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Approvisionnement / Filière farine
Gérer la volatilité, une révolution pour les industriels de la seconde transformation

Comme les meuniers avant eux, les boulangers et les biscuitiers se trouvent dépourvus face à l’instabilité des prix du blé. Cette volatilité a intensifié le dialogue entre les partenaires commerciaux.

« La gestion des achats de matières premières, c’est le cirque! », déplore Guillaume Touflet, responsable de la centrale d’achats de Gerbopa qui rassemble une vingtaine de boulangers industriels, dont la consommation totale de farine représente environ 60.000 t. « Nous n’y étions pas habitués. Avant 2007, nos adhérents négociaient les tarifs avec les meuniers en septembre et le prix était fixé sur douze mois. Il a fallu revoir nos méthodes d’achat », confirme le dirigeant de la centrale qui ne passe pas d’ordre, mais référence des fournisseurs et aide ses adhérents à suivre les marchés. Comme les professionnels de l’amont avant eux, les industriels de la seconde transformation du blé ont vécu une véritable mutation de leur profession : « Nous regardons le marché tout le temps ! »

Des outils inaccessibles
    Les services de gestion du risque se sont étoffés ces dernières années pour aider les professionnels dans l’achat de leurs matières premières. Star du genre : le marché à terme. Prendre position sur Euronext « nécessite une trésorerie importante dont une entreprise familiale comme la nôtre ne dispose pas », explique Laurent Muratet, responsable Achats de la Biscuiterie de l’Abbaye. La société qui l’emploie utilise 2.500 à 3.000 t/an de farine et produit 7.000 t de biscuits avec plus de 150 recettes. Pascal Cantenot, dirigeant de la chaine de boulangeries La Panière ne s’aventure pas non plus sur la place électronique. Le chef d’entreprise, à la tête de 28 points de vente en Savoie et Haute-Savoie, reproche à ces systèmes d’être « trop calqués sur la spéculation ». Les plus gros industriels susceptibles de se couvrir sur la place financière, que nous avons contactés n’ont quant à eux pas souhaité témoigner de la gestion de leurs achats.
    Les banques, ou même certains gros meuniers, ont pour leur part développé des systèmes d’assurance qu’ils proposent aux professionnels de l’aval. Les meuniers s’engagent ainsi à maintenir les prix de vente de farine dans un tunnel, en se couvrant (eux-mêmes, ou via leurs coopératives) sur le marché à terme. Cela garantit une certaine visibilité et donc une sécurité à ses clients. Ce service est payant. Avec un surcoût de 10 à 20 €/t de farine, peu de PME y souscriraient. « Aucun de nos adhérents n’y a recours », témoigne Guillaume Touflet. Comment les industriels gèrent-ils alors cette instabilité des prix, essentielle au calcul de leurs coûts de revient et donc à la rentabilité de leur activité ?

Un dialogue renforcé
    « Avant 2007, tout se jouait au moment de la récolte. Aujourd’hui, nous gérons les achats toute l’année, avant la moisson, pour définir le prix d’achat » pour le volume de farine que la Biscuiterie de l’Abbaye s’engage à utiliser, explique Laurent Muratet. « Nous multiplions les contrats en diversifiant les durées et les volumes pour minimiser le risque et obtenir une moyenne honnête », détaille pour sa part Guillaume Touflet. La volatilité des prix du blé semble donc avoir eu une vertu inattendue : elle a rapproché les opérateurs. « La nouvelle donne sur les marchés a fait évoluer notre relation avec le meunier vers une concertation accrue, indique Laurent Muratet. Lorsqu’il juge opportun de se couvrir, pour un volume donné, mon fournisseur m’en tient informé. Il m’explique pourquoi il pense que c’est le bon moment. Nous en discutons et validons ou non l’achat de blé », confirme-t-il. « De mon côté, je suis quotidiennement l’évolution du marché. Et, si j’estime que le prix atteint un niveau intéressant, j’appelle mon fournisseur pour lui suggérer de se couvrir. » La centrale Gerbopa « incite les industriels à dialoguer avec le meunier, résume Guillaume Touflet. Ils doivent fixer ensemble des seuils de sécurité déclenchant les achats de blé. Une méthode simple et pas chère. » Un prérequis néanmoins : « Se mettre en tête qu’il ne faut pas chercher à avoir uniquement le prix le plus bas, mais un niveau de prix performant et compatible économiquement avec nos marchés ».

La variable clientèle
    L’enjeu du prix du blé est essentiel pour les utilisateurs de farine qui ne savent pas toujours à quel tarif ils vendront leurs produits. Selon leur type de clients, tous les industriels de la BVP ne sont pas logés à la même enseigne dans la gestion de la volatilité. Certains travaillent avec les GMS, d’autres dans le cadre d’appels d’offres (cf. encadré) et une troisième catégorie dispose de ces propres magasins. « Ces derniers bénéficient de moins de flexibilité » pour faire varier le prix de vente en boutique, comme en témoigne Pascal Cantenot. Un avantage néanmoins : « En tant que détaillant, j’ai la chance de mieux maîtriser les prix. » Le chef d’entreprise aspire tout de même à plus de stabilité pour ne pas être contraint d’augmenter les tarifs de ses pains.
    Avec les GMS ou les sociétés de restauration, le jeu est plus complexe, les conditions des contrats étant révisés régulièrement. « Si l’industriel s’est couvert trop long avec un prix de vente de ses produits à un niveau plancher, il courre un risque important » si le marché rebaisse, illustre Guillaume Touflet. Car « si en 2007, nous avons démontré à nos clients des GMS la nécessité d’une hausse des prix, nous avons aussi donné le bâton pour nous faire battre. Ils ont retenu la leçon et l’utilisent désormais pour exiger des baisses ! » Les négociations sont souvent tendues avec la grande distribution. Avec un client à l’affût de la moindre possibilité de comprimer les prix, le moment où l’industriel se couvre par rapport à ses concurrents devient essentiel.
    Comme pour le reste de la filière, aucune solution miracle ne se dégage réellement pour la seconde transformation, qui s’estime surexposée au risque. En effet, un meunier industriel ne va acheter son blé qu’après avoir reçu un ordre d’achat : « Lorsque l’on s’est accordé sur le prix, il se couvre en intégrant sa marge et prend finalement peu de risques. La charge est reportée sur nous », estime le dirigeant de Gerbopa, dont les achats de farine représentent 20 à 30 % du chiffre d’affaires de ses adhérents. Mais « nous disposons d’un nombre de leviers plus important que ceux des meuniers, pour qui le blé représente 80 % du prix de revient », souligne-t-il néanmoins. Au-delà du dialogue, la contractualisation pourrait bien être la clef de la gestion de la volatilité, comme le défend Pascal Cantenot qui « espère que l’on pourra trouver un accord avec les meuniers, voire les agriculteurs pour gérer la volatilité des prix ». Mais, pour lui, alors que certains producteurs, « longtemps sous-payés, se sont pris au jeu des marchés, la dynamique doit venir des utilisateurs de farine et de blé. »

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