Le blé sud-américain relève le défi du changement climatique
La disponibilité en eau, le renouvellement variétal et le non-labour sont les atouts dont disposent le Brésil et l’Argentine, ce qui leur permet d’augmenter leurs production de blé malgré le dérèglement climatique.
La disponibilité en eau, le renouvellement variétal et le non-labour sont les atouts dont disposent le Brésil et l’Argentine, ce qui leur permet d’augmenter leurs production de blé malgré le dérèglement climatique.
Et si le blé du Brésil et de l’Argentine se trouvait être l’un des grands gagnants dans un contexte de changement climatique ? Des rapports de la Commission européenne et de centres de recherche internationaux prévoient que le dérèglement climatique affectera principalement le rendement des cultures de blé dans les pays situés à de basses latitudes, notamment en Afrique et en Asie du Sud.
En Amérique du Sud, en revanche, la production de blé devrait continuer à augmenter. La hausse pourrait même être spectaculaire au Brésil. Le géant, aujourd’hui importateur net de blé, pourrait très vite dégager des excédents significatifs, même s’il est confronté à des conditions météo défavorables. Dans le cône sud-américain, certains éléments viennent en effet contrecarrer les effets délétères du changement climatique.
Expansion de la sole de blé argentine
« En Argentine, la vague actuelle de projets céréaliers irrigués au nord de la Patagonie relève du développement économique du pays, pas du climat », souligne l’agronome Santiago Guazzelli de l’Association argentine des producteurs en semis direct (Aapresid). Dans cette vaste région, l’eau provenant du dégel des Andes abonde, notamment dans les vallées des fleuves Rio Grande et Rio Colorado. L’énergie nécessaire aux systèmes d’irrigation est, elle aussi, disponible grâce au récent développement, exponentiel, du gisement schisteux de Vaca Muerta, situé dans cette zone.
Par ailleurs, les infrastructures des ports en eau profonde de Bahía Blanca et de Necochea, premiers ports céréaliers du pays et situés sur l’Atlantique, devraient bénéficier de lourds investissements (silos, biocombustibles, trituration, agrandissement de l’usine d’engrais azotés de Profertil). Bahía Blanca devait, en effet, accueillir la première usine de GNL de l’Argentine, mais un autre port situé au Río Negro lui a été préféré pour des raisons politiques. Résultat : le pôle céréalier devrait accaparer toute l’attention des acteurs du site. En revanche, la trentaine de ports privés de la région de Rosario est exposée à un risque de baisse du niveau des eaux du fleuve Paraná.
Ces phénomènes influenceront l’évolution de la sole de blé en Argentine. Le principal bassin céréalier d’hiver du pays (blé et orge) est en effet situé au sud-est de la province de Buenos Aires, où se trouvent les ports de Necochea et de Bahía Blanca. La sole de blé devrait s’étendre vers la région dite extra-pampéenne : vers l’ouest (province de San Luis) et vers le sud (provinces de La Pampa et du Rio Negro), au nord de la Patagonie, avec un recours à l’irrigation.
Blé OGM tolérant à la sécheresse
Un autre facteur devrait aider la production de blé argentine à résister aux assauts du changement climatique : le développement de la culture d’un blé OGM réputé moins sensible à la sécheresse. « Pour la première fois cette année, les céréaliers qui ont cultivé les variétés de blé OGM porteurs de la technologie dite HB4 sont les propriétaires des récoltes et pourront les vendre aux exportateurs de grains reconnus du circuit », nous a affirmé Martín Ventura, directeur semences du laboratoire de biotech argentin Bioceres, codétenteur de la technologie HB4 en blé avec Florimond Desprez, depuis leur accord noué en 2012.
Le champ semble désormais libre pour sa commercialisation. Une dizaine de pays (Australie, Brésil, Indonésie, Paraguay entre autes) a déjà donné son aval pour l’importation des grains issus de ces variétés. Le blé OGM HB4 est désormais cultivé au Brésil, (officiellement) à titre expérimental. L’agence nationale de recherche agronomique brésilienne (Embrapa) l’a ainsi inscrit dans ses essais visant à identifier des variétés adaptées aux régions tropicales du Nordeste et du Cerrado.
Croissance grâce au non-labour
Le non-labour, à l’origine de l’expansion du soja, et plus récemment de celui du maïs, pourrait aussi contribuer au succès du blé. Selon l’agronome Santiago Guazzelli de l’Aapresid, ce système couvre 90 % de la SAU du pays, soit 38 millions d’hectares, mais il est souvent pratiqué de façon rudimentaire. Or, « le non-labour ne consiste pas à épandre du glyphosate sur un terrain où l’on ne fait pousser que du soja génétiquement modifié pour y résister », souligne l’expert.
