« Malgré un marché fluctuant, le chanvre est intéressant sur notre exploitation »
Malgré des hauts et des bas, Maxime et Sébastien Joly cultivent du chanvre depuis plus de 35 ans. À sa bonne valorisation ces dernières années s’ajoutent l’étalement des travaux et la baisse d’IFT.
Malgré des hauts et des bas, Maxime et Sébastien Joly cultivent du chanvre depuis plus de 35 ans. À sa bonne valorisation ces dernières années s’ajoutent l’étalement des travaux et la baisse d’IFT.
Voilà 35 ans que Maxime et Sébastien Joly, deux cousins associés au sein de la SCEA Vaugency à Saint-Quentin-sur-Coole, dans la Marne, ont intégré le chanvre dans leur rotation. « Nous nous sommes lancés sur deux hectares, racontent les agriculteurs. Aujourd’hui, nous en produisons 41 hectares. » La culture couvre 10 % de la SAU au sein d’une rotation diversifiée : blé, orge de printemps et d’hiver, luzerne, pois, tournesol, betteraves… Le colza, lui, est sorti du jeu.
Malgré des hauts et des bas, le chanvre dispose, lui, de suffisamment d’atouts pour conserver sa place dans l’assolement. En 2015, la filière a été confrontée à une mauvaise récolte de graines, le chènevis. Cela s’est traduit par une pénurie de ce produit, qui a fait augmenter les prix, et par effet de domino a entraîné le développement de nouvelles zones de production en Europe, notamment en France. Le continent est alors devenu excédentaire en chènevis. Résultat : les prix se sont effondrés. Mais pas question pour les Joly d’abandonner le chanvre, qu’ils livrent à la coopérative toute proche, la Chanvrière de l’Aube, dans une logique de contractualisation.
« Malgré les fluctuations de marché, nous avons continué à produire du chanvre pour respecter notre engagement. Nous considérons aussi qu’une mauvaise récolte est toujours possible et qu’il faut savoir persévérer, expliquent Maxime et Sébastien Joly. Sur ce genre de culture, il est difficile de se projeter précisément car nous ne savons pas exactement à l’avance quel sera le prix définitif auquel nous vendrons notre marchandise. Cela dépend du marché mais aussi des ristournes qui nous seront accordées. »
L’exploitation produit 400 tonnes de paille de chanvre, intégralement apportées à la Chanvrière de l’Aube. « Pour garantir les volumes à travailler et optimiser l’outil de transformation, chaque adhérent de la coopérative s’engage à fournir la paille durant cinq campagnes », précisent-ils. Libres d’engagement, les graines doivent toutefois être exclusivement livrées à la coopérative. Pour la coopérative, cette contractualisation sur cinq ans garantit l’activité de la structure et permet d’établir des contrats à long terme avec les clients.
Mutualiser les investissements en matériel pour réduire les coûts
Pour gagner en résilience, la SCEA Vaugency veille à rationaliser ses charges d’équipement. « Le chanvre est une culture très technique qui nécessite d’importants investissements en matériel. C’est pourquoi nous nous sommes associés à un autre producteur afin de travailler en commun 70 hectares de chanvre. C’est plus sécurisant », expliquent Maxime et Sébastien Joly. Ils privilégient l’achat de matériel neuf renouvelé régulièrement, en raison de l’usure rapide. Tous les deux à trois ans, ils remplacent la faneuse. Cette année, ils ont investi dans une barre de coupe à lame double pour faciliter la fauche.
« Le matériel doit être sûr et toujours opérationnel, surtout au moment du pressage et du stockage des balles rondes », préviennent les deux agriculteurs. Avec 400 tonnes de paille pressées, soit l’équivalent de 1 000 ballots, l’optimisation du débit de chantier est essentielle pour produire une paille de qualité. « Tous les ballots sont stockés sous un hangar. 65 % du volume est déstocké avant la récolte suivante. En fonction de la qualité et du rouissage de la paille, les prix de vente avec ristourne varient de 120 à 200 euros la tonne. »
Une recette garantie de 1 400 euros à l’hectare
Une partie importante du résultat de la coopérative est redistribuée sous forme de ristourne. Cela permet, certaines années, d’augmenter de 20 % le prix de base, calculé à la tonne de paille produite. La coopérative garantit une recette minimale de 1 400 euros à l’hectare, calculée pour une production de 8 t/ha de paille et de 10 q/ha de chènevis.
