Une rentabilité pas évidente
Des pannes et usures prématurées, des déchets parfois durs à obtenir... le résultat réalisé n'est pas toujours à la hauteur du prévisionnel.
Des pannes et usures prématurées, des déchets parfois durs à obtenir... le résultat réalisé n'est pas toujours à la hauteur du prévisionnel.
La rentabilité des unités de méthanisation à la ferme avec de la cogénération, en individuel ou en collectif, ne semble pas évidente. L'AAMF, Association d'agriculteurs méthaniseurs de France, a même tiré la sonnette d'alarme début 2015, suite à une analyse de la rentabilité de ses adhérents ayant une installation de plus de trois ans d'existence.
Dans la foulée, l'AAMF et d'autres acteurs de la méthanisation agricole (ATEE club biogaz, APCA, Coop de France...) ont mandaté le cabinet E-Cube Strategy consultants pour réaliser un état des lieux de la filière biogaz. Il porte sur des unités mises en service avant fin 2013. Dans les deux cas, les unités enquêtées valorisent le biogaz produit avec la cogénération, un moteur qui produit de l'électricité et de la chaleur. Les unités qui injectent du biométhane dans le réseau GRDF ne sont pas étudiées. La première unité à la ferme n'a commencé à injecter qu'en 2013.
Depuis ces deux enquêtes, le cadre réglementaire des tarifs de rachat de l'électricité a évolué, améliorant la situation des unités en fonctionnement. "Sur 75 unités, près de la moitié ont obtenu moins de 10% de hausse de tarif. Vingt unités ont obtenu entre 10 et 20% de hausse. Vingt-cinq, plus de 20% de hausse. Celles qui ont bénéficié le plus de la revalorisation sont les petites unités de moins de 150 kWe ; des unités qui n'obtenaient pas de prime d'effluent (grosses unités) alors qu'elles en utilisent beaucoup ; et des unités qui ont du mal à valoriser la chaleur. Globalement, on peut dire que la revalorisation tarifaire permet aux unités de couvrir à la fois les amortissements, rémunérer le travail de l'exploitant ou des associés, et d'investir pour améliorer l'unité. Ce qu'elles n'arrivaient pas à faire avant l'avenant tarifaire. Ce qui reste regrettable, c'est de ne pas avoir obtenu l'allongement de la durée du contrat, de 15 à 20 ans", analyse Denis Ollivier, animateur Trame pour l'AAMF.
Les conclusions des deux enquêtes restent donc valables et intéressantes pour mettre en avant des points clés de la rentabilité.
Le cabinet E-Cube pointe des écarts parfois importants entre le business plan et le réalisé. "Sur les 54 sites interrogés (44 sites agricoles, 10 sites territoriaux), 65% déclarent une rentabilité inférieure au prévisionnel, 19% une rentabilité conforme, 11% une rentabilité supérieure, 5% ne se sont pas prononcés. Parmi ceux qui déclarent une rentabilité inférieure, plus de la moitié déclarent un écart important (plus de 5 points d'EBE)." Selon Philippe Collin, agriculteur méthaniseur de l'AAMF, interrogé avant la parution du nouvel arrêté tarifaire, "les temps de retour sur investissement annoncés autour de sept ans sont optimistes. Au vu des résultats réels, on est plus sur du douze à quinze ans".
Parmi les principales raisons, 53% des sites font état d'une production de biogaz et donc d'électricité inférieure au prévisionnel. Pour 25% des sites enquêtés, les recettes redevance déchets sont inférieures au prévisionnel, liées à une baisse des prix à la tonne. Des cas de difficultés d'approvisionnement, avec une compétition accrue pour les déchets, sont recensés. La production de biogaz peut être affectée. "C'est pour cela que l'on préconise, quand on utilise des matières extérieures, un stockage suffisant pour éviter le flux tendu et les ruptures d'approvisionnement", indique Philippe Collin. Pour 22% des sites enquêtés, la valorisation de la chaleur a été inférieure aux prévisions. Cela a impacté le tarif d'achat de l'électricité (prime à l'efficacité énergétique). Les charges de conduite et de maintenance des installations sont souvent supérieures au prévisionnel.
Le cabinet E-Cube et l'AAMF soulignent l'inadaptation du matériel et de la conception aux intrants utilisés en France, qui sont différents de ceux utilisés en Allemagne. La France traite une grande variété de déchets et des effluents plus fibreux qu'en Allemagne, avec un taux d'indésirables qui peut être élevé. Casse des équipements d'incorporation, blocage des brasseurs, usure prématurée... se traduisent par un fonctionnement inférieur au prévisionnel. À la perte de recettes, s'ajoutent des coûts imprévus pour changer le matériel, voire pour adapter la conception du méthaniseur.
E-Cube estime que les nouveaux projets bénéficient des premiers retours d'expérience. Les investissements évoluent à la hausse, car les sites sont plus équipés pour entre autres répondre à la diversité des intrants français. Les charges d'exploitation prévisionnelles évoluent aussi à la hausse, pour mieux prendre en compte les casses matérielles ou les interruptions de production.
