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Pénurie d'engrais azotés : quels risques pour les agriculteurs au printemps ?

Coops et négoces s’inquiètent d’un risque de pénurie d’engrais azotés au printemps sur fond de flambée des prix et d’importations en berne. Pour les agriculteurs qui ne se sont pas couvert à temps, les impacts peuvent être importants.

La baisse des volumes d'engrais azotés disponibles sur le marché mondial complique l'approvisionnement de l'agriculture française, très dépendante des importations.
La baisse des volumes d'engrais azotés disponibles sur le marché mondial complique l'approvisionnement de l'agriculture française, très dépendante des importations.
© S. Leitenberger

La hausse brutale du prix des engrais constatée ces derniers mois était déjà un mauvais signe pour les marges des agriculteurs. Mais voilà que c’est désormais le risque de pénurie qui inquiète le secteur. Y aura-t-il assez de volumes pour tout le monde au printemps ? Évoquées à demi-mot durant l’été, les craintes sont désormais formulées à l’unisson par l’ensemble des distributeurs d’engrais. Elles sont alimentées par l’assèchement des importations, qui représentent ordinairement plus du tiers de la consommation annuelle des engrais azotés en France.

Les tensions sont déjà là, plus ou moins vives selon les formes d’azote. L’urée, très majoritairement importée, est devenue une denrée rare. La solution azotée, utilisée par un tiers des agriculteurs, reste disponible mais se raréfie chez l’ensemble des fournisseurs, avec des livraisons au compte-goutte. « Aujourd’hui, un distributeur qui réclame un certain volume n’en obtiendra qu’entre 20 % et un tiers auprès de son fournisseur », affirme Olivier Bidaut, président de la commission agrofourniture de la Fédération du négoce agricole (FNA).

Les usines françaises d'ammonitrate « continuent de tourner »

Reste l’ammonitrate, que l’on trouve à des prix inédits, autour de 780 euros la tonne au 20 octobre. C’est la seule forme d’engrais azoté produite en France, d’où sa relative disponibilité. « Tant qu’on a du gaz, on maintient notre production, assure Florence Nys, déléguée générale de l’Unifa, qui rassemble les industriels français du secteur. Nos usines continuent de tourner et nous mettons tout en œuvre pour assurer la continuité de la production et faire face à la demande. » Cette fabrication domestique d’ammonitrate est stratégique, puisque la consommation française de ce type d’engrais avoisine 2,7 millions de tonnes par an. Mais cela n’efface pas les difficultés d’importations.

« Ça fait des semaines que nous alertons nos adhérents sur la situation », rappelle Régis Lemaitre, manager de l’offre fertilité des sols au sein de la coopérative Terrena, dans le Grand Ouest. Les coopératives comme les négoces multiplient d’ailleurs les relances auprès de leurs clients et adhérents. Passer commande au plus vite permet aux distributeurs de bloquer les volumes correspondants.

Pour Benoît Piètrement, président du conseil spécialisé Grandes cultures de FranceAgriMer et de la coopérative marnaise Novagrain, « l’impact sur les exploitations va être extrêmement violent ». Le poste engrais azotés pourrait ainsi être majoré de 150 à 200 €/ha. Mais sa « vraie inquiétude » porte surtout sur la disponibilité des produits. « Sur le printemps qui va venir, rien ne dit aujourd’hui qu’on pourra avoir accès aux engrais azotés », s’inquiétait-il à l’occasion d’une conférence de presse, le 13 octobre.

Incertitude sur les livraisons de mars

Les vendeurs d’engrais en profitent pour rappeler que les adhérents se fournissant totalement auprès de leur coop et les clients fidèles seront servis en priorité. Tous assurent que les commandes déjà passées seront honorées, mais annoncent de possibles retards de livraison au printemps. « On ne s’engage plus sur les commandes pour une livraison première quinzaine de mars », confirme Antoine Hacard, président de la Coopération agricole Métiers du grain.