« Le rendement de chènevis oscille entre 0,3 et 1,3 tonne à l’hectare, précisent les deux producteurs. Les graines sont récoltées à 15 % d’humidité avec un taux maximum de grains verts de 5 %. Elles sont rapidement ventilées dans des silos collecteurs pour éviter leur oxydation. » En agriculture conventionnelle, le prix du chènevis avoisine 595 euros la tonne.
« Le chanvre est l’une des trois cultures les plus rémunératrices de l’exploitation »
Pour la SCEA Vaugency, la marge brute moyenne est d’environ 1 000 euros à l’hectare. « Cette marge est plus importante que celle des betteraves, après déduction des frais d’arrachage par l’entrepreneur, indiquent les Joly. Depuis sept campagnes, le chanvre fait partie des trois cultures les plus rémunératrices de l’exploitation, avec la betterave et le ray-grass porte-graines. »
Le chanvre est aussi un atout dans l’organisation des chantiers de la SCEA. Il se sème en effet plus tard que les autres cultures de printemps, cette période concentrant un gros pic de travail. La récolte démarre par la fauche en septembre et s’étale sur plusieurs mois selon le rouissage de la paille. « Nous passons 2 heures par hectare à faucher, faner et andainer et 1 heure par hectare à presser la paille, sans compter le temps pour la ramasser, la transporter, la ranger et la charger dans les camions », expliquent les exploitants.
Les exploitants apprécient également la baisse de l’IFT moyen permise par le chanvre : il s’élève à 2,77 sur la ferme, contre 5,6 pour la moyenne régionale. « Si nous réduisons le chanvre au profit du colza ou d’une autre culture, notre IFT risque d’augmenter, ce que nous ne souhaitons pas. »
La Chanvrière de l’Aube veut développer les débouchés locaux
Avec 17 000 hectares, la France est le premier pays producteur de chanvre en Europe. 60 % du marché français est alimenté par la Chanvrière de l’Aube qui travaille plus de 10 000 hectares par an. « 78 % de notre chiffre d’affaires est réalisé par nos ventes à l’export, mais nous réfléchissons à développer des débouchés locaux, explique Benoît Savourat, président de la Chanvrière de l’Aube. C’est pourquoi l’agglomération troyenne envisage de créer une zone d’activité de 50 hectares autour de notre nouvelle usine de Saint-Lyé, dans l’Aube, pour développer la bioéconomie à partir du chanvre. » Pour le responsable, le chanvre offre de belles perspectives de développement.
Composé de 30 % de fibres et de 50 % de chènevotte, la plante est destinée à de nombreux usages. La papeterie et les litières pour chevaux restent les principaux débouchés, mais d’autres marchés se développent : composite pour l’automobile, fibre pour l’industrie textile et granulats dans les bétons dont l’utilisation s’accélère depuis que la réglementation intègre l’impact du carbone dans les constructions.
La microfibre et la microchènevotte sont valorisées sous la forme de compost ou de combustible dans les usines de déshydratation. « Depuis quelques années, nous observons un développement du chènevis, bio comme conventionnel, dans les produits alimentaires ou cosmétiques », souligne Benoît Savourat. Présentes dans la fleur et la feuille, des molécules comme les cannabinoïdes ou les terpènes peuvent être utilisées à des fins médicales ou pour la production d’huile essentielle et de parfum. L’arrêté du 30 décembre 2021 devrait en permettre la valorisation. Toutefois, la réglementation et les marchés potentiels autour de cette exploitation du chanvre sont encore à construire.