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L214 ou le marketing de la souffrance à petits pas

Derrière la façade welfariste abolitionniste, l’association L214 cache un projet antispéciste à long terme visant à changer la société en profondeur.

Manifestation contre l’élevage intensif du poulet à Valence en juin 2018. C’est au nom de la défense des animaux d’élevage que L214 veut purement et simplement faire disparaitre l’élevage sous toutes ses formes.
© P. Le Douarin

De tous les mouvements abolitionnistes, l’association L214 est celle qui communique le plus ces dernières années et le mieux. Pour Hervé Le Prince, de l’agence de communication New Sens, qui eut à défendre des acteurs du foie gras contre les attaques de Stop gavage dans les années 2000, « L214 a une approche stratégique, à la différence des autres acteurs animalistes ». Ses méthodes sont largement inspirées d’activistes anglo-saxons et de l’organisation américaine The Humane League qui a créé l’Open Wing Alliance pour diffuser son savoir-faire à l’international. Cette stratégie est soutenue par un marketing de l’horreur efficace : des campagnes à fort impact émotionnel avec des vidéos chocs montrant la souffrance et la mort en tordant la réalité, un relais par des ambassadeurs reconnus par le public (journaliste, actrice, animateur), des scoops négociés avec des médias, une prise de position pour mettre sous pression l’acteur ou le secteur économique visé. Tout ceci dans un contexte de violence tel qu’il provoque l’effet escompté, celui d’une réaction émotionnelle dont le but est de faire croire que la majorité de l’opinion a basculé dans son camp. Contrairement à ce qu’elle affirme, L214 ne dévoile rien qui soit inconnu, comme en témoigne l’affaire des vaches hublots. Mais paradoxalement, peu critiquent ce mode d’action, dans la mesure où L214 apparaît « utile » à la manière d’un lanceur d’alerte. L’association ne cache pourtant pas sa radicalité. « Parce que la production de viande implique de tuer les animaux que l’on mange, parce que nombre d’entre eux souffrent de leurs conditions de vie et de mise à mort, parce que la consommation de viande n’est pas une nécessité, parce que les êtres sensibles ne doivent pas être maltraités ou tués sans nécessité, l’élevage, la pêche et la chasse doivent être abolis », affirme-t-elle sur son site Abolir la viande. Pour faire court, élever des animaux pour les tuer et pour les manger équivaut à commettre un crime.

Avancer masqué derrière l’abolitionnisme

L214 est née en 2008 de la volonté de trois militants qui gravitaient depuis longtemps dans le milieu de la cause animale. Il s’agit de ses porte-paroles Brigitte Gothière et Sébastien Arsac, ainsi que de son invisible président Antoine Comiti. Brigitte Gothière explique leurs intentions dans un livre L214, une voix pour les animaux de Del Amo, relatant l’histoire de l’association. « Le projet (NDLR : de création de L214) serait clairement abolitionniste et antispéciste, tout en étant audible par le grand public et les médias. Nous avions l’intention de mener des campagnes sectorielles qui serviraient de levier pour avancer vers l’abolition de l’élevage. » Ces trois personnes ont toutes collaboré à la revue des Cahiers antispécistes. Sébastien Arsac a créé Stop gavage avec Antoine Comité en 2003. Il fut militant de l’ONG welfariste « Protection mondiale des animaux de ferme » (ancêtre de Welfarm), non-abolitionnisme et non végétarisme, qu’il quitta pour ces raisons. Antoine Comiti, devenu entrepreneur du secteur médical, serait le théoricien qui a conçu la stratégie. Plutôt que de vouloir imposer d’emblée sa façon de voir, il a proposé une dynamique d’influence qui s’inspire du militant antispéciste américain Henry Spira (lire son article dans les Cahiers antispécistes n° 24, janvier 2005). L’objectif ? Instiller par touches successives l’idée que la condition animale est déplorable, faire le glissement vers une alimentation végan et donc vers la disparition de l’élevage sous ses formes, et aller jusqu’à rompre la domination de l’homme sur l’animal domestique voué à disparaître lui aussi.

Une propagande multicible et multiforme

Pour parvenir à ses fins, L214 fait feu de tout bois en influençant les médias, les consommateurs, les politiques et même les enfants. En témoigne la dizaine de sites qui reflètent son activisme multiforme. Il y a d’abord des sites « d’information » sur la viande, le lait (viande-info, lait-viande.info) et les palmipèdes (Stop gavage). Des sites pratiques expliquent comment devenir végan et où trouver des restaurants végans. Le site politique-animaux note, dénonce et incite à interpeller les élus politiques quant à leur action à l’égard des animaux. Destiné aux enseignants, L214 Education fournit pléthore de documents pédagogiques librement utilisables dans les classes, de la maternelle jusqu’au lycée. L’association réalise aussi des interventions auprès des élèves. Le site principal renvoie enfin vers deux sites (Abolir la viande, Fermons les abattoirs) qui visent explicitement les végans les plus radicaux pour les inciter à l’action. « La production et la consommation de viande doivent être interdites », affirme le premier, tout en faisant le parallèle avec l’abolition de l’esclavage. Le second organise la marche annuelle pour la fermeture des abattoirs. Toutes ces actions visent à exercer une action de long terme sur l’opinion pour l’amener à adopter certaines idées sur la place des animaux dans notre société et de la viande dans nos assiettes. Si ce n’est pas de la propagande, qu’est-ce que c’est ?

