« Je suis en recherche d’autonomie alimentaire »
Yvette et Bertrand Bonnet, associés du Gaec de Bonherbe dans le Tarn, visent l’efficacité économique. La mise en place du pâturage tournant dynamique a permis de réduire sensiblement les concentrés.
Yvette et Bertrand Bonnet, associés du Gaec de Bonherbe dans le Tarn, visent l’efficacité économique. La mise en place du pâturage tournant dynamique a permis de réduire sensiblement les concentrés.
On oublie parfois que le Massif central tutoie la Méditerranée et on pourrait imaginer que le climat méditerranéen y est très prégnant dans sa pointe sud. Pourtant, dans ces massifs montagneux au relief très chamboulé, se confrontent des influences climatiques très contrastées. Pour le Gaec de Bonherbe, situé au Rialet sur le versant sud des Monts de Lacaune, cela se traduit par une pluviométrie importante (1 500 mm) et plutôt régulière. « Les étés deviennent de plus en plus secs », constate néanmoins Bertrand Bonnet, associé avec sa mère, Yvette. En 2018, il n’est tombé que 950 mm. L’exploitation est à 700 mètres d’altitude. Le Gaec de Bonherbe, qui élève 55 vaches laitières et livre 465 000 litres de lait, porte bien son nom. L’herbe pousse bien. « Il est très courant de faire trois coupes sur les prairies temporaires et, derrière, on fait pâturer par les vaches taries ou les génisses », assure l’éleveur. Le maïs aussi vient bien. « Le potentiel n’est pas énorme car nos sols sablo-limoneux ne sont pas très profonds, mais nous arrivons à faire 9 à 10 tonnes de matière sèche par hectare en sec de manière régulière avec des indices 280. En été, la rosée du matin suffit presque à l’arroser. Le plus pénalisant, c’est le vent d’autan, qui provoque une forte évaporation », poursuit-il.
Un parcellaire très éclaté
Mais le plus handicapant pour l’exploitation est ailleurs, dans l’éclatement du foncier. La taille moyenne des parcelles est inférieure à 2 hectares. « Il n’y a jamais eu suffisamment d’entente pour faire un remembrement ou des échanges », regrette l’éleveur. La région est très boisée et le parcellaire agricole et forestier très entremêlé. Le Gaec exploite 105 hectares. Un peu moins de la moitié est situé dans un rayon de 1,5 km mais avec de nombreux îlots. Mais plus de 20 hectares ne sont fauchés qu’une fois car ces parcelles ne sont accessibles que par des chemins forestiers, difficilement praticables avec des engins agricoles lourds et des bétaillères, ou par de très longs détours. Toute la surface utile est néanmoins mécanisable. Qui plus est, les élevages bovins laitiers sont de plus en plus clairsemés dans ce massif montagneux assez isolé.
Prairies à flore variée pour la pâture
« Depuis quatre à cinq ans, je suis dans une démarche de limitation des achats d’aliments et de recherche d’un peu plus d’autonomie alimentaire », explique Bertrand Bonnet. Si l’ensilage de maïs (13 ha) couvre la moitié de la ration de base en hiver, la valorisation de l’herbe est au centre de cette stratégie. Les prairies temporaires occupent une petite moitié de la surface exploitée (48 ha sur 105 ha de SAU). Elles assurent les stocks d’herbe (ensilage, enrubannage et foin) et la pâture des vaches. Des prairies temporaires classiques (RGI/trèfle violet/trèfle incarnat et RGA/trèfle violet). Les prairies de courte durée (2 ans) s’intercalent dans la rotation qui comprend deux années de maïs (avec une dérobé à base de RGI/trèfle entre les deux), puis une céréale (triticale) et enfin la prairie. Depuis trois ans, l’éleveur implante des prairies à flore variée (PFV) dans le cadre d’un programme de développement porté par la chambre d’agriculture et le GVA local. Les mélanges sont composés avec l’aide de l’Inra de Toulouse (outil Capflor) et des commandes groupées de semences sont effectuées par le groupe d’éleveurs. « Ces prairies sont une bonne alternative à la prairie permanente en termes de productivité. Elles sont très intéressantes pour la pâture. Pour bien les valoriser en stocks, il faudrait faire du séchage en grange. L’ensilage a tendance à homogénéiser la flore », analyse Bertrand Bonnet.
Mise à l’herbe précoce et pâturage tournant dynamique
Pour améliorer l’autonomie, Bertrand Bonnet a mis en place depuis trois ans du pâturage tournant dynamique avec un paddock par jour. Le morcellement et l’hétérogénéité du parcellaire n’ont pas facilité la tâche. Mais le système est maintenant bien rodé. À la mise à l’herbe, les 50 vaches en production disposent de 12 hectares de pâture (24 ares/VL) divisés en 21 paddocks. La surface est déchargée au fur et à mesure des tarissements (40 vaches fin juin). Les primipares entrent progressivement dans le cheptel à partir de juin. Mi-juillet, l’éleveur rajoute dans le circuit, selon la pousse de l’herbe, jusqu’à 5 hectares de prairies fauchées déjà deux fois (ensilage, enrubannage) et agrandit les paddocks.
