Importations de céréales : comment l'Afrique du Nord veut limiter sa dépendance en irriguant le Sahara
Au Maghreb, le soutien à l’agriculture irriguée amène une lueur d’espoir pour la réduction des importations de céréales, mais soulève les critiques.
Au Maghreb, le soutien à l’agriculture irriguée amène une lueur d’espoir pour la réduction des importations de céréales, mais soulève les critiques.
Le changement climatique a accentué en Afrique du Nord la multiplication des épisodes de sécheresse et une mauvaise répartition des précipitations au cours du cycle végétatif, ce qui a déjà commencé à peser sur le moral des agriculteurs locaux et provoqué la baisse des surfaces de céréales conduites en agriculture pluviale, notamment au Maroc. Les gouvernements aimeraient pouvoir se tourner vers la mise en culture du Sahara, grâce à l'irrigation. De façon plus générale, la progression des surfaces en irrigué permet de pallier en partie le recul des rendements en pluvial.
Les gouvernements visent le développement des surfaces irriguées
En Tunisie, les surfaces de céréales conduites en irrigué se sont ainsi développées et ont été multipliées par trois en un an, principalement dans le Centre du pays. Au Maroc, « l’objectif est d’un million d’hectares cultivés en irrigué d’ici à 2030 », selon Ali Hatimy, agroéconomiste pour l’ONG Nitidae et contributeur du média Nechfate sur l’agriculture et l'eau au Maroc, à comparer aux 3,5 à 3,8 millions d’hectares cultivés en céréales actuellement. Mais l’expert reste sceptique sur la faisabilité de tels projets : « Je ne sais pas comment le gouvernement pourrait s’y prendre pour promouvoir l’irrigation sur des surfaces aussi importantes, alors qu'il est plus rentable de conduire d’autres cultures en irrigué que les céréales ».
« Je ne sais pas comment le gouvernement pourrait s’y prendre pour promouvoir l’irrigation sur d'importantes surfaces, alors qu'il est plus rentable de conduire d’autres cultures en irrigué que les céréales », Ali Hatimy, agro-économiste marocain
Des coûts de production élevés
Mais pour le moment, les coûts de production des céréales dans les zones désertiques sont importants. « Les eaux qui proviennent de la nappe albienne, située sous le Sahara, doivent être refroidies avant leur utilisation pour l’irrigation », note Krimo Behlouli, ancien directeur de la Coopérative de céréales et légumes secs de Blida, dans l’Ouest de l’Algérie. « Elles sont situées à une profondeur d’1 à 1,5 kilomètre, ce qui peut nécessiter un pompage », ajoute-t-il. En outre, « la couche supérieure de la nappe, qui date du Trias, est plus salée ». Cependant, les subventions accordées au prix de l’électricité dans le désert algérien pourraient faire office d’incitateurs pour de tels projets.
La question du coût du dessalement de l’eau d’irrigation, qu’elle soit issue de la mer ou des nappes phréatiques profondes, se pose également selon l'expert. Jihene Ben Yahmed, enseignante-chercheuse spécialisée dans les systèmes céréaliers à l’Institut national agronomique de Tunisie (Inat), partage cet avis : « Des stations de dessalinisation de l’eau de mer existent à Sfax et à Djerba, mais elles sont très polluantes et ce n’est pas la meilleure des solutions », explique-t-elle. Pour elle, il faudrait plutôt se tourner vers les systèmes de culture traditionnellement utilisés dans les oasis tunisiennes. L’étagement des cultures, qui permet aux céréales de profiter de l’ombre des palmiers dattiers et des arbres fruitiers, apporte une solution plus durable. « Il y a vraiment du potentiel dans les oasis, que la Tunisie a gardées et qui fonctionnent très bien, plutôt que dans la mise en culture du Sahara », explique-t-elle.
L'irrigation, une solution limitée par la tension sur la ressource en eau
La question de la disponibilité de l'eau pour l'irrigation se pose également. En premier lieu, les nappes superficielles représentent une ressource en eau limitée et parfois surexploitée, comme en Tunisie. « Dans le gouvernorat de Kairouan, au sud-est du pays, il y a une recrudescence des forages illégaux, et l'État tunisien n'arrive pas à suivre la cadence », explique Jihene Ben Yahmed. « De plus, les barrages étant aériens, l'évaporation y est de plus en plus forte, et ce, alors que les précipitations font défaut pour leur remplissage. Fin août, le taux de remplissage était à 23 %, ce qui est alarmant », s'inquiète-t-elle.
Pour la chercheuse, comme pour Ali Hatimy, la solution viendrait plutôt de l'investissement dans une agriculture plus résiliente à la sécheresse, via la promotion de l'agriculture de conservation et de l'agroforesterie. « L'agroforesterie donne de bons résultats en Tunisie avec l'olivier, qui assure un micro-climat et retient l'humidité. Personnellement, je ne crois plus au modèle de la monoculture céréalière pour notre pays », lance Jihene Ben Yahmed. La polyculture permet en outre d'améliorer la résilience de l'exploitation via la diversification des revenus.
« Je ne crois plus au modèle de la monoculture céréalière pour la Tunisie », indique Jihene Ben Yahmed, chercheuse tunisienne
Le levier variétal reste également à considérer, avec l'abandon des variétés très productives désormais plus adaptées à la baisse de la pluviométrie, pour se tourner vers des variétés locales ou dérivées des variétés autochtones, avec des cycles courts. « L'Inra marocain devrait sortir ces prochaines années des variétés résistantes à la sécheresse, mais toutes leurs spécifications n'ont pas encore été dévoilées », a annoncé Ali Hatimy.
Les rendements pourraient cependant être au rendez-vous dans les cultures sahariennes
Mais pour Krimo Behlouli, la production de céréales dans les zones désertiques pourrait permettre d’atteindre des rendements élevés, « de l’ordre de 40 à 80 quintaux à l’hectare en fonction des amendements apportés ». Les rendements élevés pourraient compenser les coûts de production. « Les pouvoirs publics espèrent répondre aux besoins alimentaires du peuple en lançant de tels projets », explique-t-il. Notons que le gouvernement algérien a signé le 6 juillet dernier un accord avec le groupe italien Bonifiche Ferraresi, pour mettre en culture 36 000 hectares dans la wilaya de Timimoun, dans le Sahara. Le projet prévoit un investissement de 420 millions d’euros pour mettre en culture du blé dur ainsi que des légumineuses, selon l’agence Ecofin. Selon le Courrier international, le Qatar a également reçu du Conseil des ministres algériens une concession de 117 000 hectares dans le Sahara, destiné à la culture de blé.
« Les rendements pourraient atteindre 40 à 80 quintaux à l’hectare dans le Sahara » Krimo Behlouli, ancien directeur d'une coopérative algérienne
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