« Le projet de métha nous a incités à mutualiser l’assolement et le parc matériel »
Cinq exploitations de l’Aube ont créé une société en participation pour mettre en commun leur assolement, afin de disposer de suffisamment d’intercultures pour alimenter leur unité de méthanisation. Elles ont en parallèle mutualisé leur parc de matériels au sein d’une SARL.
Cinq exploitations de l’Aube ont créé une société en participation pour mettre en commun leur assolement, afin de disposer de suffisamment d’intercultures pour alimenter leur unité de méthanisation. Elles ont en parallèle mutualisé leur parc de matériels au sein d’une SARL.
Depuis 2018, Yann Brisset, Patrick et Yoann Chevalet, Julien Day, David Fandart et David Totel partagent, en toute convivialité, leurs terres, leurs bâtiments et leur parc de matériels. Cette mutualisation des biens et des moyens de production a été motivée par le projet d’une installation de méthanisation en commun conçue pour produire 250 normo mètres cubes de gaz, qu’ils viennent de concrétiser en mars 2021. Grâce à cette organisation, les six agriculteurs, représentant cinq exploitations et 1 157 hectares (dont 70 hectares en prestation), contrôlent au plus juste leurs charges. Ils se sont structurés en créant une société en participation (SEP) et une SARL localisées à Saint-Mesmin dans l’Aube. La SEP Val de Seine garantit une mise en commun de l’assolement en parfaite adéquation avec le statut du fermage. Elle assure également la commercialisation des récoltes. La SARL Agri Val de Seine chapeaute, elle, la mutualisation des moyens humains et matériels, ainsi que l’achat des intrants et les prestations de service.
Chaque dossier suivi par un binôme d’agriculteurs
Les cinq corps de ferme se situent dans un rayon de cinq kilomètres autour du siège social. Les agriculteurs se connaissaient déjà avant de créer le groupe, car certains possédaient du matériel en copropriété ou étaient adhérents de la même Cuma. Ils avaient également l’habitude d’échanger dans le cadre du Ceta. Pour encadrer leur nouvelle organisation, un règlement intérieur a été mis en place et des binômes ont été formés pour suivre chaque activité : commercialisation des récoltes, gestion du parc matériel, suivi agronomique, méthanisation, ressources humaines, comptabilité… « Grâce à cette répartition des tâches, nous abordons les différents dossiers avec une bonne expertise, ce qui n’est pas toujours évident pour un agriculteur seul sur son exploitation. En revanche, comme la responsabilité de la commercialisation de nos produits repose sur un binôme, il faut que les autres acceptent que la vente ne s’effectue parfois pas au meilleur prix. »
Davantage de pouvoir pour négocier les tarifs
Pour le bon fonctionnement, un comité de pilotage a lieu toutes les semaines pour valider les décisions, organiser les travaux et gérer les affaires diverses. Un comité de direction est organisé tous les mois pour programmer les investissements et aborder des sujets de développement ou de diversification. Grâce à la comptabilité analytique opérée par le groupe, les six cogérants connaissent désormais combien leur rapporte chacune de leurs productions. L’union faisant la force, ils profitent de tarifs plus intéressants pour l’acquisition de matériels, l’achat de semences, d’engrais et de phytos ou la facturation de services. « La commande en une seule fois de 2 000 tonnes de compost donne davantage de poids dans la négociation, soulignent les associés. L’effet se ressent aussi au niveau des contrats d’assurance, car, à équipement équivalent, les différences s’avéraient notables entre les exploitations, parfois au sein de la même compagnie. »
Deux pulvés font le travail de cinq auparavant
Dès le regroupement, les cinq exploitations ont allégé le parc de matériels. Elles ont notamment fait reprendre quatre pulvérisateurs traînés et un automoteur, pour racheter deux appareils traînés. Elles ont aussi remplacé trois tracteurs de 200 chevaux par un seul de 390 chevaux. Les associés privilégient les matériels de grande largeur pour travailler leurs terres de Champagne crayeuse, tels que des vibroculteurs de 6 et 8 m ou encore le récent semoir Horsch Focus TD de 6 mètres. Cet appareil, d’une valeur de 140 000 euros, a été retenu pour sa capacité à semer en strip-till. Doté de deux trémies et de deux rampes de semis, il devrait être particulièrement employé pour l’implantation des 546 hectares de Cive (cultures intermédiaires à vocation énergétique) destinées à l’alimentation du méthaniseur. Les agriculteurs restent particulièrement polyvalents et prennent toujours le volant des tracteurs. Les activités plus spécifiques, comme la pulvérisation et les chantiers liés aux pommes de terre, sont, elles, menées principalement par un des salariés et certains associés.