Pour réussir le pâturage tournant dynamique, deux règles sont essentielles à ses yeux. D’abord, une mise à l’herbe précoce : « il faut sortir quand il n’y a pas encore d’herbe pour donner un sens de pousse dans le circuit de pâturage. Nous avons avancé la date de mise à l’herbe au 15-30 mars ». Deuxième règle : « sortir les vaches avant d’avoir donné la ration à l’auge pour qu’elles aient faim ». Les vaches sortent à 7 h 30 et rentrent vers 14 - 15 h . La ration est distribuée le matin mais les vaches n’y ont accès qu’à leur retour du pâturage. « Je diminue la ration petit à petit jusqu’à 50 % de ce qu’elles consomment en hiver et j’enlève du tourteau, précise l’éleveur. Mais c’est encore trop. Les vaches font des refus à la pâture. Je pourrais sans doute baisser davantage la ration. Mais je ne veux pas pénaliser les fraîches vêlées. Quand c’est nécessaire, je mets un paddock de côté et je le fauche même s’il y a peu d’herbe. »
Baisse des quantité de concentrés
« Depuis qu’il est passé en pâturage tournant dynamique, les quantités de concentré ont bien diminué, de 320 g/1 000 l il y a 3 ou 4 ans à 230 g aujourd’hui », souligne Jean-Bernard Mis, animateur du réseau d’élevage Inosys à la chambre d’agriculture du Tarn. Les vaches rentrent définitivement en stabulation vers le 15 octobre après une longue saison de pâture ininterrompue. « Même en été, il est rare que nous arrêtions la pâture », indique l’éleveur. La ration hivernale se compose de 7 kg MS/VL/jour d’ensilage de maïs et presque autant d’herbe (6 kg MS) sous forme d’ensilage puis d’enrubannage. L’éleveur rajoute 1 à 1,5 kg de foin dans la mélangeuse et en met en libre-service (consommation estimée à 2 kg/j). La ration mélangée comprend également 1,7 kg de triticale, 1,8 kg de maïs grain humide, 1,8 kg de tourteau de soja, 0,8 kg de tourteau de colza et 220 g de CMV (6,5/24/8). « La ration couvre 25 litres de lait mais elle est un peu faible en azote. Je rajoute un peu de tourteau de soja au DAC (jusqu’à 2 kg) en plus de la VL (jusqu’à 4 kg). »
Semences sexées sur les génisses et croisement
Le Gaec de Bonherbe livre son lait à Sodiaal, seul collecteur sur le secteur, hormis une petite laiterie locale. L’incitation à lisser la production et à produire davantage en été l’a obligé à revoir la stratégie de reproduction, qui était basée sur des vêlages groupés (août à octobre). Désormais, ils démarrent dès la mi-juin par les génisses. « Depuis cinq ans, je fais beaucoup d’IA en Inra 95 pour mieux vendre les veaux et valoriser un peu de lait en les élevant pendant un mois au lait entier. Au départ, je faisais des IA en race pure durant les deux premiers mois, puis du croisement. Depuis 2015, pour étaler les vêlages, je décale des lots de génisses de 24 à 30-32 mois. Je les fais toutes inséminer en semence sexée et je mets de l’Inra 95 sur tout le reste du troupeau. Le taux de réussite en semence sexée est bon. À partir de 2021, je ne devrais avoir plus que des vêlages à 2 ans. Pendant plusieurs années, il faut nourrir un troupeau de génisses en plus. Leur coût de revient est bien plus élevé qu’en vêlage à 2 ans et elles ont moins de chance de durer car on les nourrit trop. Je ne voulais en aucun cas acheter des animaux à l’extérieur. Mais, par chance, dans mon cheptel, il y toujours une proportion importante de femelles, de l’ordre de 65 %. » L’éleveur conserve une douzaine de génisses par an pour le renouvellement.
