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Meunerie
Les Français et le pain, c’est toute une histoire

Après avoir étudié l’intérêt nutritionnel des pains français, l’Observatoire du pain, centre d’information scientifique, cherche à comprendre les déterminants des choix alimentaires des consommateurs

L’Observatoire du pain a lancé la première étude socio-anthropologique pour comprendre le lien entre les Français et le pain. Ce travail de recherche, fondé sur l’observation et l’écoute, a été confié à Sociolab, institut agréé par le ministère de la Recherche. « Parce qu’il est un lien entre les hommes, le pain est un aliment anthropologique par excellence », explique Abdu Gnaba, docteur en anthropologie et sociologie comparative qui a dirigé les travaux de l’équipe de chercheurs sur le terrain. Quel­que 700 personnes de tout l’Hexagone ont été interviewées sur une période de neuf mois. Cette étude scientifique visait à dégager, pour les meuniers et boulangers, des pistes pour mieux cibler leur communication et l’adaptation de leur offre. « Les résultats sont donnés pour nourrir les stratégies de chacun », précise Abdu Gnaba. Extraits du premier volet de cette étude pluriannuelle.

Le pain ne se décrit pas
    Jusqu’à ce jour, le pain a été abordé par les pro­fes­sionnels sous l’angle des chiffres (poids des ingrédients, apports,…), de sa consommation par tranches d’âge et heures de la journée,… et rendu au consommateur en morceaux. « Mais cela ne fait pas sens pour lui », assure Abdu Gnaba. Première observation : les consom­mateurs sont incapables de décrire le pain. Interrogés sur ce produit, ils marquent un moment d’arrêt et ont du mal à répondre. Dans un second temps, les personnes sondées se remémorent et délivrent des scènes, des histoires, leur expérience en lien avec le pain. Les récits sont souvent liés à la famille. « Je les pousse à manger du pain. Moi, en tant que maman, je fais très attention », témoigne par exemple Carole. Comme le résume Abdu Gnaba, « le pain est tel­le­ment intégré dans notre culture qu’on a du mal à le considérer comme un objet. Résultat, il ne se décrit pas, il se raconte. Il est évoqué avec d’autres et en action. Il est donc avant tout une relation aux autres, associé au plaisir et à la convivialité. » Certaines mar­ques de pâte à tartiner ou de fromage frais notamment, totalement dépendantes du pain, ou plutôt des tartines,  n’ont-elles pas d’ail­leurs axé leur publicité sur des scènes de la vie enfantine déjà vécues par chacun de nous ? Les agencements et com­munications de cer­taines chaînes de boulangerie à succès et terminaux de cuisson exploitent également ce constat. Les consom­mateurs seraient par ailleurs sensibles au service rendu par le boulanger, à son travail et à son savoir-faire. Un critère est néanmoins susceptible de fédérer tout le monde : “le chaud”. Là encore on ne s’étonne pas du choix du nom des terminaux de cuisson, les fameux “points chauds”.
    Elément important et positif ressorti de cette étude : « les muets du pain n’existent pas ». D’ailleurs, tous les consommateurs, même occasionnels, se considèrent comme des mangeurs de pain. Pour les Français, il est d’ailleurs un aliment « de chaque jour ». C’est la baguette qui est citée spontanément suivie, plus rarement, du gros pain. Les produits concurrents, biscottes, pains de mie… sont achetés en guise de dépannage. Quant aux pains spéciaux, eh bien, ne serait-ce que par leur appellation, les consommateurs les réservent aux occasions spéciales. Attention à la sémantique donc.

Six profils de consommateurs à séduire
    Deux sentiments nous poussent à choisir un produit : le besoin et le désir. Dans une situation de surabondance alimentaire, la consommation de pain ne satisfait plus un besoin. Il est donc devenu un désir. Notons que cette notion est largement soumise à l’influence de la tribu de consommateurs à laquelle nous appartenons. L’identité n’est en effet aujourd’hui plus fonction d’un territoire, mais d’un grou­pe caractérisé par son comportement, dont nous faisons tous partie. « Les bobos de Nantes et de Paris sont les mêmes et consomment la même chose », résume Abdu Gnaba. L’étude socio-anthropologique a alors cher­ché à identifier les grands groupes de consommateurs de pain. Six profils ont été dénombrés. L’Authentique, qui vit plutôt à la campagne, consomme du pain traditionnel à tous les repas. Le Nomade est un urbain dans son temps. Il connaît la valeur du pain mais adapte sa consommation à son rythme de vie. L’Errant est un nomade sans culture victime de la malbouffe. Le genre à passer ses soirées devant des jeux vidéos. Pour lui, « le pain est une pâte comme les autres » et il peut très bien s’en passer. Il appartient à une frange de la jeunesse qui a perdu tout lien avec le passé. Pourtant pour de nombreux consommateurs, le pain ramène à une notion d’hérita­ge. « J’essaie d’en manger tous les jours, c’est comme un verre sur la table. C’est l’éducation que j’ai reçue ! », témoigne par exemple Romuald. Une donnée loin d’être oubliée par le Déphasé qui vit comme un Errant, accaparé par son travail et ses loisirs, mais pense comme un Authentique. Il assimile en effet le pain à la famille. Il en consommera donc plus tard, quand il sera marié avec des enfants. L’Hédoniste est un jeune, ou le plus souvent une jeune (puisque la gente féminine serait sur-représentée dans cette catégorie) vivant en ville. Il ne se fie qu’à son goût et privilégie le plaisir et la santé. Il apprécie la diversité et achète des pains spéciaux, bio et fantaisies. Le Bipolaire, enfin, pour qui le pain est le ciment familial, consomme toujours le même, mais ne se refuse pas des changements occasionnels. « Ces types ne sont pas figés, mais évolutifs et interagissent entre eux », précise l’étude. Chacun d’eux se tourne plus volontiers vers certains pains. Ainsi, l’Authentique consomme surtout des gros pains et de la baguette, et se laisse parfois tenter par la Tradition. Le Nomade consomme de tout en parts équilibrées. L’Errant ne mange que de la baguette et du pain industriel. L’évaluation de la taille de chacune des tribus est laissée aux soins des industriels qui le souhaiteraient, même si les Nomades semblent très nombreux.
    Encore un point important : le pain n’est pas jugé ringard par les jeunes, même pour ceux qui n’en consomment pas. Rien n’est donc perdu. Aux professionnels de savoir séduire les consommateurs par une communication moderne et des produits qui savent se renouveler. Car attention, inutile de vouloir revenir en arrière et de donner l’impression d’un produit ancestral. La tradition, d’un point de vue anthropologique, consiste en une création en accord avec le savoir-faire ancestral et les réalités des temps modernes. La baguette, tant appréciée des Français, est d’ailleurs une invention récente et non un pain traditionnel. Le consommateur n’est pas dupe. Il s’agace même qu’on essaye de le lui faire croire. Il veut un produit de son temps. Pour survivre, le pain doit savoir évoluer.

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