Vendre sa récolte : déjouez les pièges de vos émotions
Au moment de décider de vendre, nos émotions exercent une influence considérable et rarement bénéfique. En avoir conscience permet d’éviter les pièges et de rationaliser ses choix.
Au moment de décider de vendre, nos émotions exercent une influence considérable et rarement bénéfique. En avoir conscience permet d’éviter les pièges et de rationaliser ses choix.
Quel est le premier élément à prendre en compte pour commercialiser efficacement ses grains ? On pense spontanément à l’analyse de marché : bien appréhender les facteurs haussiers et baissiers est considéré comme un gage de décision éclairée. On oublie généralement une dimension essentielle, probablement plus importante : la psychologie. « Le mental est le premier facteur de la performance, affirme Mikaël Juchet, chef de projet Mes Marchés à la chambre d’agriculture du Loiret. On s’attache à l’analyse de marché, avec une approche logique, mais ce qui va influencer prioritairement la prise de décision, c’est l’émotion. »
Les opérateurs professionnels officiant sur les marchés d’actions le savent bien, l’émotion est souvent mauvaise conseillère. Ancien trader, Mikaël Juchet est familier de l’impact de ces états psychologiques sur les prises de décision à l’achat ou à la vente. « Parmi les émotions fréquentes, on retrouve l’euphorie, souvent associée à la cupidité, explique le spécialiste. Quand le marché est bien orienté, il arrive que l’on effectue une série de très bonnes opérations, parfois uniquement due à la chance, mais qui génère un excès de confiance. » Grisé par les succès, il est tentant de se laisser aller à des prises de risque excessives, par exemple en prenant des positions spéculatives. Des choix qui se paient cher lorsque le marché se retourne. Le contexte actuel, avec un marché qui s’emballe à la hausse, hors des repères habituels, est propice à ce type de comportement dangereux.
Autre cas de figure : la panique. C’est une situation fréquente lorsque le marché connaît de fortes corrections dans un sens ou dans l’autre ou, pour les vendeurs, lorsqu’il s’effondre. « En l’absence de ligne directrice, de telles évolutions génèrent de la peur pouvant aller jusqu’à la paralysie. On risque alors de laisser passer une opportunité de marché, explique Mikaël Juchet. Le piège classique, c’est de ne pas savoir sortir d’un marché baissier, risque qui pourrait apparaître dans les prochains mois. »
Dans certains cas extrêmes, se laisser guider par ses émotions conduit à l’autosabotage. Le phénomène semble incongru, mais il existe : avoir mis toutes les chances de son côté en élaborant une stratégie pertinente, consolidée par une bonne analyse, mais ne pas s’autoriser à empocher son gain, par exemple s’il est lié à une situation dramatique, comme la guerre en Ukraine. S’apprêter à gagner de l’argent déclenche parfois des réflexes psychologiques surprenants.
Constant Thirouin, agriculteur à Ablis et consultant pour Piloter sa ferme, s’appuie lui aussi sur son expérience de trader. « Il faut absolument sortir de l’émotion pour la prise de décision, confirme-t-il. La raison est simple : cette culture que l’on a menée pendant un an, qui va générer notre revenu, vaut forcément plus cher que le prix que l’on nous propose. On voudra 160 euros la tonne quand on nous en offre 150 euros la tonne, et 200 quand le prix est à 190. On trouve toujours une bonne raison de repousser la décision de vendre, alors que celle-ci serait parfois raisonnable pour sécuriser la pérennité de l’exploitation. »
Concrètement, « lorsque vous sentez l’euphorie du marché vous emporter, il est souvent temps de vendre », recommande pour sa part la société Captain Farmer. Autre situation typique, celle du marché qui part à la baisse après avoir atteint des prix attractifs. On a alors spontanément tendance à attendre que le marché remonte, persuadé de l’imminence d’un rebond. « Lorsque les cours continuent à dégringoler et que l’on se retrouve à son seuil de commercialisation, difficile de marquer les prix à ce niveau alors que l’on pouvait auparavant profiter de cours bien plus rémunérateurs, décrypte Mikaël Juchet. Et c’est bien souvent quand les cours sont au plus bas, pris par la panique, que l’on décide enfin d’appuyer sur le bouton. »
Pour éviter ces chausse-trappes, tous les spécialistes recommandent de séparer la réflexion de la prise de décision. C’est à froid que l’on élabore sa stratégie, afin de ne pas avoir à se décider dans le feu de l’action quand survient une opportunité de marché. Cette stratégie, appelée « cadre de gestion », prend en compte de nombreux paramètres. Mieux vaut l’avoir couché sur le papier, et pas juste l’avoir en tête. « Attention à ne pas tomber dans le piège d’avoir voulu plus et de finir avec moins, parce que l’on n’a pas eu la fermeté d’agir comme on l’avait prévu. Il faut se fixer une limite à la baisse et s’y tenir », met notamment en garde Laurent Gaonac’h, consultant chez Cerexpert. S’appuyer sur un calendrier, sur des objectifs de prix précis et des bornes mini et maxi d’engagement est le meilleur remède contre le diktat des passions.