Bioénergies
Coup de frein sur les agrocarburants
La France revoit à la baisse ses objectifs d’incorporation pour les biocarburants de première génération, anticipant la décision de l’UE.
Dans un contexte de hausse et volatilité des prix des matières premières agricoles, et suite au débat américain sur l’incorporation de 40 % de la récolte de maïs US pour la production de bioéthanol, la Commission européenne a annoncé qu’elle présenterait bientôt un projet d’amendement aux directives sur les « énergies renouvelables » et la « qualité des carburants ». Bruxelles veut plafonner à 5 % la part d’énergie issue des biocarburants de première génération dans la consommation du secteur des transports d’ici 2020. Cela remet en question l’objectif actuel que les énergies renouvelables représentent 10 % de la consommation du secteur des transports d’ici à 2020. Sachant que ce chiffre serait déjà de 4,5 %. La Commission compte sur les biocarburants de 2e génération pour combler le reste. « La proposition de la Commission constitue un revirement total de la politique européenne des biocarburants, et remet dangereusement en cause le paquet énergie-climat de 2008 », dénonce la filière du biodiesel française.
En bon élève, la France n’a pas tardé à réagir. Dans le cadre du plan d’action pour l’agriculture, présenté le 12 septembre, le gouvernement prévoit de limiter le taux d’incorporation des biocarburants de première génération à 7 % de la consommation d’énergie du secteur des transports. Lors de la Conférence environnementale, qui s’est tenue les 14 et 15 septembre à Paris, l’État a continué sur sa lancée en annonçant une baisse progressive des taux de défiscalisation des biocarburants à compter de 2014 jusqu’à leur extinction au 31 décembre 2015.
Des filières déçues et sceptiques
« Quand chaque hectare destiné aux biocarburants fournit systématiquement des coproduits pour l’alimentation animale (drêches de céréales et pulpes de betterave) », le plafonnement à 7 % semble inapproprié pour les producteurs de bioéthanol, comme indiqué dans leur communiqué du 13 septembre. Ils doutent que cette mesure ait un effet sur la volatilité des prix mondiaux, « les productions française et européenne étant anecdotiques par rapport à celles des grands producteurs internationaux comme les Etats-Unis ou le Brésil ». « Nous savons très bien qu’actuellement, les biocarburants toutes générations confondues fourniront 8,5 à 9,5 % de l’objectif de 10 % de l’Union européenne », comparés aux autres énergies renouvelables, avance Nicolas Rialland, responsable Éthanol pour la CGB.
Les deux filières s’accordent sur le fait que la deuxième génération de biocarburants est loin d’être une réalité industrielle. « Le projet Futurol est sur les rails depuis 2008. Si tout va bien, le procédé sera au point d’ici 2017, mais aucune usine digne de ce nom ne sera encore opérationnelle », explique Nicolas Rialland. Et d’ajouter : « Il est dangereux de présenter les biocarburants de deuxième génération comme la solution miracle. Cela va nécessiter beaucoup de biomasse qui ne va tomber du ciel ». Pour la filière, l’E20 reste d’actualité, mais il reste des discussions à mener avec les pétroliers et les constructeurs automobiles.
« Le taux d’incorporation de l’éthanol était un peu inférieur à 6 % en 2011 donc il y a une petite marge de manœuvre, mais il va falloir exporter davantage si l’on veut continuer à faire fonctionner les usines à 100 % de leur capacité », affirme le responsable Éthanol de la CGB, sachant qu’aujourd’hui un quart de la production française est déjà exportée vers l’UE. La filière biodiesel est moins optimiste. La rapidité du revirement de politique leur pose problème car l’industrie est très capitalistique. Sofiprotéol aurait investi 800 M€ ces cinq dernières années, un investissement qui est encore loin d’être amorti. Le projet B 20 est à l’eau. Il va y avoir une surcapacité européenne et des usines vont sans doute devoir fermer. « Si Bruxelles décidait de limiter le taux d’incorporation des biocarburants à 5 %, la production de biodiesel en France chuterait de 30 %, avec 600.000 t de biodiesel en moins. Cela représente l’activité de 3 sites industriels d’estérification », avertit Jean-Philippe Puig, DG de Sofiprotéol. Il se pose également la question de savoir avec quelles sécurité et visibilité les industriels vont pouvoir investir dans les biocarburants de deuxième génération.
En ce qui concerne l’annonce de défiscalisation d’ici fin 2015, les modalités restent à préciser, mais les producteurs d’éthanol ne sont pas du tout satisfaits. De son côté, Sofiprotéol redoute « que la Commission européenne introduise, de manière subreptice, un facteur Casi (changement d’affectation des sols indirect), malgré l’absence d’éléments scientifiques sur ce sujet. Cette pénalité pourrait condamner toute la filière biodiesel existante ».