En cause, les retards de commande enregistrés depuis juin dernier, qui ont grippé la chaîne de production et la logistique. Face aux prix, les distributeurs et les agriculteurs ont trop attendu. Pour tous, commander à de tels tarifs implique une trésorerie très saine et un soutien sans faille de la banque en cas de besoin. Un détail qui peut expliquer pourquoi certains petits fournisseurs sont à secs.

Quant au retard de commande, il se résorbe grâce à la mobilisation des commerciaux, mais il est encore évalué entre 20 % et 30 %. Assez pour anticiper un goulot d’étranglement logistique au printemps, avant le début des épandages. Les transporteurs devront en effet livrer plus en moins de temps, alors que les chauffeurs routiers manquent à l’appel. La pénurie de main-d’œuvre dans le transport routier français est estimée entre 40 000 et 50 000 personnes.

Dans ce contexte, les agriculteurs qui attendent une possible baisse des prix pour commander prennent un gros risque : celui de ne pas être livré à temps pour apporter l’engrais au moment où les cultures en auront besoin. Un tel scénario serait inédit en France depuis l’après-guerre. « Nous allons tout faire pour qu’il n’y ait pas de pénurie mais ce n’est clairement pas gagné », indique Antoine Hacard.

Craintes d'une sous-fertilisation généralisée

De quoi faire redouter à la filière une sous-fertilisation générale, qui induirait des blés avec une faible teneur en protéines. Avec deux effets délétères : une décote de prix significative pour les producteurs et la perte des débouchés traditionnels de blés français. « En dessous de 10,5 % de protéines, on n’est plus sur des critères meuniers et la décote atteint 30 à 50 €/t », rappelle Antoine Hacard.

Même inquiétude du côté du négoce. « Nous alertons notre réseau face à une collecte qui risque d’être atypique, avec peut-être moins de blés meuniers et plus de pois que d’habitude, explique Sandrine Hallot, directrice Pôle produits, marché et services de FNA. Il y a de nombreuses questions : les agriculteurs vont-ils emblaver moins de blé ? Vont-ils se reporter sur des protéagineux, de l’orge ? »

Le terrain bruisse déjà de nombreuses discussions entre agriculteurs cherchant des semences de protéagineux, de pois, mais aussi de soja, pour adapter leur assolement à ce manque d’azote. Pour Sandrine Hallot, il faudra également veiller à la cohérence entre la disponibilité en azote et les engagements de blé meunier à prix ferme pour la future récolte. « Attention à des engagements qui seraient trop élevés et que l‘agriculteur ne pourrait pas honorer, insiste la directrice. Pour bénéficier des prix actuels du blé sans prendre de risque, il faut regarder son niveau d’engagement selon ce qui est couvert en engrais ou s’orienter vers d’autres qualités. »

Certains agriculteurs semblent avoir pris conscience du danger, puisque les volumes de blés fourragers engagés par les producteurs sont plus élevés que la normale. Le hic, c’est que « 50 à 70 % des débouchés du blé français exigent du 11,5 de protéines », alerte Antoine Hacard. L'interprofession a d'ailleurs fixé ce seuil comme valeur de référence en 2019, dans l'objectif de remonter la teneur en protéine moyenne du blé français. Pas sûr que l'on y parvienne en 2021.

Disponibilités au compte-goutte sur les sites de vente en ligne

Si vos fournisseurs habituels n’ont plus d’engrais azotés à vendre, avez-vous consulté les sites de ventes en ligne comme Agriconomie ou Comparateuragricole ? Ces sites permettent de passer commande en quelques clics, pour des livraisons en janvier 2022. Au 19 octobre, ces deux enseignes proposaient encore des camions de solution azotée. Si la commande débouche sur une demande de devis, cela signifie que le produit n’est plus disponible. « Nous obtenons des volumes au compte-goutte, prévient Clément Le Fournis, directeur général d’Agriconomie. Quand on commercialise 300 tonnes de solution azotée sur notre site, ils partent en moins de deux heures. » Encore faut-il disposer d’une solide trésorerie : les meilleurs prix dépassent désormais les 2 euros par unité d’azote.

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