PROTÉINES
La luzerne est-elle menacée ?
Stratégiques seront les orientations à prendre sur certaines productions
INTERROGATIONS. Comme pour la filière protéagineux, nombreuses sont les inquiétudes de la filière luzerne déshydratée, confrontée elle aussi à une érosion des surfaces, à des fermetures d’unités de déshydratation, si ce ne sont des menaces sur leur pérennité (libéralisation des marchés, augmentation constante du prix de l’énergie). Et pourtant, ne faut-il pas rappeler que la luzerne présente des intérêts agronomiques et environnementaux significatifs, qui devraient faire l’objet d’une attention toute particulière dans un contexte de développement durable ? Sans oublier les avantages d’ordre économique, avec des charges plus faibles grâce au peu d’intrants nécessités.
Sur le plan alimentaire, un choix s’impose. « La demande en protéines s’accélère. Nous avons besoin de produire des matières premières riches en protéines », a réaffirmé Jean Pol Verzeaux le 5 juillet, lors d’un voyage de presse dans le Loiret. La luzerne présente, à ce titre, une longueur d’avance et sa culture a été améliorée sur plusieurs décennies en termes de qualité et de traçabilité (succès croissants sur le marché de l’alimentation animale, teneur moyenne en protéines qui a gagné 1 point en cinq ans, la luzerne déshydratée rétablit l’équilibre fourrager selon les conclusions de l’INRA). Or, l’Europe est à ce jour dépendante à hauteur de 75 % des importations de protéines, essentiellement à travers les tourteaux de soja massivement importés depuis le Brésil. Xavier Beulin, président de la Fédération des oléo-protéagineux (Fop), s’en inquiète. « Si l’on regarde les prévisions des experts sur le climat (Giec), l’évolution serait telle qu’en 2080, l’Argentine et le Brésil seront des zones sub-sahariennes. Miser uniquement sur le Brésil est donc une erreur gravissime », a-t-il constaté, avant d’ajouter qu’il va sûrement falloir « repenser les accords de Luxembourg de 2003 car ils portent le germe d’une déprise agricole ».
De la nécessité de réguler les mécanismes de la Pac
« Il faut réinterroger le niveau communautaire sur la faculté de pouvoir continuer à produire des protéines végétales en Europe », a poursuivi Xavier Beulin. Il sous-entend que si l’on suit la tendance vraisemblable du découplage total des aides, « on ira vers une agriculture erratique car les marchés risquent de devenir de plus en plus difficiles pour certaines productions ». En clair, il plaide pour qu’il y ait des modulations des soutiens directs au sein du découplage (par exemple, un système d’assurance), en fonction de certains critères (atouts agronomiques et environnementaux, soutien de productions peu rémunératrices).
Autre sujet de débat, la réforme de 2003 de l’OCM Fourrages a contribué à réduire la production de luzerne, selon Éric Guillemot, directeur de Coop de France Déshydratation. Le régime général de l’aide aux planteurs s’élève désormais à 33 €/t (contre 68 €/t avant l’introduction des droits à paiement unique). La filière ne souhaite aucune autre évolution à la baisse, sous peine d’hécatombe de la production et surtout, des investissements.
Des menaces pour l’agriculture européenne
« À l’OMC, nous restons très vigilents », a par ailleurs indiqué Xavier Beulin, qui estime que les négociations se sont dégradées ces derniers mois sur le volet de l’agriculture, avec des concessions de l’Europe. « Budgétairement, on s’attend à de rudes batailles. On nous demande de passer d’une enveloppe de 40 à 30 Md€ », a-t-il poursuivi. Il y a notamment des dangers au niveau de l’accès au marché européen. « Nous demandions de pouvoir placer 8 % de nos productions en produits sensibles, donc avec un plus grand niveau de protection. Or, nous nous orientons vers 4 % ». De même, les contingents d’importations à droits zéro pour les produits sensibles, qui étaient négociés sur une base de 2 % auparavant, sont désormais discutés à hauteur de 4 %. Restons calmes. Les prochaines élections commenceront à l’automne aux États-Unis. De quoi laisser une période de répit aux négociations et surtout, aux concessions.