Laurent Bernadieu dans les Landes : « Je ne me voyais pas faire autre chose que du lait »
Un subtil équilibre entre plusieurs activités, dont un atelier laitier d’une cinquantaine de vaches bien géré. Telle est la recette de la SCEA Bernadieu, dans les Landes, pour rémunérer trois unités de main-d’œuvre.
Un subtil équilibre entre plusieurs activités, dont un atelier laitier d’une cinquantaine de vaches bien géré. Telle est la recette de la SCEA Bernadieu, dans les Landes, pour rémunérer trois unités de main-d’œuvre.
Au sud du département des Landes, voici la Chalosse. Terre de polyculture élevage où le maïs est roi et pays du canard et du foie gras s’il en est un. Les vaches laitières n’y occupent plus que la portion congrue. Quatre-vingts élevages en tout et pour tout dans le département. « Là où il y avait du bovin, il y a maintenant du canard », explique Laurent Bernadieu, éleveur laitier à Bonnegarde. Dans son canton, ils sont quatre encore et deux sur la commune. Tout juste de quoi faire une équipe d’ensilage. Question inévitable : pourquoi maintenir le lait ? « Pour une histoire de passion, répond le jeune éleveur. Depuis tout petit, j’accompagnais mon père. Je ne me voyais pas faire autre chose. Je connaissais les astreintes auxquelles je m’exposais. »
« Ici, l’astreinte est facilement gérable parce que le troupeau n’est pas surdimensionné par rapport à la main-d’œuvre », ajoute Jean-Claude Langlez, de Landes Conseil élevage, qui suit l’exploitation depuis 1989. Laurent Bernadieu est en SCEA avec sa mère, Isabelle, et son frère, Bruno, à mi-temps et salarié dans une Cuma pour l’autre mi-temps. Leur père, Jean-Louis, retraité, est salarié de la SCEA à mi-temps. Soit au total 2,9 UTH.
« Anticiper le départ à la retraite des parents »
Si la famille Bernadieu s’est attachée à maintenir l’activité laitière, elle a tout autant voulu garder un équilibre entre les productions. Les surfaces, 76 hectares, sont consacrées pour moitié aux grandes cultures, du maïs grain essentiellement, et pour moitié à l’élevage laitier, du maïs ensilage (15 ha) et des prairies (18 ha). La SCEA produit 430 000 litres de lait, livré à Sodiaal, avec un cheptel de 48 Prim’Holstein (et quelques Brunes). Lors de son installation, Laurent Bernadieu a remis en service un poulailler pour produire du poulet élevé en liberté (3 bandes de 4 400 par an) afin de dégager un demi-revenu.
Un choix donc de ne pas mettre tous les œufs dans le même panier. « Nous n’avons jamais envisagé d’aller au-delà de 50 vaches parce que nous estimons que nous gérerons mieux le troupeau si nous restons à ce niveau. Nous avons agrandi la stabulation juste avant mon installation. Nous avons réfléchi à quelle limite nous mettions au troupeau en anticipant le départ à la retraite de mes parents. À terme, nous ne serons plus que 1,5 UTH et je dois être capable de gérer seul l’exploitation à certaines périodes, sachant que mon frère conservera son emploi à mi-temps. » Agrandir davantage le bâtiment aurait supposé aussi de raser le poulailler. Quand les deux frères se retrouveront seuls, ils prévoient de réduire le cheptel d’une dizaine de vaches.
« La priorité est de sécuriser l’ensilage de maïs »
Cet équilibre entre grandes cultures et surfaces fourragères présente bien des avantages. Les rendements du maïs ensilage, irrigué, varient de 15 tonnes de matière sèche par hectare (en 2020 : printemps pluvieux) à plus de 20 tonnes (en 2019) pour une moyenne de 17 tonnes. « Nous ensilons la surface nécessaire pour remplir les silos et le reste est récolté en grain », explique l’éleveur. La surface susceptible d’être ensilée est implantée avec des variétés de type HDi à haute densité (100 000 grains/ha). Des variétés assez précoces afin de pouvoir libérer les parcelles dès le début septembre et y semer un dérobé (RGI/trèfle incarnat), qui sera pâturé à l’automne, puis enrubanné ou pâturé au printemps. Le maïs ensilage occupe les meilleures terres, irrigables et proches de la stabulation. L’eau est pompée dans une rivière. « La priorité est de sécuriser l’ensilage », indique Laurent Bernadieu.