Plus difficile de remettre les génisses à l’herbe
Les velles sont élevées au lait en poudre, mais avec un seul repas par jour (jusqu’à 4 l, le matin), du concentré le soir et du foin grossier à volonté, pendant neuf semaines (47 kg de poudre par animal). Le concentré est un mélange fermier composé de triticale (25 %), maïs grain (50 %) et tourteau de colza (25 %). « Je les sèvre quand elles mangent 2 kg de concentré », précise l’éleveur. Jusqu’à 6 mois, elles sont élevées au foin et au concentré fermier, « pas tout à fait à volonté (jusqu’à 3,5 kg) ». Auparavant, elles sortaient ensuite à l’herbe. Comme elles naissent désormais en début d’été, c’est plus difficile de les mettre à l’herbe en fin de saison. Même difficulté l’année suivante, avec les inséminations qui démarrent à partir de fin août. « Cette année, je les sortirai en octobre-novembre », prévoit l’éleveur. Et, vu qu’il y a encore trois lots de génisses, il n’y a pas tout à fait assez de pâtures. En hiver, elles sont alimentées avec une ration comprenant moitié foin, moitié enrubannage et 1,5 à 2 kg de mélange fermier pour celles qui vêlent à 2 ans seulement. Décaler les vêlages n’est pas si simple et demande une longue transition.
« Je n’envisage pas de rester seul »
Bertrand Bonnet se pose désormais la question de l’avenir de son exploitation, qui fait pourtant preuve d’une remarquable efficacité économique (48 % d’EBE/produit) et d’une situation financière saine. Il va se trouver confronté à un problème de main-d’œuvre lorsque ses parents cesseront leur activité (dans le Gaec pour sa mère et bénévole pour son père). Salariat ? Associé ? Traite robotisée ? Diminution du cheptel ?... Beaucoup de questions exacerbées par la faible densité laitière du secteur, qui pose de nombreux problèmes, par la situation propre à l’exploitation – un foncier difficile – et par les incertitudes conjoncturelles qui n’incitent pas à investir lourdement. Il est sûr d’une chose : « rester seul, je ne l’envisage pas ». Et cet éleveur de 41 ans n’élude aucune hypothèse : « je me pose la question de savoir si je continue l’agriculture ou pas ». Quelle qu’elle soit, la décision sera mûrement réfléchie comme tous les choix qu’il fait sur son exploitation.
Chiffres clés
Avis d'expert : Jean-Bernard Mis, conseiller fourrages et réseaux d’élevage, chambre d’agriculture du Tarn
Une exploitation économiquement performante
« L’efficacité économique du système est remarquable. En 2017, le rapport EBE/produit est à 48 %. C’est un résultat d’un très bon niveau pour un système laitier comme celui-ci. En année de crise, on était encore à 32 % du produit. C’est le résultat à la fois d’un prix du lait correct (346 €/1 000 l en moyenne alors qu’il était de 297 €/1 000 l en 2016) et de charges bien maîtrisées, tout particulièrement les charges opérationnelles. La part de concentré a diminué grâce à la mise en place du pâturage tournant dynamique. Le coût du soja a baissé grâce aux prairies à flore variée riches en légumineuses. Les charges opérationnelles étaient à 164 €/1 000 l en 2015 (36 % du produit). Elles ne sont plus qu’à 129 €/1 000 l en 2017 (24 %), première année du pâturage tournant dynamique. Cette baisse va de pair avec une légère réduction du volume produit. Il faut souligner aussi qu’entretemps, il y a eu une hausse des aides. Malgré le contexte compliqué de la filière laitière, l’exploitation reste économiquement tout à fait performante. »
Un GIEE pour développer les prairies à flore variée
Le GIEE Quali-PRAT, dont fait partie le Gaec, travaille au développement de systèmes fourragers de montagne comportant des prairies à flore variée.
Une trentaine d’éleveurs de la montagne tarnaise ont formé un GIEE (groupement d’intérêt économique et environnemental), Quali-PRAT, pour porter un projet de développement des prairies à flore variée (PFV). Des prairies qui se veulent plus souples d’exploitation et plus pérennes que les prairies temporaires habituelles. Les mélanges de longue durée (7-8 ans) sont choisis en fonction des conditions pédoclimatiques de la parcelle et de l’usage qui en sera fait (pâture, fauche). On peut leur assigner aussi des fonctions secondaires en y introduisant des espèces spécifiques : bonne couverture du sol, richesse en fibre, fourrage galactogène, fourniture d’azote à la prairie, flore mellifère (favorable aux abeilles)... Il comprennent au moins six espèces avec plusieurs variétés pour certaines d’entre elles, soit au total de huit à douze semences différentes. La dose de semis est de 35 à 40 kg/ha. Le coût moyen est de l’ordre de 250 €/ha. La composition est effectuée avec l’outil de conception assisté de prairies à flore variée, Capflor, en cours de développement par l’Inra de Toulouse.
Les éleveurs ont aussi créé un groupement d’achat de semences - dénommé Mescladis - pour faire des commandes groupées. Certaines espèces et variétés étant difficiles à trouver chez les fournisseurs habituels, la commande est passée à l’association d’agriculteurs biologiques de l’Aveyron (Apaba), qui fait un appel d’offre pour plusieurs groupes d’éleveurs du Sud-Ouest. Depuis 2015, le groupe du Tarn a acheté quinze tonnes de semences.