La filière laitière bio française dessine son modèle
Pour éviter une crise de confiance, le lait bio doit garder sa longueur d'avance face aux laits différenciés, et montrer ses atouts au consommateur.
Pour éviter une crise de confiance, le lait bio doit garder sa longueur d'avance face aux laits différenciés, et montrer ses atouts au consommateur.
En 2018, de nombreuses nouvelles exploitations sont arrivées au terme de leur conversion, suite à l'appel de laiteries qui avaient de gros besoins de lait bio pour alimenter des débouchés en forte croissance. La crise du lait conventionnel de 2016 avait aussi aidé cette forte vague de conversions. Les transformateurs laitiers français voulaient développer leurs gammes et gagner des parts de marché. Ils ont augmenté leur collecte en propre. Le tout dans un souci de gain de compétitivité de la filière laitière française. Ce pari est remporté.
Un rythme de conversion plus régulier
Depuis 2019, les conversions se poursuivent, à un rythme plus faible et régulier. Sodiaal, après une pause de huit mois en 2019, a repris l'accompagnement d'une trentaine de conversions, pour maintenir son approvisionnement et assurer le renouvellement des générations. Les deux autres gros transformateurs - Lactalis et Eurial - continuent leur croissance. Pour Lactalis, environ 60 conversions ont démarré en 2019 et autant sont prévues en 2020. Pour Eurial Agrial, on compte une cinquantaine de conversions pour 2020. Danone gère également sa croissance, avec seize fermes normandes en conversion, qui s'ajouteront aux 47 exploitations déjà certifiées sur la région. Les autres laiteries développent toutes des gammes bio, avec parfois une collecte propre. Mais tout cela reste un développement moins fort que la dernière vague de conversions 2015-2018.
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Sodiaal demande 120 jours de pâturage avant conversion et au moins 180 à la certification
Différents facteurs expliquent ce retour à un développement plus « normal », comme l'atteinte des objectifs de fort développement de Sodiaal : une collecte multipliée par quatre en cinq ans pour atteindre 204 millions de litres avec 728 exploitations certifiées. Ou le problème de déséquilibre matière de la plupart des opérateurs, entre une fraction matière grasse très bien valorisée, et une fraction protéique qui peine encore à trouver suffisamment de débouchés en bio. Certaines laiteries évoquent des difficultés à trouver des exploitations conventionnelles intéressées par un passage en bio.
Enfin, d'autres posent des conditions aux postulants, comme Sodiaal. Car l'heure est à la réassurance du consommateur, face à la concurrence des laits différenciés. « Nos clients nous demandent de plus en plus de justifier nos tarifs en rapport avec des exigences environnementales ou de bien-être animal. Nous devons de plus en plus prouver les pratiques. Nous demandons donc que les élevages bio soient en étape 2 voire 3 de la Route du lait. Et comme nous demandons que l'élevage fasse pâturer au moins 180 jours par an à la certification, il faut au moins 120 jours de pâturage au début de la conversion, sinon la conversion est plus risquée », développe Jean-Paul Picquendar, responsable bio chez Sodiaal.
Un cahier des charges européen peu contraignant
« Le cahier des charges bio européen ne comporte pas d'exigence précise concernant le pâturage : ni durée, ni surface. Dès lors, le consommateur peut s'interroger sur qui fait l'effort le plus important : un éleveur bio ou un éleveur engagé dans une démarche certifiant 180 jours de pâturage ? », expose Jérôme Pavie, de l'Institut de l'élevage. Le cahier des charges bio n'est pas contraignant concernant les traitements vétérinaires (3 traitements autorisés, hors vaccin et antiparasitaire). Il ne précise pas le bien-être animal. Par ailleurs, les fermes laitières bio ont tendance à s'agrandir. Ce qui pose question par rapport aux attentes sociétales.
Les laiteries formulent donc de nouvelles exigences, au-delà du cahier des charges européen, comme Biolait a commencé à le faire il y a trois ans : des concentrés achetés français, des fermes 100 % bio. Aujourd'hui, « nous travaillons sur des critères de pâturage. En moyenne, les élevages Biolait font pâturer plus de 200 jours par an, précise Ludovic Billard, président de Biolait. La certification équitable est pour nous assez facile à obtenir, de par notre gouvernance et notre fonctionnement. Tout le lait Biolait est ‘‘Fair for life’’, la certification avec laquelle travaille Danone. Biocoop développe aussi sa certification et nous y répondrons. Nous travaillons aussi sur des critères de biodiversité avec une ONG, et nous déployons des bilans carbone ».