« Après une prairie, le maïs est magnifique »
Équilibre également au sein de la surface fourragère : le maïs ensilage entre en rotation avec des prairies temporaires multiespèces (5 ans de prairies/2 ans de maïs). « Après une prairie, pendant deux ans, le maïs est magnifique. Il faut profiter de cet avantage agronomique », observe Jean-Claude Langlez. Trois blocs de cinq hectares sont destinés au pâturage des laitières mais l’un d’entre eux est labouré au printemps après un passage des vaches pour y mettre du maïs. Une telle place accordée à l’herbe et au pâturage n’est pas si courante dans ces systèmes où le maïs couvre la quasi-totalité des besoins fourragers. De l’herbe est également récoltée en enrubanné pour remplacer la pâture en été. Les rendements du maïs grain, qui n’est qu’en partie irrigué, sont également assez variables (de 90 à 120 q/ha). Il est séché et stocké à la coopérative. Une partie est reprise pour fabriquer le concentré du troupeau. L’exploitation n’achète que du tourteau de soja et des minéraux (CMV).
« Un troupeau à taille humaine »
Le cheptel compte donc 48 vaches, essentiellement des Prim’Holstein. L’introduction de quelques Brunes, il y a dix ans, pour améliorer les taux et la fertilité ne s’est pas avérée concluante et n’a pas été poursuivie. « Les Prim’Holstein font des taux et sont un peu plus productives », constate Laurent Bernadieu. Sur la campagne 2020, les taux approchaient 46 g/l pour la matière grasse et 34 g/l pour la matière protéique, pour une moyenne économique dépassant les 9 000 litres par vache. Le prix moyen du lait atteignait 365 €/1 000 l. Le résultat « des taux et d’une maîtrise parfaite de la qualité », estime Jean-Claude Langlez. Aucun mois n’a été pénalisé. « Les éleveurs font preuve d’application et de rigueur au niveau de l’hygiène de traite, de l’hygiène du logement, de la distribution des fourrages : enlèvement des refus matin et soir, très bonne netteté du front d’attaque, poursuit le conseiller d’élevage. Le choix de conserver un troupeau à taille humaine leur permet d’avoir une bonne maîtrise. Mais ce qui fait la différence par rapport à d’autres cheptels de même niveau génétique, c’est la quantité de ration qu’ils mettent à l’auge. Une alimentation à volonté, c’est ce qui permet de faire autant de lait et autant de taux. »
Deux distributions par jour
En hiver, les laitières consomment au minimum 15 kg de matière sèche d’ensilage de maïs par jour, auxquels s’ajoutent 1,5 kg de foin, 3,3 kg de tourteau de soja et 300 grammes de CMV. Maïs, tourteau et CMV sont distribués à la désileuse deux fois par jour et le foin mis à disposition au cornadis. Une ration qui couvre 30 litres de lait. Au-delà de 30 litres, la complémentation est assurée avec un mélange fermier (75 % maïs grain broyé, 23 % tourteau de soja, 2 % de CMV) plafonné à 5 kg par vache et qui couvre 3 litres par kilo. Depuis peu, il est distribué au DAC. Le maïs est broyé avec une ancienne fabrique d’aliment pour poulets, un broyeur sur lequel a été adapté un tamis donnant un aliment plus grossier et un mélangeur. « L’intérêt d’un mélange fermier, c’est qu’il amène 1,08 UF/kg », précise le conseiller. Au printemps, la pâture remplace environ 10 kg bruts de maïs et 600 g de soja. La ration distribuée comprend alors 9 à 11 kg MS de maïs ensilage, 500 g de foin, 2,7 kg de tourteau et 250 g de CMV. En été, quand il y a peu d’herbe, l’enrubannage remplace la pâture. « C’est le troisième repas à midi », précise l’éleveur.
Pas de contrôle à moins de 30 litres
« Depuis un an, il n’y a pas eu un seul contrôle à moins de 30 litres, indique le conseiller. En mars, à la mise à l’herbe, nous étions même à plus de 36 litres avec des taux à plus de 43/33 avec un troupeau à 6,1 mois de lactation. Produire plus de 9 000 litres de lait par vache avec seulement 160 g/l de concentré, c’est exceptionnel. » Les vaches en préparation au vêlage reçoivent un supplément de concentré et du chlorure de magnésium pour les plus vieilles. Après le vêlage, le propylène glycol n’est donné qu’au cas par cas. « Avec le DAC, nous allons pouvoir en donner en préventif aux vaches à risque et nous réserverons la solution buvable pour celles qui auront de gros soucis », anticipe l’éleveur.