Pour que ce système contribue à la régénération des sols, il faut aussi implanter des couverts végétaux, mettre en œuvre une rotation diversifiée, bien fertiliser les cultures et adopter la gestion intégrée des parasites. Actuellement, seuls 15 % des céréaliers de l’Argentine auraient adopté de telles pratiques. Selon l’étude de l’Aapresid, le système en non-labour appliqué dans les règles de l’art permettrait de beaucoup mieux valoriser l’eau, de réduire l’usage des carburants fossiles de 60 %, et d’abaisser de 40 % des émissions de GES et de 50 % celles issues des engrais azotés. La généralisation de ces pratiques permettrait non seulement des gains de rendements pour le blé, avec une moindre utilisation d’eau, mais aussi un développement des emblavements du fait de son introduction dans des rotations plus longues.
Du blé au Mato Grosso
Au Brésil aussi, le blé fait des émules. D’après Antônio Pitangui de Salvo, président de la fédération agricole de l’État du Minas Gerais, « la production de blé est en pleine phase de croissance dans le Cerrado brésilien [centre-ouest]. À l’instar de ce qui se fait dans la région pampéenne depuis plusieurs années, le blé trouve de plus en plus sa place dans les assolements maïs-soja des régions tropicales du Brésil, souvent comme première culture avant un soja de rattrapage. Il y a dix ans, il était impensable de produire du blé au Minas Gerais ou au Mato Grosso. Aujourd’hui, c’est de plus en plus fréquent ». C’est le résultat des efforts entamés de longue date par l’Embrapa pour développer des variétés de blé adaptées aux milieux tropicaux.
Le blé brésilien profite également d’une offre insuffisante sur le marché intérieur qui tire les cours locaux vers le haut. Le pays est installé dans le top 5 des importateurs de blé, avec l’Argentine pour principal fournisseur. Les perspectives de croissance du blé brésilien pourraient donc se confirmer même sous le pire scénario climatique. Et, insiste Antônio Pitangui de Salvo, « l’expansion de la sole de blé brésilienne ne se fait pas sur des zones déboisées mais dans le cadre d’une insertion dans les assolements de zones déjà cultivées ».
Marc-Henry André
L’Australie à la recherche d’un blé d’hiver rapide
Les conditions météo entraînent d’énormes fluctuations de la production australienne de blé. L’adoption de variétés adaptées est une piste pour sécuriser les rendements.
La production australienne fluctue d’un extrême à l’autre. Au flop de la saison 2019-2020 avec une moisson de 14,5 millions de tonnes (Mt) a succédé, trois ans plus tard, la récolte record de 2022-2023, avec 40,5 Mt. Selon la revue Nature Food, les fortes baisses de rendement observées ces dernières années sont dues aux conditions climatiques plus sèches qui résulteraient de la hausse de la température moyenne de l’océan Indien. Ce phénomène, appelé « El Niño indien », a très nettement augmenté ces dernières décennies.
Selon le professeur James Hunt, de l’université La Trobe, les producteurs de blé pourraient augmenter leurs rendements en semant beaucoup plus tôt qu’ils ne le font actuellement. Ils ont besoin pour cela de nouvelles variétés dites de « blé d’hiver rapide » pour ajuster les dates de semis face à des précipitations de plus en plus irrégulières. La production nationale de blé pourrait ainsi augmenter d’environ 20 %, soit d’environ 7,1 Mt.
L’enjeu est de taille, car si l’Australie ne produit que 4 % du blé mondial, elle représente 10 % des exportations (très majoritairement vers l’Asie), jouant un rôle important dans la formation des prix mondiaux.
Marc-Henry André
El Niño et La Niña au cœur des enjeux climatiques
El Niño et la Niña sont les deux événements climatiques qui orientent les pratiques des agriculteurs argentins. Annonce-t-on un cycle El Niño, synonyme de fortes pluies, ils mettront tous les moyens en œuvre pour aller chercher des gros rendements. À l’inverse, sous le signe de La Niña, facteur de sécheresse, ils joueront la stratégie d’évitement, en décalant le cycle du maïs grâce à des variétés tardives moins productives.
L’Argentine, le sud du Brésil et l’Uruguay sortent de trois campagnes sèches consécutives (2020-2023) sous l’influence de La Niña. Quelle corrélation entre ce phénomène particulier et le changement climatique ? Difficile d’y répondre, tant les interactions sont complexes et font encore l’objet d’études chez les climatologues.