Multiplication de semences : des moyens de production sous contrainte
La multiplication de semences impose une technicité élevée. Elle subit de plein fouet les restrictions d’usages et retraits de phytos, ainsi que les aléas climatiques. La filière s’adapte.
La multiplication de semences impose une technicité élevée. Elle subit de plein fouet les restrictions d’usages et retraits de phytos, ainsi que les aléas climatiques. La filière s’adapte.
Protection des cultures et aléas climatiques : ce sont les deux plus importants défis à relever pour la filière de multiplication de semences pour les années à venir. Les agriculteurs-multiplicateurs font face à « un mouvement de fond de disparition des produits de protection des cultures », explique Jean-Albert Fougereux, responsable technique à la Fédération nationale des agriculteurs multiplicateurs de semences (Fnams). « Nous avons perdu 26 % de produits en cinq ans, détaille l’expert. Sur les 75 usages spécifiques à la production de semences de 125 espèces en potagères, fourragères et betteraves, 147 produits sont autorisés actuellement. C’est 109 de moins qu'en 2015. »
Pour certaines espèces, la production de semences devient très compliquée. « Nous enregistrons de fortes pertes de surfaces, surtout liées à une non-maîtrise des ravageurs, précise Jean-Albert Fougereux. Le radis porte-graine est très affecté par les altises et les méligèthes avec le retrait de solutions efficaces. La surface a diminué de plus de moitié en quelques années. La sole a également chuté en trèfle violet du fait d’un insecte, l’apion, que l’on ne parvient plus à contrôler après la disparition des néonicotinoïdes. La luzerne porte-graine souffre aussi beaucoup, touchée par plusieurs ravageurs. »
Certaines maladies posent aussi des problèmes. L’oignon porte-graine pâtit du retrait d’une molécule, le mancozèbe. « Contre le mildiou, les autres fongicides sont deux à trois fois plus chers que ceux à base de mancozèbe, note Yannick Pipino, producteur dans le Lot-et-Garonne. Entre l’augmentation des prix et ce changement de produits, nous avons 700 à 1 000 euros par hectare de coûts en plus pour des charges opérationnelles totalisant entre 5 000 et 6 500 euros par hectare sur oignon. »
Nécessaire adaptation des pratiques
Les mauvaises herbes ne sont pas plus faciles à gérer. « Les herbicides sont la catégorie où l’on a perdu le plus de produits ces cinq dernières années, notamment en graminées fourragères, où il est compliqué de détruire les graminées adventices », relève Jean-Albert Fougereux. Outre les retraits de produits, la pression se fait de plus en plus forte sur l’usage de ceux qui restent, avec des restrictions du nombre d’applications, des diminutions de doses…
La solution en protection des cultures passe par une adaptation des pratiques. « En désherbage, les producteurs développent deux principaux leviers : le désherbage mécanique avec des appareils toujours plus innovants et l’implantation sous couvert ou en cultures associées, explique Jean-Albert Fougereux. Nous connaissons certains succès, comme en production de semences fourragères. Une luzerne implantée sous tournesol ou céréales végète la première année puis se développe après la récolte de la culture tout en résistant bien à un désherbage mécanique, ce qui permet de réduire les IFT. »
En oléagineux, les multiplicateurs ont encaissé la suppression du diquat, appliqué pour la dessiccation du tournesol. « Ce sujet inquiétait beaucoup les producteurs, mais nous avons trouvé des solutions en utilisant une barre de coupe pour récolter uniquement les capitules, ce qui permet d’intervenir à des niveaux d’humidité supérieurs. Les cueilleurs maïs fonctionnent également, avec l’adaptation d’un kit tournesol, rapporte Romain Filiol, animateur technique de l’Anamso (1). En colza, nous travaillons beaucoup la solution mécanique avec l’andainage. »
Sur maladies et ravageurs, les solutions de biocontrôle tardent à venir. Pour les insectes, la Fnams mise davantage sur une approche de biodiversité fonctionnelle avec des cultures associées ou en bande autour des parcelles pour perturber la biologie des ravageurs.
Lourd impact du changement climatique
« Intrinsèquement, les cultures porte-graines sont plus sujettes aux aléas climatiques que les cultures conventionnelles, considère Jean-Albert Fougereux. Le coefficient de variation du rendement du blé sur vingt ans en France est de plus ou moins 7 %, alors que pour la carotte porte-graine il est de 25 %. Son rendement peut donc varier du simple au double d’une année sur l’autre. Par ailleurs, avec les excès d’eau en 2021, 27 % de la luzerne porte-graine n’a pas été récoltée et 30 % a produit moins d’1 q/ha contre 4 à 5 q/ha normalement. » Dans le Lot-et-Garonne, Yannick Pipino constate de plus en plus d’épisodes de grêle. Or certaines productions de semences y sont très sensibles, comme le poireau.
Le réchauffement climatique se traduira par un raccourcissement des cycles avec un impact sur le rendement. « Nous modélisons cet impact sur les stades de développement des espèces et les dates de récolte pour améliorer l’organisation de la filière. Le déficit hydrique peut aussi avoir un effet, ajoute Jean-Albert Fougereux. Nous travaillons à l’optimisation des besoins pour améliorer le pilotage de l’irrigation sur des espèces très mineures où les apports d’eau sont parfois empiriques. »
Autorisations spécifiques pour les espèces mineures