prix blé orge maïs France au 9 octobre 2025
Marché des céréales du 9 octobre 2025 - Le prix du blé français frôle les 190 €/t avec l’amélioration de sa compétitivité à l'international

L’évolution des prix du blé, de l’orge et du maïs français entre le 8 et le 9 octobre 2025, expliquée par La Dépêche-Le Petit…

De gauche à droite : Ghislain Caron (Cargill), vice-président de l'Usipa, Carlota Pons (Tereos), vice-présidente, Mariane Flamary, déléguée générale, Sophie Verpoort (ADM), trésorière, Marie-Laure Empinet (Roquette), présidente et Cécile Duputel (Roquette), administratrice à l'AG de l'Usipa le 25 septembre 2025
L’amidonnerie française fait grise mine

Le chiffre d’affaires de l’amidonnerie française a reculé de 21 % sur l’année 2024, avec pour conséquence le repli des achats…

Joël Ratel, directeur général de Nord Céréales
Nord Céréales : une campagne à l’exportation qui peine à démarrer

Les chargements du terminal céréalier dunkerquois sur le premier trimestre de la campagne de commercialisation 2025-2026 sont…

Publicité
Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 958€/an
Liste à puce
Accédez à tous les articles du site La dépêche – le petit meunier
Bénéficiez de la base de cotations en ligne
Consultez votre revue numérique la dépêche – le petit meunier
Recevez les évolutions des marchés de la journée dans la COTidienne