Valoriser l’expertise des pairs
En bout de champ ou à des réunions, les informations échangées avec des pairs ont souvent plus de poids que celles délivrées par les conseillers. Certains exploitants ont rebondi sur cette réalité pour faire en sorte de mieux faire partager cette expertise de terrain qui se niche au sein même des exploitations. Exemples.
François Mandin Retrouver son autonomie grâce au groupe
François Mandin, agriculteur en Vendée, a créé en 2012 l’Apad Centre-Atlantique, une association regroupant des agriculteurs sensibles à l’agriculture de conservation des sols. Il en est président depuis ses débuts. « Je faisais partie d’un GDA, mais les conseils étaient trop éloignés de ce que j’attendais. Je recherchais des techniques adaptées à mes préoccupations et j’avais besoin de conseils de mes pairs, raconte l’agriculteur. J’ai donc créé cette association. » En 2012, une trentaine d’agriculteurs l'ont rejoint. Cinq ans plus tard, ils sont environ 150, répartis en une quinzaine de groupes de 10 personnes. « Grâce à ses groupements, les adhérents reprennent leurs responsabilités et retrouvent leur indépendance », explique François Mandin. L’objectif est clair: retrouver de l’autonomie en matière de conseil en diffusant de la méthodologie et les connaissances d’autres agriculteurs. Mettre en réseau les exploitants fait partie des credos de l’Apad Centre-Atlantique.
Des agriculteurs experts
Plusieurs fois dans l’année, des groupes d’agriculteurs se rencontrent dans une exploitation autour d’un thème choisi par les membres : limaces, rongeurs du sol ou encore démonstrations de semoirs. Lors de ces journées, les agriculteurs font appel à un expert extérieur pour appuyer leur réflexion. Il peut venir d’une société privée, d’Arvalis ou encore de l’Inra, tout est possible. Après une partie en salle et une sortie sur le terrain chez un exploitant, les agriculteurs font un retour entre eux et ensuite posent leurs questions au spécialiste. « Chaque agriculteur du groupe est considéré comme un expert qui s’appuie ponctuellement sur des compétences extérieures », résume le président de l’Apad Centre-Atlantique. Outre ces journées d’expertise, un technicien, salarié de l’association, se met à disposition des groupes. Il les appuient notamment dans les expériences qu'ils mettent en place chez eux. « Que les résultats soient concluants ou non, ils sont partagés, précise François Mandin. Nous nous entraidons également dans leurs choix de couverts ou de semences par exemple. » En cas de questionnement, "des réunions en bout de champ peuvent être organisées, ajoute le Vendéen. Dans ce cas, le technicien joue davantage le rôle d’animateur que de conseiller. Il n’apporte pas de recettes toutes faites mais plutôt un panel de solutions et de la méthodologie, sans miser sur des certitudes. » Dans ces groupes, l’innovation vient donc du terrain.
Florian Baralon Décloisonner les savoir-faire
Depuis 2013, une association a vu le jour dans la campagne de l’Ain, le collectif de développement de l’agroécololgie (CDA), récemment rebaptisée Centre de développement de l’agroécololgie. Les cinq ingénieurs agronomes fondateurs accompagnent les acteurs du monde agricole à l’agroécologie. Florian Baralon est l'un d'entre eux. Aujourd'hui agriculteur dans l’Ain, c'est un ancien technicien du Civam. De son expérience, il a constaté que « les techniciens n’ont pas souvent les compétences pour conseiller des agriculteurs au changement. Beaucoup d’entre eux ne se retrouvent pas dans ces formes de conseil. Les organismes, entreprises, chercheurs, tous, font des expérimentations de leur côté, mais jusqu’à ce jour rien ne regroupait ces compétences transversales. » Les cinq compères veulent avant tout décloisonner les expériences pour rendre les agriculteurs autonomes.
