« Avec le changement climatique, le maïs est devenu possible chez nous à 1 000 mètres d’altitude »
À 1 000 mètres d’altitude dans le Cantal, le Gaec Charroux produit 700 000 litres de lait dans un système qui reste basé sur l’herbe. Pour sécuriser les stocks fourragers, face aux sécheresses à répétition, les quatre associés ont introduit depuis 2019 du maïs dans l’assolement.
À 1 000 mètres d’altitude dans le Cantal, le Gaec Charroux produit 700 000 litres de lait dans un système qui reste basé sur l’herbe. Pour sécuriser les stocks fourragers, face aux sécheresses à répétition, les quatre associés ont introduit depuis 2019 du maïs dans l’assolement.
« Le problème ici, c’est le sec. Il faut prévoir des stocks », affirme Gilles Charrade, installé en Gaec avec sa femme Nadine, son fils Romain et sa belle-sœur Sylvie Roux. À 1 000 mètres d’altitude, sur ce plateau très venteux au nord-est du Cantal, les sécheresses sont la norme. La période de pleine pousse de l’herbe ne dure guère plus de deux semaines. Cet été a été particulièrement chaud et sec. « Nous avons eu deux mois de rupture de pâturage, contre une dizaine de jours d’habitude. Dès le 20 juin, les vaches ne sont sorties que la nuit et sont passées en ration hivernale. Avec le retour de la pluie au 15 août, elles ont pu ressortir la journée pour pâturer. » Heureusement, les stocks « exceptionnels » de 2021 ont permis de faire face. Et malgré le peu d’eau tombée de Noël à juin, à peine 100 mm, les associés ont fait « une bonne première coupe ». Elle leur permet d’envisager le prochain hiver sans trop d’inquiétude, même si les 10 hectares de maïs ne seront pas au rendez-vous : « ils ont mal levé et pris un coup de chaud à la floraison, les épis sont mal remplis ».
Le maïs est récent sur cette exploitation : il a été introduit en 2019. « Le printemps 2019 était sec et nous n’avions plus aucun stock après des années 2017 et 2018 compliquées. Nous en avons semé 6 hectares. Avec seulement 100 mm d’eau du semis à la récolte, il a réussi à produire 7-8 tMS/ha, alors que les stocks d’herbe ont été divisés par deux par rapport à une année normale. »
« Le changement climatique a rendu la culture du maïs possible. Il y a quinze ans, il n’aurait jamais atteint 30-32 % MS début octobre », précise Romain Charrade. Le maïs est semé mi-mai, après un labour, derrière une première coupe d’herbe ou un méteil récoltés début mai. « Sur les trois premières années, nous avons pu récolter 10-12 tMS sur un hectare. Avec de l’herbe, nous n’atteignons jamais ce volume. » Mais cette année, le rendement du maïs sera probablement divisé par deux. Une contre-performance qui ne remet pas en cause sa culture sur l’exploitation.
Depuis l’installation de Romain en 2018, le Gaec Charroux produit près de 700 000 litres de lait avec une centaine de montbéliardes. Le lait est livré à la coopérative Volcalis, une filiale de Sodiaal qui le transforme pour moitié en AOP cantal et en AOP bleu d’Auvergne. L’exploitation est implantée sur deux sites séparés par une grande vallée et distants de 10 km. Un site de 80 hectares de terres sableuses très légères et sans pierres qui accueille les vaches laitières. Et un site de 50 hectares de terres volcaniques très caillouteuses où sont hébergées les génisses.
« La base de notre système reste l’herbe », soulignent les associés. Sur les 130 hectares de l’exploitation, 110 hectares sont des prairies dont une cinquantaine de prairies artificielles, principalement du RGI, trèfle violet et dactyle, qui sont gardées trois à quatre ans. Les vaches sortent tôt : elles pâturent en année normale du 15 avril à début novembre. « Au printemps, elles sont en pâturage tournant sur 20 hectares dans une dizaine de paddocks de deux à trois jours. À partir du 10-15 juin, elles sont en pâturage au fil », précise Romain Charrade. La pâture la plus éloignée est à 2,5 km soit une heure de marche.
Les premières coupes sont récoltées précocement au 15-20 mai. Le Gaec ensile 40 hectares sur le site principal. Il récolte également une dizaine d’hectares de foin sur des parcelles pâturées par les vaches. Sur le second site, il ensile une quinzaine d’hectares et fauche une vingtaine d’hectares de foin.Le regain est très aléatoire. « En année normale, sur les 55 hectares ensilés, on fait du regain sur une moitié de la surface. Mais cette année, on a récolté seulement 3 hectares de regain. » Le Gaec récolte aussi deux à trois coupes (enrubannage et foin) sur 3 hectares de luzerne dans les terres volcaniques. « Il faudrait en mettre 10 hectares pour pouvoir en distribuer 2-3 kg toute l’année, mais l’implantation est difficile », souligne Romain.
