Marché
Peut-on s’attendre à une détente du soja ?
Compte tenu de la flambée des cours du soja cette année, l’arrivée des récoltes argentine et brésilienne suscite de fortes attentes des fabricants d’aliments du bétail.
Avec une campagne oléagineuse partagée entre l’hémisphère Nord (États-Unis) et l’hémisphère Sud (Brésil et Argentine), entraînant des écarts de prix significatifs entre le disponible et les longueurs (notamment sur le tourteau de soja Montoir), la question de la disponibilité à venir devrait s’avérer cruciale pour un marché de la protéine déjà très tendu. Dans ce contexte de prix très élevés en livraisons rapprochées, les fabricants d’aliments du bétail français seraient bien couverts sur décembre, environ à 60 % sur janvier, peu sur les 3 de février, et encore moins (20 %) sur les 6 de mai, selon Anne Huitorel, directrice de Noble Resources France. Les journées Vigie et Aftaa des 27 et 28 novembre ont été l’occasion pour cette dernière et Yvon Pennors, directeur général de Bunge France, de donner leur sentiment sur l’évolution des cours du marché de la protéine dans les mois à venir. Leur analyse commune penche plutôt entre neutralité et hausse des prix.
Précocité et quantité de la récolte sud-américaine seront déterminantes
Patricia Le Cadre, directrice adjointe du Céréopa a soumis, à Anne Huitorel, trois scénarios concernant le marché des tourteaux de soja. Le premier table sur une abondance de l’offre, avec d’une part des États-Unis capables d’assurer des exportations jusqu’à l’arrivée de la campagne sud-américaine, et d’autre part des récoltes brésilienne et argentine pléthoriques. Selon les dernières prévisions d’OilWorld, la production de soja au Brésil se situerait autour de 81 Mt et de 54 Mt en Argentine, et un peu moins de 9 Mt pour le Paraguay. Pour Anne Huitorel, les ventes US de graines et de tourteaux pourraient peut-être tenir jusqu’à fin février-début mars, mais si les expéditions se font trop vite et sur de très grands volumes, « on risque d’avoir une mauvaise surprise dans le rapport de l’USDA de janvier ». Les États-Unis ont déjà exporté 44 %de leur récolte depuis septembre. « Malgré le fait que le département américain à l’Agriculture ait remonté son estimation pour la production de soja US 2012, les stocks du pays sont à un niveau très bas » et devraient baisser pour la troisième année consécutive. Des estimations à analyser avec prudence étant donné l’optimisme permanent dont font preuve les experts de l’USDA, qui travaillent séparément suivant les cultures et ne confrontent pas suffisamment leurs résultats pour sortir leurs bilans. De plus, la production globale des oléagineux étant plutôt orientée à la baisse, les acheteurs se concentrent sur le soja. Or, actuellement, les États-Unis sont un des seuls pays où la graine est disponible. Enfin, leur demande intérieure est bonne, et ce d’autant plus qu’ils ont eu des problèmes d’aflatoxine sur leurs maïs cette année.
Concernant les récoltes sud-américaines, « elles sont attendues record, alors que les semis ont pris du retard », selon Anne Huitorel. « Il faudrait réaliser la meilleure récolte du siècle chaque année compte tenu de l’augmentation de la population, pour satisfaire la demande dans le contexte mondial actuel », a estimé pour sa part Yvon Pennors, de Bunge France. Ainsi, le moindre problème de météo ou de logistique, comme cela a été le cas au Brésil, se répercutera sur le marché. De plus, pour que la jonction se fasse correctement avec les origines US, il faut que la récolte brésilienne soit précoce, et dans ce cas, « le marché pourrait s’effondrer », estime Yvon Pennors. Sans oublier une disponibilité rapide. Chose qui ne sera pas forcément évidente l’an prochain. « Ce sera l’enjeu de l’année pour le Brésil », estime-t-il. Une loi sociale sur les conditions de travail des transporteurs pourrait perturber les échanges. « Mais l’adaptation à ces changements sera sûrement longue », tempère l’analyste.
Une chute de la demande peu probable
Dans le deuxième scénario, le Céréopa mise sur une contraction de la demande, avec une Chine qui vivrait sur ses stocks, combinée à un repli des productions animales européennes. La Chine pourrait diminuer ses importations de tourteaux, mais a priori pas tant que cela. « Les marges de trituration sont très mauvaises en Chine », affirme Anne Huitorel. Et « les Chinois passent sur un régime de plus en plus carné. Ils sont en train de reconstituer leur cheptel porcin, malgré des problèmes sanitaires ». Yves Pennors estime également que certains pays achèteront des graines pour fabriquer des tourteaux, certes, « mais aussi pour reconstituer des stocks ». Si au niveau européen, il pourrait y avoir une baisse de la demande, « son poids est tellement marginal au niveau mondial, que cela aurait un impact négligeable sur les prix ».
Des fonds très peu positionnés sur les matières premières
Dans la dernière simulation, Patricia Le Cadre imagine un désengagement des fonds d’investissements sur les marchés des matières premières agricoles, soit une vague de liquidations. Selon Anne Huitorel, les fonds ont déjà vendu un grand nombre de leurs positions. « Toutes matières premières confondues, les fonds ont une des positions les plus basses qu’on ait vue depuis longtemps. Je ne pense pas qu’ils aillent beaucoup plus bas », a-t-elle ajouté. Par ailleurs, « ils iront sûrement chercher la volatilité quand il y aura de la spéculation sur les récoltes de soja en Amérique latine ».
Si la nutrition animale espère une détente des prix des oléagineux, que ce soit avant ou après le printemps, ils n’ont plus qu’à espérer que tout se passe bien en Amérique du Sud. « Mais beaucoup d’éléments ont déjà été pris en compte dans les prix. Si quelque chose dérape, on aura plus à perdre qu’à gagner. » Un point sur lequel il ne faut plus compter, prévient une Anne Huitorel catégorique, est l’offre en tourteaux de colza et de tournesol, la France n’étant plus le seul consommateur de ces produits en Europe. D’autres y ont pris goût, comme l’Espagne notamment.
À noter qu’actuellement les prix des tourteaux de soja sont proches de ceux de la graine. Il y a trop d’huile sur le marché. Mais à plus long terme, si personne ne se positionne sur de nouveaux achats de graines, le marché des tourteaux pourrait finir par être sous-approvisionné.