La méthode Spira pour faire bouger les lignes

Le philosophe australien Peter Singer, théoricien de la libération animale, a résumé en 10 points les méthodes de l’activiste américain Henry Spira qui défendit la cause animale aux États-Unis dans les années 70 et qui a influencé la stratégie de L214 :

-Comprendre l’état d’esprit du public à convaincre ;
-Choisir une cible vulnérable à l’opinion publique ayant un effet de levier important ;
-Progresser par étapes atteignables ;
-Se baser sur des faits avérés et des sources crédibles ;
-Ne pas diviser le monde en saints et pécheurs ;
-Chercher le dialogue avant tout ;
-Être prêt à agir sur le terrain ;
-Éviter la bureaucratie d’une structure ;
-Ne pas compter uniquement sur l’action politique ;
-Ne pas se lancer si cela risque d’échouer.

 

L214 en partie financée par la Silicon Valley

Après avoir stagné pendant sept ans, L214 a connu ces dernières années une croissance fulgurante. Son nombre d’adhérents a été multiplié par trois (32 000 en 2019) depuis 2015. Pour investir ainsi tous les espaces d’expression, entretenir un réseau dans 60 villes et rémunérer plus de 60 salariés (15 en 2015), il faut beaucoup d’argent. L’association bénéficie d’un confortable budget de 5,2 millions d’euros (en 2017), dont près de 4,4 millions d’euros de dons et legs même si elle n’est pas reconnue d’utilité publique. Ces dons sont défiscalisés à 66 %, ce qui lui permet d’être indirectement subventionnée par les pouvoirs publics. Elle a aussi touché 65 000 euros de subventions au titre du dispositif d’aide à l’embauche. Sa forte notoriété médiatique lui a aussi permis de récolter des fonds sur le marché concurrentiel de l’animalisme. En 2017, L214 a bénéficié d’une subvention de 1,14 million d’euros de l’Open Philanthropy Project, un fonds privé américain d’investisseurs de la Silicon Valley, en échange de campagnes contre les poulets de chair et pour faire du prosélytisme végan dans les universités françaises. La structure L214 est composée de deux entités associatives dont une est basée en Alsace où les associations sont soumises au régime du droit local d’Alsace-Moselle et non à la Loi sur les associations de 1901. L’association de droit local 1908 bénéficie d’une capacité juridique plus large qui lui permet de recevoir les dons et legs, de posséder des biens immobiliers… Bref, de poursuivre un but lucratif.

La nébuleuse des mouvements abolitionnistes

Parmi les numéros de l’activisme végan, il y a 214 mais aussi 269. Et, plutôt deux fois qu’une, puisqu’en France ce mouvement se décline en deux associations indépendantes : 269 Life France et 269 Libération animale. Elles sont l’émanation d’un mouvement israélien dont le nom fait référence au numéro d’un veau « sauvé » par ses fondateurs. Pour marquer de façon spectaculaire leur soutien à la cause animale, des militants organisent des séances de mutilation où ils se font marquer le numéro 269 au fer rouge. Si la première, soutenue par L214, s’est surtout donnée pour mission de promouvoir le véganisme, la seconde se situe sur le créneau de la libération animale en recourant à des actions directes de désobéissance civile, par exemple sous la forme d’intrusion illégales dans des abattoirs. « La rue n’est pas suffisante, c’est en nous rendant dans les lieux où se déroulent et se décident ce massacre que nous serons en mesure de l’enrayer et d’y mettre un terme », affirment les deux fondateurs. Les nombreux procès en cours dont ils font l’objet semblent avoir freiné leur ardeur militante.

Un milieu contestataire interconnecté

On peut citer encore DxE France (Direct action ewerywhere), considéré comme un sous-traitant des vidéos de L214, qui publie une carte nominative des « élevages intensifs" (certains de 50 bovins !). Ou Earth résistance qui a tenté à plusieurs reprises de perturber le salon du Sommet de l’élevage. Derrière ces mouvements plus ou moins médiatisés, une myriade de groupuscules de libération animale se livrent au jeu du « plus radical que moi tu meurs ». Dans ce milieu assez retreint, beaucoup des militants se connaissent et même se rencontrent pour parler stratégie. Par exemple à l’Université d’été de la libération animale organisée en août dernier. Ils « recourent à des actions violentes visant les biens et les propriétés de leur cible, dans une logique de sabotage économique », analyse Eddy Fougier, l’expert en mouvements protestataires. Parmi eux, l’ALF, mouvement anarchiste et anticapitaliste ou Boucherie abolition, qui multiplie les intrusions dans les exploitations et les agressions à l’encontre de boucheries. Douze militants seront bientôt jugés pour avoir provoqué la mort de 1 500 dindes dans un élevage de l’Eure en voulant les « libérer ». Des groupes et individus de l’ultragauche et de l’ultradroite reprennent aussi à leur compte la cause animale.

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