Plus de trois lactations en moyenne
Le cheptel est le fruit de trente ans de sélection. « Nous avons pas mal de vaches avec de jolis ISU, confie Laurent Bernadieu. Aujourd’hui, nous travaillons à améliorer les caractères fonctionnels (membres, mamelles…) tout en maintenant le lait. Nous recherchons des vaches qui vieillissent bien. » Elles font un peu plus de trois lactations en moyenne et produisent 15,5 litres par jour de vie. Le taux de renouvellement est de 25 % (10 à 12 génisses par an). « Faire vieillir les vaches permet de limiter le taux de renouvellement et c’est en troisième et quatrième lactations que les vaches produisent le plus, souligne Jean-Claude Langlez. Si on arrive à les amener jusque-là, elles sont plus rentables. » L’intervalle vêlage-vêlage est relativement long (plus de 440 j) et le troupeau se trouve toujours entre 6 et 7 mois de lactation. « Ce serait un problème si les vaches étaient à 7 000 litres, mais avec un cheptel à 30 litres par jour de traite, ce n’est pas un souci, considère le conseiller d’élevage. Ce serait dommage de les tarir trop tôt. »
« Beaucoup de temps est accordé à l’observation »
Les génisses sont inséminées avec des semences sexées et les multipares avec des doses conventionnelles en première intention, voire en seconde s’il manque du renouvellement, puis avec des taureaux viande (Inra 95 et Limousin pour les génisses). Les veaux sont élevés au lait entier. « Il n’y a rien de compliqué dans la conduite du troupeau, note le conseiller. Mais beaucoup de temps est accordé à l’observation. C’est ainsi qu’on peut anticiper, intervenir plus tôt et mieux maîtriser les choses. La productivité par unité de main-d’œuvre peut être jugée faible, mais elle est compensée par l’efficacité technique et la maîtrise économique qui permettent d’obtenir cette rémunération. Cette situation n’est pas courante. Elle permet aussi d’avoir une bonne qualité de vie et du temps pour faire autre chose. »
Les bienfaits du pâturage
Le maintien du pâturage, outre son intérêt dans la maîtrise du coût alimentaire, présente de nombreux avantages quant à la conduite du troupeau.
Si le pâturage est de moins en moins pratiqué dans les systèmes de polyculture élevage basés sur le maïs ensilage, il reste tout à fait opportun sous ce climat, doux et arrosé. Le troupeau de la SCEA Bernadieu ne passe pas plus de trois mois (deux même pour les génisses) sans sortir. Courant novembre, les vaches pâturent les dérobés implantées après le maïs ensilage. Elles ressortent début mars. Au printemps, les 40 vaches en lactation disposent de 10 hectares de pâture contiguës à la stabulation et divisés en 21 paddocks. Un pâturage dynamique avec changement quotidien de parcelle. Une ration importante de maïs étant maintenue pendant la pâture, toute l’herbe n’est pas consommée. Elle est pâturée par le troupeau des génisses et des vaches taries avec un décalage d’un jour, de sorte que les deux cheptels ne se retrouvent pas côte à côte.
Au final, l’herbe pâturée fournit 22 % des besoins fourragers des vaches quand le maïs en couvre 72 %. « Le pâturage, s’il est bien organisé au préalable, simplifie le travail à une période où les exploitants sont pris par les travaux des cultures, analyse Jean-Claude Langlez. Il a aussi un effet positif sur la santé des vaches qui permet de gagner sur la durée de vie. Les vaches n’ont pas besoin d’être parées tous les ans alors qu’en zéro pâturage, il faut prévoir un à deux parages. La détection des chaleurs est plus facile : les vaches se manifestent davantage dehors parce qu’elles se sentent plus en sécurité qu’en bâtiment. Et, enfin, il y a moins d’effluents à épandre. Il est important, par contre, de bien gérer l’accès à l’abreuvement, qui s’effectue, ici, dans la stabulation. »
Chiffres clés 2019-2020
Avis d’expert : Aurélien Legay, chargé de mission bovins lait Pyrénées-Atlantiques - Landes
« Un condensé de bon sens »