En Afrique de l’Ouest, la production laitière mise à mal par les poudres réengraissées à l’huile de palme
L’importation à très bas prix de mélanges MGV est controversée. Notamment parce qu'elle empêche le développement d’une production locale dans les pays du Sahel.
L’importation à très bas prix de mélanges MGV est controversée. Notamment parce qu'elle empêche le développement d’une production locale dans les pays du Sahel.
Savez-vous qu’on utilise des matières grasses végétales (MGV) pour fabriquer des mélanges de poudre de lait dits « réengraissés » ? Ces mélanges MGV représentent en valeur 10 % des exportations de l’Union européenne en produits laitiers et substituts. Ils sont fabriqués à partir de poudres de lait écrémées auxquelles on ajoute de l’huile de palme venant du Sud-Est asiatique. « Celle-ci est raffinée et incorporée en Europe, et représente 30 % du mélange », a expliqué Christian Corniaux du Cirad, lors d’une visioconférence des 3R 2020. Le tiers de ces mélanges MGV est exporté vers l’Afrique de l’Ouest (Nigéria, Sénégal, Côte-d’Ivoire…).
Leur atout, c’est leur faible prix : ils sont environ 30 % moins chers que la poudre de lait entier (les MGV étant six fois moins chères que le beurre). Avec une croissance démographique de +2,5 %, le marché de l’Afrique de l’Ouest est porteur, d’autant plus que les barrières douanières sont très faibles (5 % de taxe). Il intéresse les pays exportateurs, notamment les pays européens qui ont augmenté leur production depuis la fin des quotas : l’Irlande (42 % des volumes européens de mélanges MGV exportés en 2019 !), la Pologne (20 %) et les Pays-Bas (12 %). Les exportations allemandes (7 %) et françaises (5 %) y sont plus limitées.
Depuis dix ans, les grands groupes laitiers européens implantés en Afrique utilisent de plus en plus ces mélanges MGV comme matière première pour fabriquer des substituts de produits laitiers (laits condensés, UHT, fromage, yaourts...). En Europe, il est interdit d’utiliser des mélanges pour fabriquer des produits laitiers, ce n’est pas le cas en Afrique. Cette pratique est contestée par des ONG et des organisations d’éleveurs. Au-delà de l’impact environnemental et nutritionnel de l’huile de palme, « un point important de controverse tient aux pratiques d’étiquetage et de publicité trompeuses, avec des images et des noms (poudre de lait, yaourts…) évoquant l’univers du lait », dénonce Christian Corniaux. Les industriels ont adopté un étiquetage cohérent avec les normes Codex, mais les termes techniques sont souvent mal compris des consommateurs et commerçants de détail.
« Une autre controverse est le modèle économique sous-jacent : l’importation à très bas prix de ces mélanges MGV empêche le développement d’une production locale. » Elle fragilise les récentes dynamiques de collecte dans les pays du Sahel où le lait est source de revenus pour des millions d’éleveurs. La situation semble toutefois évoluer un peu avec « des entreprises comme Arla, Friesland, Danone… engagées dans des démarches RSE, qui parlent d’exportations et d’investissements durables. Le Nigéria oblige aussi désormais les entreprises qui s’installent à collecter un minimum de lait local ». Mais l’arrivée sur le marché depuis 2019 de nouveaux mélanges réengraissés à base de poudre de lactosérum encore moins chers inquiète.