Au Gaec des Normandistes, vaches et génisses pâturent ras sans surpâturer
Maxence et Émilie Calais, dans la Manche, produisent 10 000 litres de lait par hectare consacré aux laitières grâce à un système autonome économe très pâturant.
Maxence et Émilie Calais, dans la Manche, produisent 10 000 litres de lait par hectare consacré aux laitières grâce à un système autonome économe très pâturant.
Au Gaec des Normandistes, à Marchésieux dans la Manche, on ne se donne pas rendez-vous à la stabulation, mais dans les prairies ! La richesse de l’élevage d’Émilie et Maxence Calais, ce sont des sols profonds limoneux argileux - portants et non séchants - couverts de prairie. Le découpage des paddocks, les chemins et le réseau d’eau permettent de pâturer autant que possible, de février à décembre, pour tous les bovins, même les veaux de 8 jours.
Des vaches croisées kiwis
Ce ne fut pas toujours ainsi. Émilie et Maxence Calais se sont installés en 2017. Ils ont modifié le système qui était basé sur le maïs ensilage avec un peu de pâturage. Ils ont repris des terres (tout est en location), en ont échangé et ont supprimé le maïs. Ils ont démarré la conversion au bio en 2018. « Si c’était à refaire, nous n’aurions pas repris le troupeau existant en 2017, et nous serions partis directement en kiwi (croisé prim’Holstein x jersiaise). En système pâturant sans complémentation, il faut une génétique adaptée pour éviter les problèmes d’état et de reproduction, et des taux butyreux et protéique bas. » Les éleveurs se font accompagner par Pâture Sens, organisme de formation et de conseil sur le pâturage.
Gratter très ras pour assainir les prairies
Les trois quarts des prairies sont permanentes. Les parcelles qui étaient en maïs ont été semées en RGA et trèfle blanc. « Cette association fonctionne très bien ici. Nous avons choisi du RGA tardif pour que l’épiaison se fasse le plus tard possible. Ces prairies resteront permanentes, sauf celles qui entrent en rotation avec le méteil », indique Maxence Calais.
Certaines prairies récupérées après l’installation n’avaient pas été exploitées pendant plus d’un an. « La flore n’était pas bonne : trop d’adventices, pas assez de trèfles. Il a fallu « gratter », c’est-à-dire faire pâturer très ras (herbe restante inférieure à 1 400 kgMS/ha) pour repartir sur de bonnes bases. Mais c’était au détriment de l’état des animaux et donc de la reproduction », raconte Maxence Calais. La combinaison d’un temps de repos de l’herbe et d’un pâturage très ras permet de limiter les adventices. « Le surpâturage (temps de repos insuffisant) sélectionne pâturins et renoncules. Une sortie trop précoce du paddock sélectionne rumex et dactyle. »
Laisser la prairie se reposer en hiver
Pour valoriser au maximum l’herbe au pâturage et conserver dans le temps une herbe de qualité, le credo des éleveurs est de pâturer une herbe jeune, et de pâturer ras sans surpâturer.
L’hiver, « nous laissons une prairie se reposer au moins trois mois. Fin janvier-début février, la saison de pâturage démarre par les premières parcelles mises au repos fin octobre-début novembre ». S’il y a de la pousse en hiver, « cela fera un peu de stock sur pied ».
Déprimer avant la reprise de végétation
Le déprimage a lieu très tôt, « avant la reprise de la pousse de l’herbe ». Les vaches en lactation et les génisses pâturent quelques heures sur un paddock coupé en deux ou trois. « Il vaut mieux une petite surface sur une durée courte, pour les forcer à vraiment tout manger. Et distribuer peu à l’auge. » Les éleveurs procèdent de la même manière en fin d’automne pour prolonger la saison de pâturage sans abîmer les prairies.
Ne pas entrer trop tôt ni trop tard
Au cours de la saison de pâturage, « il est essentiel de laisser du temps à l’herbe pour qu’elle récupère et reprenne sa pousse. Les animaux entrent quand il y a au moins 2 700 kgMS/ha ; 3 200 kg dans l’idéal, ce qui correspond à peu près à 12 cm de hauteur d’herbe avec une bonne densité d’herbe. Si la prairie est peu dense, il faut augmenter la hauteur d’herbe à l’entrée. Un repère chez nous est de ne pas faire plus de onze passages par an sur une même parcelle. » Mais Maxence Calais précise aussi qu’il faut pâturer une herbe jeune, quand l’épi du ray-grass anglais n’est pas encore sorti. Le défi est donc de faire entrer les animaux ni trop tôt ni trop tard.
Ajuster les effectifs à la pousse
Les vaches ou génisses ne restent en général pas plus d’une journée dans un paddock. Ils mesurent 25 mètres sur 25 mètres pour une vingtaine de génisses et 1,10 hectare pour les 110 vaches.