91 litres de GNR par hectare en 2020
Le parc de matériels se compose de tracteurs et d’outils acquis par la SARL, ainsi que d’équipements mis à la disposition par les agriculteurs. Ces derniers sont rémunérés en fonction du niveau d’utilisation de leurs machines. Pour simplifier la comptabilité, un forfait de nombre d’heures de tracteurs par hectare et type de culture est retenu. La consommation de carburant est aussi forfaitaire. Elle s’élevait en moyenne à 91 litres de GNR par hectare en 2020, soit un coût de 59 euros par hectare avec un prix moyen du carburant de 0,62 euro par litre. Pour toutes les cultures confondues, les charges de mécanisation s’élèvent en moyenne à 343 euros par hectare. En y ajoutant les charges opérationnelles (engrais, phytos et semences), le coût de la main-d’œuvre et les autres frais fixes (assurance, constructions..), le coût de revient moyen se situe à 967 euros par hectare. Ce chiffre, déjà inférieur à celui de 2019 (1 046 euros par hectare), devrait encore baisser en 2021 avec le développement des surfaces de Cive, qui diluent encore les charges fixes.
La moindre heure passée est comptabilisée
Le regroupement des cinq exploitations n’a pas eu d’effet négatif sur l’emploi, bien au contraire. Les trois salariés qui travaillaient déjà chez certains agriculteurs ont été embauchés par la SARL et se sont vus confier chacun un véhicule de service. Un poste à 80 % a même été créé pour la gestion des tâches administratives. Toutes les heures passées par les exploitants pour le compte du groupement sont comptabilisées, que ce soit pour la conduite, le suivi des cultures, les démarches administratives, les réunions… Ainsi, en 2020, pour les 1 483 hectares cultivés (Cive comprises), le nombre d’heures s’est élevé à 18 200, dont 7 200 réalisées par les salariés (3,8 UTH). Les six cogérants ont alors effectué 11 000 heures. Ce chiffre peut paraître élevé, mais il intègre le temps passé à la création et au suivi de la construction de l’unité de méthanisation. Pour des raisons d’équité et comme certains associés sont doubles actifs, ceux qui participent le plus paient moins de charges salariales.
Parc matériel de la SARL Agri Val de Seine
14 tracteurs de 80 à 390 ch
2 chargeurs télescopiques
2 pulvérisateurs traînés
2 moissonneuses-batteuses à rotor axial de 450 et 530 ch
3 charrues (6 et 8 corps)
1 déchaumeur à dents de 6 m
2 vibroculteurs (8 et 6 m)
1 semoir Horsch Focus TD de 6 m
1 semoir en ligne de 4 m
2 semoirs à betteraves de 12 rangs
1 semoir monograine de 5 rangs (pour les maïs)
8 bennes monocoques (5 x 24 t et 3 x 17 t), dont 2 élévatrices
4 plateaux à balle de 20 tonnes
2 épandeurs d’engrais portés
3 véhicules de service attribués aux salariés
546 hectares de Cive pour alimenter l’unité de méthanisation
L’unité de méthanisation, dénommée Biogaz Val de Seine et mise en route en mars 2021, a été l’effet déclencheur de la mutualisation des moyens de production des cinq exploitations. « Cette installation conçue pour produire 250 normo mètres cubes de gaz est le fruit de longues démarches administratives et représente un investissement de six millions d’euros. Un tel projet aurait été difficile à mener par un agriculteur seul, tant sur le plan financier que sur le plan des surfaces nécessaires pour alimenter cette unité », souligne les cogérants. Pour implanter cette unité, les exploitants ont acheté, à un des associés, un terrain de 4,8 hectares situé au cœur du gisement de matières premières. L’emplacement du site présente aussi l’avantage de limiter la circulation des convois agricoles à proximité des habitations, réduisant ainsi les nuisances.
La politique du zéro plastique
L’alimentation du méthaniseur sera notamment assurée par près de 546 hectares de cultures intermédiaires à vocation énergétique (Cive). Elle intégrera également de la pulpe de betteraves, des issues de céréales, des déchets de pommes de terre et d’oignons. Les intercultures sont ensilées et stockées dans trois silos couloirs de 80 mètres de long, deux mesurant 30 mètres de large et le troisième 25 mètres. Pour ces tas d’ensilage, les cogérants ont prévu à terme de ne pas utiliser de bâche, afin de ne pas générer de grandes quantités de films plastiques à recycler. « Contrairement aux vaches, le digesteur n’est pas sensible à la mauvaise appétence de la ration. Nous allons donc laisser le dessus du tas d’ensilage tel quel ou semer une céréale pour obtenir une couverture végétale. » Cette pratique de conservation passe cependant par l’application sur les murs d’une coûteuse résine assurant l’étanchéité.
Les Cive dédiées à la méthanisation
Orge de printemps : 255 ha
Avoine : 99 ha
Seigle : 95 ha
Triticale : 92 ha
Escourgeon : 5 ha