Une récolte en boudins pour éviter les butyriques
L’ensilage, que ce soit l’herbe ou le maïs, est récolté en boudins depuis 2004. Avant tout pour une meilleure conservation de l’ensilage. Le Gaec a réalisé l’an passé 200 mètres de boudin à 30 euros le mètre, soit un investissement de 6 000 euros. « Il est vite amorti. C’est l’équivalent d’un mois de pénalités pour butyriques : 50 000 litres à 80 €/1 000 l (incluant la perte de la prime AOP) », argumentent les associés. Autres avantages du boudin par rapport au silo couloir : le chantier de récolte nécessite deux personnes de moins, le petit front d’attaque ne chauffe pas l’été, pas besoin non plus de conservateur. Les 6 hectares de céréales sont eux aussi stockés en boudin. « Il suffit de charger les céréales aplaties dans le godet, pas de broyage ! »
Pas de vêlages de début mai au 20 juillet
Le Gaec a acheté en 2021 une mélangeuse bol d’occasion de 20 m3, un investissement de 15 000 euros. Les vaches reçoivent l’hiver une ration complète comprenant 5 kgMS de foin, 10 kg brut d’ensilage de maïs, 20-25 kg brut d’ensilage d’herbe, 1,5 kg de céréales, 3 à 4 kg de VL et 1 kg de tourteau (moitié colza, moitié soja). Côté travail, « c’est le jour et la nuit. Il suffit d’une heure pour préparer et distribuer le mélange. Avant, nous faisions jusqu’à neuf voyages ; le VL et le tourteau étaient distribués à la main matin et soir », raconte Gilles. En 2022, les associés ont investi dans un roundballer avec rotocut (22 000 € reprise déduite), ce qui améliorera encore l’ingestion. Les refus des laitières sont donnés l’hiver aux taries avec du foin, et un peu de céréales avant vêlage. L’été, les taries pâturent des petites parcelles sur le site principal.
Les vêlages sont calés par rapport au travail et à l’alimentation des vaches. Le gros des mise-bas a lieu de août à Noël. « Nous ne voulons pas de vêlages de début mai au 20 juillet au moment de la grosse période de travail. Ni de vaches en début de lactation au printemps. Nous avons une période un peu plus chargée à l’automne, mais en étant quatre associés, nous avons des bonnes conditions de travail. »
Des veaux croisés pour l’Italie et des réformes finies
Entre 25 et 30 génisses de renouvellement sont élevées chaque année. « Nous en élevons moins qu’avant car, avec le changement climatique, nous avons moins de stocks, et la demande de premières et deuxièmes lactations a diminué », précise Nadine Charrade. Les femelles d’élevage sont toutes nées entre juillet et décembre. Elles reçoivent jusqu’au sevrage un repas par jour d’un mélange de lait entier et de poudre de lait. Et sont élevées avec du foin et 2,5 kg de concentré jusqu’à leur insémination. Elles sortent dès l’âge de 6 mois. C’est Sylvie Roux qui s’occupe des génisses présentes sur le deuxième site. Elles vêlent en moyenne à 34 mois. « Nous allons essayer de baisser l’âge au premier vêlage, mais c’est compliqué de les faire vêler sur notre période de vêlage, d’autant plus que la moitié de nos génisses partent en estive. »
Les autres veaux sont élevés au lait entier avec deux repas par jour. Le Gaec Charroux fait du croisement charolais sur la moitié des vaches. « Les veaux croisés partent à un mois, un mois et demi : les femelles à 300-350 euros, les bons mâles à 400-450 euros maximum. Le débouché vers l’Italie est moins intéressant qu’il y a quelques années. Les veaux montbéliards partent à un mois à 100-150 euros. » Les vaches de réforme sont engraissées : « elles sont taries et finies l’hiver pendant deux à trois mois avec du foin et 2 à 3 kg de céréales. Elles font entre 350 et 400 kg de carcasse ».
Un vide sanitaire d’un mois très bénéfique
Côté sanitaire, l’élevage perd peu de veaux. « Nous avons vu la différence après la mise en place d’un vide sanitaire d’un mois du 15 juin au 15 juillet, insiste Nadine Charrade. Nous n’avons plus du tout de veaux malades jusqu’en décembre. » Sur les vaches, il échappe à la dermatite digitée mais il a quelques problèmes de panaris : « quand il pleut, la corne devient plus tendre et les vaches se blessent sur les cailloux ». Elles sont toutes parées au tarissement par Gilles qui a suivi une formation. L’élevage n’a pas non plus de souci de mammites ni de cellules. Pourtant, « nous ne lavons pas et ne trempons pas les trayons ; nous les nettoyons à sec si nécessaire ».
Le grand défi des prochaines années ? Préparer le départ à la retraite de trois associés dans les cinq à six ans car Nadine a 60 ans, Gilles 57 ans, et Sylvie 56 ans. Il faudra trouver une solution pour que Romain puisse faire face à la charge de travail et rembourser les parts sociales et comptes associés. « Une première étude comparant robot/associé/salarié a déjà été réalisée par Volcalis », précise Romain. Si le robot ressort comme la solution la plus coûteuse, et l’associé comme la plus avantageuse, la préférence de Romain irait plutôt vers le salarié en rapatriant les génisses sur le site principal et en diminuant le nombre de vaches. La réflexion n’en est qu’à ses débuts.
Fiche élevage
La moitié des génisses mises en estive collective
Pour récolter davantage de stocks fourragers, le Gaec Charroux met deux lots de génisses en estive à une cinquantaine de kilomètres : un lot de dix génisses de 15 à 25 mois, et un lot de dix génisses de 24 à 30 mois. Les plus jeunes sont confiées à une coopérative de transhumance qui dispose de 2 000 hectares. Le deuxième lot part sur une estive privée de 50 hectares. « Nous les conduisons en bétaillère et elles y restent 120 jours de fin mai à début octobre, précisent les associés. La mise en estive nous revient à 1 euro par génisse par jour ». Des garanties sanitaires sont exigées : prise de sang pour l’IBR et la besnoitiose, boucle auriculaire à la naissance pour la BVD, vaccination contre le charbon suite aux cas de l’année dernière.
Avis d’expert : Estelle Delarue, de la chambre d’agriculture du Cantal
« Une rémunération de 25 000 euros par associé »