Conjoncture
La nutrition animale française a perdu son leadership européen
Gérer la volatilité en filière et rationnaliser les contrôles sont indispensables à la compétitivité des productions françaises.
« Il faut sortir de la logique de la patate chaude », image Jean-Luc Cade, président de Coop de France nutrition animale (CdF NA), évoquant la nécessité de contractualisation au sein des filières animales pour mieux gérer la volatilité des prix des matières premières. « Un seul maillon ne peut pas assumer la volatilité. Il faut sortir de la logique de prix et passer à une logique de construction de marge », a-t-il rappelé le 22 novembre à Paris en préambule de son AG qui se tiendra le 28. Et de souligner qu’« on s’attaque à un changement de mentalité, un travail de longue haleine ».
A l’interface entre le végétal et l’animal, le secteur de la nutrition animale est destiné à jouer un rôle clef dans la mise en place de la démarche, d’autant que les prix sortie abattoir sont impactés à 60-70 % par celui de l’aliment. En 2011, sous l’impulsion du gouvernement, des accords de principe ont été signés par l’ensemble des filières. Reste à les décliner « concrètement », sur l’amont, –y compris pour les approvisionnements en protéines, précise Jean-Luc Cade– et avec les clients éleveurs. Mais « nous avons du mal à faire vivre l’engagement avec l’aval », regrette le président de CdF NA. La culture contractuelle n’est par exemple pas la règle dans les productions porcines et bovines. Les éleveurs auraient plus une logique « opportuniste ». Ce manque d’entrain est également « peut-être dû à la situation économique précaire de 2011 », comme le suppose Jean-Luc Cade. Il ne faut, tempère-t-il, de toute manière « pas tout miser sur la contractualisation » pour lutter contre la volatilité. « Se couvrir à 100 % serait courir un risque économique, voire une faute de gestion ». La contractualisation n’est selon lui qu’un outil parmi d’autres. Des démarches ont déjà été engagées sur le terrain comme en témoigneront les intervenants de la table ronde proposée lors de l’AG.
L’Allemagne premier producteur d’aliments du bétail de l’UE
« L’enjeu est de construire des filières performantes et compétitives ». Une évidence à mettre en parallèle avec un élément marquant de cette année commerciale : « la France perd son leadership européen » en matière de production d’aliments composés, passant derrière l’Allemagne. « Ce n’est pas une surprise », puisque la montée en puissance de ce concurrent a été progressive. Il a fabriqué 21,75 Mt en 2010 (+4,2 %) et a passé le cap des 20 Mt en 2006. La France va tout de même finir l’année sur un tonnage similaire à celui de 2010, avec 21,4 Mt produites. Une stabilité qui se retrouve aussi dans les productions par espèces. Et l’Hexagone reste le premier producteur européen d’aliments volailles avec un total produit de 8,6 Mt, soit 40 % de sa production totale. L’Allemagne, plus orientée vers la filière porcine, se révèle très compétitive sur les productions dites de masse qui alimentent notamment le hard- discount et les GMS. Un segment de marché sur lequel elle est mieux positionnée que la France, dont la production est plus segmentée. Mais « nous devons faire attention à ne pas s’imposer de surcoûts franco-français, si l’on veut continuer de jouer sur le marché de masse », avertit Jean-Luc Cade. Et sur celui des produits qualifiés de haute valeur ajoutée, la profession en appelle au pragmatisme : « On a vu fleurir une multitude de cahiers des charges, peu différenciés et valorisés. Cela affecte notre compétitivité », assure Jean-Luc Cade. Pour le non-OGM, le secteur a dés lors proposé un socle technique de gestion de la coexistence applicable à l’ensemble des usines. « Cela permettrait de répondre aux attentes de nos clients et de fournir au consommateur un produit à des conditions acceptables ». La proposition contenterait déjà les GMS concernées. Par ailleurs, Coop de France regrette que, malgré l’engagement dans le guide de bonnes pratiques, « on constate toujours un empilement des contrôles ». Après des négociations en avril dernier « rien ne bouge. Nos adhérents s’impatientent !» Les représentants de la profession ont, en conséquence, lancé un ultimatum aux organismes de contrôle pour la conclusion d’accords sur la rationalisation avant le 31 mars prochain.
Sur la question des protéines animales transformées, CdF NA a pris « une position très réservée concernant leur retour », sur lequel l’Anses a émis des réserves la semaine dernière. Là aussi, la question économique est en jeu. En effet s’il y a une réticence de la profession à les réintégrer, en raison de leur image sociétale négative, ce sentiment ne serait pas aussi présent dans d’autres pays producteurs, du nord de l’UE notamment. Et en particulier en Allemagne ! Leur réautorisation conférerait un avantage compétitif supplémentaire à ce grand concurrent. Par ailleurs, Bruxelles aurait l’intention d’imposer pour ces produits des filières entièrement dédiées. Or en France 76 % de la production sont réalisés dans des usines polyvalentes, cela ne serait donc pas techniquement réalisable. Pour Jean-Luc Cade : « Il y aurait plus de risques que de gains à la réintroduction des farines animales ».