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À la découverte du roi des fromages norvégiens, le Geitost

Colette Dahan et Emmanuel Mingasson nous emmènent en Norvège, à la rencontre de producteurs fermiers sur les traces de la fabrication du Geitost, un fromage de chèvre véritable emblème national. Récit de voyage.

Il fut un temps où la Norvège faisait partie des pays pauvres. Dans les familles de paysans, on cherchait à exploiter au maximum toutes les ressources. Dont le petit-lait issu de la fabrication de la tomme. « Comme le lait avait été écrémé, le caillé était retiré à basse température, à 24 degrés, pour ne pas avoir un fromage trop sec et trop dur. Ce n’était pas délicieux, mais c’était la seule source de protéines de la famille. Ils le pressaient, le gardaient sur les planches, sans saler. Ils le mettaient ensuite dans un contenant en bois : fromage, sel, fromage, sel, etc. Celui de dessus avait bon aspect mais quand ils atteignaient la fin, il était plein de moisissures et pratiquement dans la saumure. Alors, ils le faisaient revenir à la poêle en tranches fines avec du lard ou de la graisse », expliquent les Norvégiens. Le petit-lait quant à lui était longuement bouilli, jusqu’à obtention d’une pâte brune qui lui donna son nom : fromage brun ou Geitost.

Un quart du fromage consommé

De nos jours, alors que la Norvège se place au troisième rang des pays les plus riches du monde, le Geitost n’en a pas disparu pour autant. Véritable fierté nationale, il fait partie du patrimoine gastronomique et culturel. Avec le Brunost, fabriqué au lait de vache, ils représentent un quart du fromage consommé dans le pays. Les modifications notables apportées au processus de fabrication y sont peut-être pour quelque chose.

Véritable fierté nationale, le Geitost fait partie du patrimoine gastronomique et culturel

C’est Jan, un éleveur rencontré sur son alpage près de Rjukan, dans le sud de la Norvège, qui nous avait orientés vers Barbro : « Allez la voir. Nous faisons le même fromage, mais pas tout à fait de la même façon. Alors que j’utilise huit litres de lait pour en fabriquer un kilo, il lui en faut treize : je laisse le sérac dans le petit-lait, elle, elle le retire ».

Quatre heures de traite

Nous étions arrivés en fin d’après-midi. Andrea, salariée de la ferme, terminait la traite des 96 chèvres, magnifiques, au poil long, sachant user de leurs cornes. « Nous faisons le maximum pour avoir des chèvres de races anciennes, mais c’est difficile, il y a eu trop d’apports extérieurs », explique-t-elle. Bonne nouvelle, nous pourrons voir la fabrication demain. Maintenant c’est l’heure de dîner, les éleveurs nous proposent de rester, il y a du poisson frais, du sauvage.

Six heures le lendemain matin, un concert de clochettes sonne le réveil et la traite du matin. Comme celle du soir, elle va durer quatre heures. C’est long, mais avec deux pots trayeurs seulement, cela n’avance pas vite. Lorsque deux bidons sont pleins, Andrea les emmène à la fromagerie où Vemund, 16 ans et embauché pour la saison, est prêt. Avec Andrea, ils alternent entre la fromagerie et la traite. Aujourd’hui, c’est lui qui est chargé de l’écrémeuse, réglée pour séparer le maximum de crème.

Neuf heures : Barbro vient d’allumer les quatre plaques électriques disposées sous le chaudron. Trois quarts d’heure d’attente pour atteindre les 26 degrés, au doigt trempé. Puis elle ajoute une giclée de présure. De nouveau 20 minutes d’attente, puis un décaillage grossier avec une longue spatule métallique. Il faut attendre que le caillé compacte pour qu’il soit plus facile à retirer. Premier essai après un quart d’heure : trop tôt, trop de petit-lait à l’intérieur « si tu sais attendre, tu travailles moins, les choses se font toutes seules ». Le caillé, sec et caoutchouteux, ira aux cochons, même s’ils n’en sont pas fans. Chez Jan, il n’y a pas de cochons, on l’enterre.

Fromage en vente dès le lendemain

Il faut maintenant chauffer fort, jusqu’à 95-98 °C. Le dravla (prononcer sérac) remonte. Il sera donné aux cochons, qui l’adorent, après avoir été bien égoutté. La cuisson du petit-lait va se poursuivre sept à huit heures durant. Il faut qu’il réduise de 80 % environ.

Le lendemain, le chaudron est vidé, nettoyé, le brasseur en bois est installé à plat sur le fond. La réduction de petit-lait, couleur café hier soir vire café au lait lorsque, à 37°, Barbro restitue la crème. Ébullition de nouveau. Au fil des quatre heures, l’odeur est de plus en plus prononcée. Enfin, c’est terminé. Le chaudron est poussé hors du feu. Nous attendons que la température baisse, puis arrêtons le brasseur, et moulons. Le Geitost ne nécessite pas d’affinage. Il sera en vente dès le lendemain. Protégé par un papier et glissé dans un sachet en plastique, il peut être conservé de longs mois au frais sans dommages.

La saison tire à sa fin, les chèvres montent toujours plus haut chercher l’herbe, la traite débute de plus en plus tard, les nuits fraîchissent. Il va être temps de redescendre de l’alpage. À la ferme, les 16 vaches Telemark, leurs veaux, la centaine de brebis Villsau et 30 chevrettes les attendent avec impatience. Pas autant que les trois boucs ! Quant aux deux cochons… chacun connaît la fin de l’histoire.

Un fromage… au goût de caramel

Il se fait en Norvège, à partir du lait de chèvre, un fromage à la texture lisse et à la pâte si collante qu’il fallut, pour le découper en tranches fines, inventer le Ostehøvel, un couteau éminceur en forme de petite pelle à tarte. Ce bloc brun, au goût de caramel salé légèrement acide, porte le nom de Geitost, « fromage de chèvre ». Il est difficile pour nous de nommer fromage ce produit fait de crème et de petit-lait. Pourtant, au World Cheese Awards 2018-2019, le Geitost de l’alpage Bergstaulen a remporté la Super Gold, le coup de cœur du jury, tous fromages confondus !

Sur la route du lait

Colette Dahan et Emmanuel Mingasson sont partis le 3 septembre 2020 pour un voyage de quatre ans sur la Route du lait. Si la fermeture des frontières les a contraints, elle leur a donné l’opportunité et la chance de voyager plusieurs mois à la rencontre d’éleveurs en Suisse et en France. Puis ils ont poursuivi leur chemin en Allemagne, au Danemark et en Norvège. Pour suivre leurs aventures, rendez-vous sur leur site : unansurlaroutedulait.org

outil carte : Norvège

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