L'expérimentation participative
« Nous avons constaté qu’en général, lorsque le changement de techniques culturales ne s’opère pas, c’est qu’il y a des verrous par ailleurs, explique le co-fondateur. Les freins peuvent être sociétaux, économiques ou familiaux. Sur ces aspects, nous épaulons les agriculteurs mais c'est avant tout l'expérience du groupe qui encourage au changement. » Leur accompagnement se fait donc de manière collective et sur l’expérimentation dite « participative ». Deux groupes de 8 à 10 agriculteurs au sein de ce collectif se sont lancés dans l'expérimentation. L’un, Cap Agroéco, étudie l’association de cultures. « Les agriculteurs nous disent ce qu’ils veulent étudier ainsi que les modalités, illustre Florian Baralon. Nous leur apportons les informations pour l’élaboration du protocole, eux récoltent et nous analysons ensemble les résultats. » Pour le co-fondateur, les accompagnateurs doivent faire le lien entre les chercheurs et le terrain. L’idée est de leur transmettre la rigueur scientifique tout en étant pédagogue. Le second groupement s'est organisé sous forme de GIEE et se nomme 3A3B. Il étudie les anciennes variétés de céréales. Outre l’expérimentation participative de techniques culturales, les membres sont responsables de la mise en place d’une nouvelle filière. Les participants sillonnent leur région pour trouver des boulangers et biscuitiers prêts à les accompagner dans leur aventure. Le CDA a pour objectif de créer deux nouveaux groupements d’agriculteurs par la suite.
Pour compléter ces expérimentations, le collectif effectue des diagnostics d’entreprise afin de mieux connaître l’exploitation, forme des conseillers et techniciens et propose également un coaching individuel au changement pour les personnes en ressentant le besoin. En formant ces agriculteurs à l’expérimentation, les fondateurs les incitent à retrouver leur autonomie. Avec ces cartes en main, ils espèrent faire oublier la peur et les échecs afin qu’agriculteurs comme conseillers avancent vers de nouvelles pratiques.
Gilles Cavalli et Sébastien Roumegous Vendre ses compétences
Il y a six mois, Gilles Cavalli et Sébastien Roumegous ont lancé leur start-up Agrifind. Ils ne sont pas agriculteurs mais veulent mettre sur le devant de la scène le savoir-faire des agriculteurs. Comment ? En mettant en relation des experts et des agriculteurs via des prestations payantes de conseil. La nouveauté ? Les experts peuvent être aussi des agriculteurs. « Nous voulons mettre le numérique au service de la performance économique des exploitants », explique Gilles Cavalli. Forts de leurs expériences dans le conseil agricole, les deux fondateurs sont partis de deux constats. D’abord, lors de réunions d’échanges, la parole d’un pair a beaucoup plus de poids que celle du conseiller. Et ensuite, les innovations et savoir-faire se trouvent dans les exploitations.
Un conseil spécifique
Sur la plateforme internet, l’agriculteur désirant un conseil spécifique peut faire appel à un conseiller professionnel ou à un autre agriculteur capable de lui apporter une information. Parmi les offres : un agriculteur propose un conseil pour mieux négocier avec les entreprises de réseaux (gaz, éléctricité, internet...) l'implantation d'une infrastructure sur son exploitation. Son tarif, qu'il fixe lui-même, est de 80 euros de l'heure. Il peut choisir d'être sollicité par internet ou bien offrir de se déplacer. En fin d'opération, le conseiller se voit alors attribuer une note par son client selon sa prestation. « Les agriculteurs souhaitent avoir facilement accès à un conseil spécifique ponctuel », explique Gilles Cavalli. Dans une carrière, un agriculteur capitalise des compétences sur un ou plusieurs sujets, l’idée est d’en faire profiter ses pairs. « Ce sont leurs expériences avant tout qui sont mises en valeur, précise l'entrepreneur. Les agriculteurs sont entourés de techniciens ou font partie de groupement, ils sont toujours en interactions et ont de nombreux interlocuteurs, il faut juste qu’ils se reconnaissent en tant qu’expert. »
Sur le site "agrifind.fr" une quarantaine d’offres de conseil étaient visibles à la mi-juin. Aucun échange n'avait encore été réalisé via cette plateforme. Les fondateurs espèrent en tout cas que ces conseils spécifiques bénéficieront au plus grand nombre. Des fiches techniques sont mises en ligne et des offres de formations sont également proposées. La start-up en est encore à ses balbutiements mais le principe est lancé.