Les quotas canadiens chatouillés par les importations (niv 1 moins)
Bien plus cher qu’en Europe, le lait canadien est encadré par un système de quotas… qui commence à se fissurer. La faute aux accords de libre-échange mais aussi aux importations en provenance des États-Unis.
Bien plus cher qu’en Europe, le lait canadien est encadré par un système de quotas… qui commence à se fissurer. La faute aux accords de libre-échange mais aussi aux importations en provenance des États-Unis.
Avec 12 500 hectolitres par vache, des taux de matières grasses compris entre 4,35 et 4,5 %, un taux de protéines moyen de 3,55 à 3,60 %… « Nous sommes parmi les premiers producteurs de lait du Québec », revendique Christian Lacasse (1), installé avec sa femme Sylvie Gendron à une quarantaine de kilomètres de la ville de Québec. Son parti pris : l’intensification. Les animaux restent entravés dans l’étable toute l’année ; les rations, à base de maïs et de foin de luzerne sont distribuées par un robot. Forte de ses 90 hectares, la ferme dispose de 80 % d’autonomie alimentaire. Christian Lacasse tire ses profits de la vente de son lait mais également du haut niveau de génétique de son cheptel, qui lui procure 7 à 8 % de ses revenus.
Entre 48 et 52 euros l’hectolitre de lait
Primes qualité incluses, Christian Lacasse vend l’hectolitre entre 48 et 52 euros. Un prix qui, grâce au système de gestion de l’offre canadien, n’a rien à voir avec celui du marché européen. Les 5 600 fermes du pays assurent quasiment à elles seules l’alimentation des 447 usines canadiennes. « On produit pour les besoins du marché intérieur, explique François Bertrand, de la Fédération des producteurs de lait du Québec. Mais il faut empêcher l’entrée des produits extérieurs. Aujourd’hui, nous avons un quota d’importation de 4 000 tonnes de beurre par an en provenance de Nouvelle-Zélande. C’est simple car c’est une obligation, donc on peut planifier la production en conséquence ». Les quantités et le prix du lait destiné à la transformation font l’objet d’âpres négociations au sein du comité canadien de gestion des approvisionnements, présidé par la commission canadienne du lait. Les décisions sont prises par les représentants des producteurs et des gouvernements, mais les transformateurs sont consultés. Tout le monde doit s’être mis d’accord avant la séance officielle de discussion.
Le Ceta mais aussi l’accord transpacifique
Prévue officiellement cet automne, la signature du traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada (Ceta) vient chatouiller le système. Ce jour, l’Union européenne a le droit d’exporter un peu plus de 13 000 tonnes de fromages par an dans le cadre du contingent « engagement d’accès minimum » prévu par l’OMC. Mais demain, avec l’entrée en vigueur du Ceta, ce volume grossirait de 16 000 tonnes pour les fromages de qualité et de 1 700 tonnes pour les fromages industriels. "Cela correspond à peu près à 1,4 % de la production laitière canadienne et à 4 % de la production de fromages, relativise Frédéric Seppey, négociateur pour les questions agricoles au ministère canadien de l’Agriculture. Mais du fait de ces nouveaux accords, la pression du marché international sur notre propre production va augmenter ».
L’accord Europe-Canada n’est pas la seule crainte des éleveurs. « Il y a aussi l’accord transpacifique (TPP)", décrit Christian Lacasse. Validé sur le principe en octobre 2015, le TPP concerne 12 pays sur trois continents. Il prévoit différentes concessions qui équivaudraient pour le Canada à importer au moins 3,25 % de sa production laitière. « Je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait des négociations sur les produits sous gestion de l’offre », regrette Christian Lacasse, président de l’UPA pendant plusieurs années et qui n’a pas apprécié la tournure prise par les discussions lors de ces deux accords.
Manifestation à Ottawa contre le lait diafiltré
Une autre menace pèse sur les producteurs : les importations en provenance des États-Unis de lait diafiltré, un produit concentré en protéines. Début juin, Christian Lacasse et son épouse n’ont pas hésité à faire dix heures de route dans la journée pour aller manifester leur mécontentement à Ottawa, capitale administrative du pays. Utilisé par les fromagers industriels, le lait diafiltré, plus économique que le lait traditionnel, prend des parts de marché aux produits canadiens. « Les États-Unis ont trouvé une faille », déplore Christian Lacasse. « Sous l’Alena, le lait diafiltré est un produit qui n’est assujetti à aucun contrôle car il n’existait pas quand l’accord a été signé, explique Frédéric Seppey. Il jouit donc d’un droit en franchise. On ne peut pas revenir en arrière sur ce texte, mais ça ne nous empêche pas de réglementer en interne sur l’utilisation de ce produit ».
Même si l’avenir s’annonce plus incertain, Christian Lacasse compte bien, à moyen terme, installer ses deux fils. « Nous rachetons du quota en prévision de leur arrivée ». Il voudrait récupérer 10 kilos de matière grasse (environ 17 200 €/kg), ce qui signifie sept vaches de plus. Cela impliquerait de revisiter les installations, arrivées aujourd’hui à saturation, d’autant plus que ses fils s’orienteront probablement vers une stabulation libre. Et d’acquérir des terres (autour de 6700 €/ha). Face à ces défis, Christian Lacasse se veut confiant : « je pense que le système de gestion de l’offre a de l’avenir et j’ai tendance à me dire qu’il va durer ». L’optimiste canadien trouvera-t-il ses limites ?
Valérie Noël
(1) Lors d’un voyage organisé par l’Afja (Association française des journalistes agricoles).