Garder une avance sur les laits différenciés
Avant de poser de nouvelles exigences, les laiteries veulent déjà communiquer sur la réalité des élevages laitiers bio français. « Nous voulons caractériser les aspects sociaux et biodiversité des exploitations et communiquer sur leurs atouts », indique Jean-Paul Picquendar, de Sodiaal.
Enfin, les laiteries veulent emmener tous leurs éleveurs bio partenaires dans leurs nouveaux référentiels, et ne pas faire une segmentation amont du lait bio. Demain, l'ensemble du lait bio français devrait aller au-delà du cahier des charges européen.
Chiffres clés
soit 7 % des fermes laitières françaises
soit 4,5 % du lait de vache collecté en France
Un palier à 3 700 fermes laitières bio
Évolution du nombre d'exploitations laitières biologiques (détenant plus de 10 vaches) et du nombre de conversions
En 2019, le rythme de conversions est tombé à un de ses plus bas niveaux depuis dix ans. Or, les OP et laiteries évoquent le défi du renouvellement des générations, avec des cédants en bio qui peinent parfois à trouver des jeunes à installer, du fait d'installations coûteuses pour les jeunes. « On voit que les arrivées en bio pourraient tout juste compenser les départs cette année (cessation laitière) », commente Benoît Baron, de l'Institut de l'élevage.
Une diversité de tailles de troupeau
La taille des troupeaux laitiers bio a augmenté modérément, passant de 50 vaches laitières en moyenne en 2014, à 56 vaches en 2019. « L'écart s'accroît avec le conventionnel (passé de 55 à 67 VL par exploitation) », souligne Benoît Baron, de l'Institut de l'élevage. De même, on est passé en bio de 250 000 à 275 000 litres par exploitation entre 2014 et 2019. En conventionnel, de 370 000 à 475 000 litres.
« En 2010 comme en 2019, il y a une diversité en bio, avec des petits troupeaux, des fermes de plus de 100 vaches, et une majorité ayant entre 30 et 70 vaches. Dans toutes les catégories de taille de troupeau, le nombre d'exploitations a progressé », souligne Benoît Baron. Néanmoins, en 2019, la classe des plus de 100 vaches représente 9,5 % des fermes laitières bio, contre 2,7 % des fermes en 2012.
Le rendement laitier par vache est en moyenne resté autour de 5 000 l/VL depuis 2014. Il est à peine plus élevé qu'en 2012 (4 400 l/VL). Ce qui semble montrer que, globalement, le modèle bio à la française reste très herbager avec peu de concentrés.
À retenir
Les démarches des OP et des laiteries dessinent des exigences communes :
L'OP Lait bio Seine et Loire prépare une charte de production
L'OP Lait bio Seine et Loire (425 exploitations adhérentes livrant six laiteries partenaires : Danone, Lactalis, Laiterie Saint Père, Montsûrs, Sill, Triballat Noyal) mène un projet de charte de production qui sera officiellement lancée le 1er avril 2021. « Notre projet concerne tous les adhérents. Ce socle commum n'empêche pas l'OP de travailler sur la valorisation d'autres spécificités avec chacune des laiteries partenaires », indique Ivan Sachet, animateur de l'OP.
Les critères de pâturage sont : au moins 20 ares accessibles par vache, un minimum de 210 jours d'accès au pâturage par an, et au moins 75 % d'herbe dans la SFP. « Les exploitations devront être en mesure de garantir une alimentation du troupeau 100 % origine France, hors minéraux. Avec un plan de progrès possible, suivant les laiteries, pour les exploitations qui ne rempliraient pas tous les critères au 1er avril 2021. »
Sodiaal prépare ses niveaux d'exigence
« Nous sommes encore en débat pour définir précisément nos niveaux d'exigences sur les points suivants : alimentation du troupeau, bilan carbone, taille d'exploitation et main d'oeuvre, et biodiversité et bien-être animal. Dans la partie alimentation, l'enjeu est d'assurer une bonne part de pâturage tout en s'adaptant au changement climatique, de développer une autonomie protéique et d'acheter local. Nous voulons déployer plus de diagnostics carbone afin de progresser sur l’empreinte carbone des élevages », détaille Jean-Paul Picquendar, responsable bio chez Sodiaal.
« Nous voulons aussi améliorer la qualité du lait, avec une nouvelle grille qui est en place depuis avril dernier, avec un système de réfractions et de primes, pour améliorer la "transformabilité" du lait et pour faire la chasse aux butyriques car nous fabriquons de plus en plus de fromages bios. »