"Les pionniers, qui ont plus de cinq ans de recul, constatent que les moteurs annoncés pour 50 000 à 60 000 heures (environ sept ans) sont très fatigués au bout de quatre à cinq ans. Les équipements (brasseurs, pompes) s'usent prématurément. De grosses réparations apparaissent en année 4 ou 5", résume Philippe Collin. L'association recommande donc une grande vigilance sur la trésorerie. "En année 1, il manque des recettes pendant la montée en puissance de l'installation. Les années 2 et 3 sont souvent meilleures, quand l'exploitant maîtrise le process. Il faut alors provisionner, pour passer les années 4 et 5, où de grosses dépenses de réparation sont à prévoir. Nous préconisons de provisionner chaque année 10% de la valeur ajoutée, pour combler un futur manque de trésorerie, lié à une interruption de production pour opération de maintenance, un achat de matière non prévu..."
Pour la réussite d'un projet, un bon accompagnement technique est primordial, car la maîtrise de la biologie du digesteur est essentielle. "Un repère est l'objectif de plus de 8 000 heures de fonctionnement du moteur à puissance nominale", ajoute Philippe Collin.
Un des points clés de la rentabilité, c'est évidemment le niveau d'investissement de départ. "Le repère de 5000 - 6000 euros/kWe (net de subvention) est à raisonner. Ce sera cher si une fausse économie génère des charges opérationnelles élevées, si les coûts de transport des matières sont trop élevés, si la chaleur est mal valorisée, si la biologie n'est pas maîtrisée... bref si on ne génère pas assez d'EBE. Ce sera un bon niveau d'investissement dans le cas inverse, nuance Denis Ollivier. Et il faut être très vigilant sur le coût du transport des matières entrant dans le digesteur et du transport et épandage du digestat."
Les analyses des retours d'expérience ne font pas apparaître de modèle plus rentable que d'autres : individuel ou collectif, voie liquide ou voie sèche. Il faut choisir le modèle le plus adapté à son environnement et aux effluents produits par la ou les exploitations.
Des financements innovants
• Quand la rentabilité n'est pas suffisante, le financement peut coincer, et bloquer certains projets. Le niveau d'engagement financier est élevé, et le porteur de projet ne peut ou ne veut pas forcément mettre autant d'argent sur la table. Dans un plan de financement classique, les banques demandent que le porteur de projet participe à hauteur de 10% du montant d'investissement.
• Des solutions alternatives permettent de limiter l'engagement financier de l'éleveur tout en lui permettant de rester majoritaire. Une société est créée, dont l'éleveur détient 51% des parts sociales et des investisseurs extérieurs 49%. Quand l'exploitant ne dispose pas suffisamment d'argent pour conserver la majorité du capital, des outils comme les comptes associés ou les obligations convertibles lui permettent de rester maître de son projet. Le crowdfunding permet de faire participer les citoyens au financement. Le crédit bail, le programme investissement d'avenir de la Caisse des dépôts... sont aussi des possibilités à explorer.
"Les avantages du petit collectif"
"Le grand collectif (plus de dix exploitations) se heurte au coût du transport du digestat, et à celui des effluents, qui sont des matières à faible pouvoir méthanogène ; encore plus si les effluents ne sont pas collectés régulièrement pour rester frais. En outre, la taille de l'unité et les nuisances liées aux mouvements de transport, perturbent l'acceptabilité par le voisinage.
Le petit collectif a des atouts. Il rassemble quelques agriculteurs dans un rayon de 5 km maximum. Au lieu de faire un grand collectif, on peut avoir plusieurs petits collectifs d'une même région, qui se regroupent pour échanger des informations et réaliser des appels d'offres. Ils peuvent travailler avec des process identiques, pour réduire les coûts d'investissement et de maintenance. Ils peuvent aussi créer un groupement d'employeurs pour se partager de la main-d'œuvre salariée. Constituer une Cuma pour les chantiers d'épandage. Partager de l'expérience sur la biologie du digesteur ou la valorisation du digestat. Un bon moyen de réduire les coûts et d'optimiser la performance des unités ! En plus, on bénéficiera d'un meilleur tarif de rachat, car le tarif est dégressif avec la taille des unités, que ce soit en cogénération ou en injection. Et on n'aura pas à aller sur de l'appel d'offres en cogénération, pour les plus de 500 kWe."
L'injection est prometteuse
En 2011, la règlementation française a permis l'injection dans le réseau GRDF du biométhane produit à partir du biogaz issu de la méthanisation à la ferme. L'injection a démarré timidement, vu les coûts et les contraintes de ce modèle. Aujourd'hui, on compte quatorze unités à la ferme.
L'injection n'est pas toujours possible, quand l'exploitation est trop éloignée du réseau gaz naturel, ou quand le débit de gaz injecté est supérieur au débit de consommation de la zone. Un réseau avec une consommation qui ne repose que sur un seul industriel est trop risqué.