Les animaux sont sortis d’un paddock quand ils ont pâturé bien ras. « C’est bien « gratté » quand on voit la terre. L’objectif est qu’il reste 1 500 kg MS/ha d’herbe maximum. L’important, c’est que ce ne soit pas piétiné. »
En pleine pousse de l’herbe, les éleveurs font tourner les animaux plus vite dans les paddocks, en basculant des parcelles en fauche. « Quand la pousse de l’herbe est ralentie en été, nous affourageons dans un demi-paddock et nous faisons tourner les animaux plus lentement. »
Ils jouent également sur les effectifs d’animaux pour s’adapter aux quantités d’herbe. « Nous élevons plus ou moins de veaux croisés hereford - ils partent entre 8 jours et 18 mois. Nous jouons aussi sur le nombre de réformes laitières à finir. S’il y a vraiment beaucoup d’herbe une saison, nous pouvons élever des génisses prêtes à vêler. Nous devons encore chercher à mieux estimer notre production d’herbe pour ajuster au mieux les effectifs. »
Pas d’entretien des prairies permanentes
Les éleveurs ne font jamais d’ébousage, de sursemis ou autre entretien des prairies permanentes. « C’est la gestion du pâturage qui fait tout le travail. » Ils ont essayé le topping, par curiosité. « Mais il n’y avait pas de différence entre le faire ou pas. Donc nous avons arrêté. »
Comme Émilie et Maxence Calais veulent augmenter la valorisation de leurs surfaces d’herbe par du pâturage, ils veulent faire davantage vêler en février-mars : 70 % au lieu de 60 % des vêlages actuellement et moins en août-septembre. Malgré un prix du lait plus élevé en fin d’année (520 € l’hiver, 420 € au printemps, en 2021), avec des charges très réduites, cela vaut le coup de produire davantage avec du pâturage de printemps.
Fiche élevage
Investissement dans les chemins, le réseau d’eau et d’électricité
Ces deux dernières années, le Gaec a investi dans des chemins de pâturage en béton, le réseau électrique et d’abreuvement et la plantation de haies et d’arbres intraparcellaires dans une parcelle de 5 hectares. « Nous sommes très satisfaits des chemins en béton. Les boiteries ont bien diminué ! »
Un forage pour l’eau d’abreuvement sera installé sur le site des génisses. « Aujourd’hui, nous utilisons l’eau de la ville. Notre projet est de réaliser un forage, avec une pompe pour envoyer les minéraux dans l’eau. Par rapport aux seaux à lécher et aux bolus, ce sera plus simple à gérer. Et plus efficace pour faire le bon apport. »
Une autochargeuse sera acquise pour ne plus avoir à faire d’enrubannage. Elle servira à réaliser l’ensilage d’herbe et à affourager en vert. « Avec le salarié, nous pourrons gérer l’ensilage nous-mêmes, pour être sûrs de faucher très précocement. »
Mise en garde
Les éleveurs restent vigilants quant à la richesse de leur sol. « En bio, nous n’avons que nos effluents pour fertiliser. Des analyses de sol sont réalisées tous les deux à trois ans. Il faudra peut-être complémenter les vaches pour améliorer la richesse du sol. »
Un système efficace qui rémunère
Avec 469 euros pour 1 000 litres, le Gaec des Normandistes dégage une bonne marge et pense encore l’améliorer.
« Notre objectif est de maximiser le revenu par la maîtrise des charges. Nous visons un maximum d’autonomie, une bonne efficacité du travail et du temps libre », indiquent Émilie et Maxence Calais.
En 2021, la marge brute était de 469 €/1 000 l. Les frais véto s’établissaient à 3 €/1 000 l, les frais d’élevage à 21 €/1 000 l et le coût alimentaire à 49 €/1 000 l. « Avec une herbe de qualité, nous n’apportons pas de complémentation alimentaire pour les vaches, hormis de l’ensilage d’herbe ou de l’enrubannage. Seules les génisses et les veaux croisés viande ont un concentré fermier pour assurer les objectifs de croissance et un âge au premier vêlage de 24 à 26 mois. »
Cette année, ce système très économe sera peu touché par l’inflation. Le prix de base du lait bio est pour l’instant stable par rapport à 2021 chez Les Maîtres laitiers du Cotentin : 420 € au printemps, 445 €/1 000 l en juin, 495 € en juillet et 515 € en août.
Une amélioration des taux
Le Gaec est passé en monotraite depuis décembre 2021, dans un objectif de revenu, de travail et d'état des animaux. « Un des effets positifs est que les taux ont augmenté, passant de 30 de TP et 40 de TB en mai 2021 à 34,5 et 47 en mai 2022. Cette amélioration des taux est aussi due au fait qu’il y a plus de kiwis, et que l’on fait moins gratter les paddocks. » Les éleveurs pensent compenser la baisse de production (-12 %) en trayant une dizaine de vaches de plus d’ici la fin de l’année. « Avec 120 vaches, nous valoriserons mieux toute notre surface en herbe. »
Les éleveurs veulent également améliorer la reproduction. « Comme nous faisons moins gratter les parcelles, l’état des animaux s’améliore. Les chaleurs sont plus marquées et j’observe moins de retours de chaleur », note déjà Maxence Calais. Jusque-là, le renouvellement était important pour passer rapidement le troupeau en kiwi. « À partir de 2023, nous pourrons réduire le taux de renouvellement à 20 %. »