Le coût est l'autre inconvénient de l'injection. Il faut purifier le biogaz, c'est-à-dire le débarrasser du CO2 et du H2S qu'il contient. Les process (membranes, filtres à charbon, PSA) sont coûteux et consommateurs d'énergie. Il faut louer à GRDF le local point d'injection, payer les analyses de gaz.
"Dans les cas où elle est possible, l'injection de biométhane est privilégiée à la cogénération pour des raisons de meilleure rentabilité, et parce qu'il n'y a plus la contrainte de la chaleur à valoriser", constate le cabinet E-Cube.
La politique tarifaire du biométhane injecté est valable quelle que soit la taille de l'unité de méthanisation. Le contrat dure quinze ans. Le tarif d'achat de base est compris entre 95 et 45 euros/MWh pour un débit compris entre 50 et 350 Nm3/h. Et il y a une prime à l'emploi d'effluents agricoles et déchets de l'industrie agroalimentaire. Le tarif peut atteindre 125 euros/MWh maximum.
Stations collectives d'injection à l'étude
"Les points de vigilance pour la rentabilité sont la maîtrise de l'investissement et les coûts de transport, notamment pour l'épandage du digestat. À noter aussi, qu'il est stratégique de bien maîtriser la biologie de fermentation pour obtenir un gaz riche en méthane dès le départ. On dépensera moins en système d'épuration du gaz et ça jouera aussi sur le rendement de la production", pointe Denis Ollivier.
Un repère est un débit d'injection de 120 Nm3. "Le coût de la location du poste d'injection est forfaitaire. Il faut diluer ce coût avec une production, et donc un débit, suffisant. Ce débit de 120 Nm3 correspond à une puissance équivalente installée de 500 kWe", précise Denis Ollivier.
Pour lever la contrainte du coût et de l'éloignement du réseau de gaz, des solutions sont à l'étude pour permettre à de petites unités, regroupées en collectif, de monter des projets en injection. Le schéma serait le suivant : plusieurs unités de méthanisation produisent du biogaz, qui est comprimé pour être transporté en bonbonnes, vers des stations collectives d'épuration et d'injection ou des stations de carburant biométhane pour les véhicules.
Petite unité et emploi des effluents sont favorisés en cogénération
- Fin octobre 2015, un arrêté tarifaire est sorti pour soutenir les installations existantes, c'est-à-dire les unités ayant fait une demande d'identification Ademe avant le 15 octobre 2015. Le tarif de base maximum est de 18 c/kWh pour une puissance installée inférieure ou égale à 80 kWe ; le tarif de base minimal est de 16,5 c/kWh ; évolution linéaire entre les deux. Il n'y a plus de prime à l'efficacité énergétique. La prime aux effluents d'élevage est au maximum de 4 c/kWh quand les effluents représentent 60% des matières entrantes ; elle est au minimum de 0 c quand il n'y a pas d'effluents d'élevage ; évolution linéaire entre les deux ; il n'y a plus de dégressivité avec l'augmentation de la taille des unités. "Au final, le tarif est revalorisé, notamment pour les petites installations - moins de 150 - 200 kWe installé", indique Sébastien Huet, de l'Ademe.
- Pour les nouveaux projets, les projets inférieurs à 300 kWe bénéficieront encore d'un système de tarif d'achat. Le projet d'arrêté, toujours attendu, mentionne : contrat de 20 ans, tarif de base entre 15 (à 500 kWe) et 17,5 c/kWh (< ou = 80 kWe), prime aux effluents entre 0 et 5 c/kWh (de 0 à 60%). Pas de la prime à l'efficacité énergétique. "Par contre, dans les dossiers de subvention Ademe, une bonne valorisation de la chaleur reste un critère important", souligne Sébastien Huet.
- Les projets entre 300 et 500 kWe pourront bénéficier de l'obligation d'achat (voir paragraphe précédent), ou choisir l'appel d'offres en complément de rémunération (voir paragraphe suivant). Ces projets seront soumis à l'avis du préfet sur la durabilité de la stratégie d'approvisionnement et sur la valorisation énergétique. "Il faudra prouver que la cogénération est plus cohérente que l'injection", précise Sébastien Huet. L'injection est préférée à la cogénération parce qu'elle est plus efficace dans la valorisation énergétique : il n'y a pas de problème de valorisation de la chaleur, tout le potentiel énergétique du biogaz est valorisé. Et aussi parce que la France a plus intérêt à développer une ressource nationale de gaz vert que de l'électricité verte.
- Les projets au dessus de 500 kWe devront répondre à l'appel d'offres en complément de rémunération. Ces projets devront vendre leur production électrique sur le marché et contractualiseront avec EDF sur le complément de rémunération. "Les projets qui passent par appel d'offres ne pourront plus obtenir d'aide à l'investissement de l'Ademe", ajoute Sébastien Huet.