Traitements sur grandes cultures : la pression réglementaire s’accentue
Réévaluations, critères d’exclusion, phytopharmacovigilance, dérogations… les produits phytosanitaires sont soumis à des contrôles réglementaires drastiques qui pèsent de plus en plus sur leurs utilisations. À la clé, la remise en cause de certains usages et la disparition programmée de spécialités parfois très utilisées.
Réévaluations, critères d’exclusion, phytopharmacovigilance, dérogations… les produits phytosanitaires sont soumis à des contrôles réglementaires drastiques qui pèsent de plus en plus sur leurs utilisations. À la clé, la remise en cause de certains usages et la disparition programmée de spécialités parfois très utilisées.
Ça sent le sapin pour le chlorothalonil. Ce fongicide est largement utilisé en céréales pour son efficacité sur les maladies foliaires et parce qu’il ne rencontre aucune résistance de la part des pathogènes au contraire de beaucoup d’autres molécules (triazoles, strobilurines, SDHI…). Mais le 22 mars 2019, la Commission européenne a décidé de ne pas renouveler l’approbation de cette substance active. Deux éléments lui ont été fatals : la présence de métabolites indésirables issus de sa dégradation dans les eaux et le nouveau classement cancérigène C1B proposé pour cette molécule par l’Efsa(1).
Après une première approbation en vue de leur mise en marché, toutes les molécules phytosanitaires font l’objet de réexamens par les instances européennes, généralement à l’issue d’un délai de dix ans. Ces études prennent en compte les évolutions de la réglementation et/ou de nouveaux éléments scientifiques sur la molécule portés à la connaissance des experts. Pour le chlorothalonil, la date d’expiration de l’approbation était fixée au 31 octobre 2018. Les instances européennes se devaient donc de se prononcer dans les meilleurs délais sur le renouvellement ou non de son autorisation.
Nombreuses sont les molécules passées à la trappe dans le cadre de leur examen pour leur réapprobation. Récemment, des matières actives comme le manèbe, l’isoproturon, le linuron, le thirame ou le diquat ont vu leur approbation non renouvelée car elles n’ont tout simplement pas été soutenues par l’une des firmes commercialisant des produits contenant ces molécules. Un dossier d’autorisation doit être porté par une firme phytosanitaire : c’est un minimum pour obtenir son examen.
Retrait de produits à l'efficacité avérée sans solution de rechange
Deux cas récents, le diquat et le thirame, montrent que les agriculteurs vont devoir se passer de produits à l’efficacité avérée alors que les solutions de remplacement ne leur apporteront pas la même satisfaction. Pour le diquat (herbicide), les producteurs de pommes de terre ont obtenu de l’Anses (agence française de sécurité sanitaire) un délai pour l’utilisation des stocks de défanants à base de cette molécule (Réglone 2, LS Diquat…) jusqu’au 4 novembre 2019, informe Arvalis dans son document Choisir Pomme de terre. Après cette date, le défanage du tubercule se résumera à l’utilisation d’un broyeur et à l’emploi de produits à action simplement dessiccante (pyraflufen-éthyl, carfentrazone, acide pélargonique).
Quant au thirame, 2019 est aussi sa dernière année d’utilisation sur des semis. « Cette matière active est largement utilisée en traitement de semences de maïs pour ses propriétés fongicides et répulsives des corvidés, précise Arvalis. Contre les volatiles, il ne restera que le zirame dont l’inscription au niveau européen arrive à échéance en avril 2019. »
Les conditions de mise sur le marché des produits phytosanitaires ont été renforcées avec l’instauration de critères dits d’exclusion (cut-off criteria) depuis juin 2011. Si une substance est reconnue comme mutagène, cancérogène, toxique pour la reproduction ou comme perturbateur endocrinien, elle ne peut être approuvée. Ces paramètres sont étudiés lors du réexamen des substances actives, ce qui explique une part des non renouvellements, comme ce qui est en cours pour le chlorothalonil avec son classement cancérigène C1B.
Pas de sursis pour les néonicotinoïdes
Ainsi, le classement de l’époxiconazole (R1-H360D : peut nuire au fœtus), fongicide phare des céréales en son temps, va conduire à son exclusion. « Sa réévaluation doit être finalisée en 2019 (30 avril), date à laquelle la molécule ne sera pas réapprouvée, analyse Arvalis. Il est toutefois probable qu’en raison des retards accumulés, la date de décision de non réapprobation au niveau de l’Europe intervienne plus tard. Mais pour la France, BASF prépare un approvisionnement adapté pour le seul besoin des agriculteurs pour le seul printemps 2019. » D’autres fongicides vont disparaître des champs de céréales ou ont déjà été retirés : propiconazole, fenpropimorphe, picoxystrobine…
Ces retraits concernent aussi les autres familles, herbicides et insecticides. Parmi ces derniers, les néonicotinoïdes ont été interdits au champ par décision des ministres d’État faisant suite à la proposition de la Commission européenne fin avril 2018. Pourtant, les trois molécules concernées n’étaient pas dans un processus de renouvellement d’autorisation et ne présentaient pas de critères d’exclusion. Mais l’Efsa a présenté de nouvelles études montrant les risques aigus et chroniques élevés pour les abeilles avec l’usage de ces molécules au champ. Les modifications des conditions d’approbation sont une des situations pour lesquelles des retraits d’usages peuvent être décidés.
Des dérogations limitées aux situations "d'urgence sanitaire"
Les interdictions des néonicotinoïdes prises au niveau européen en 2018 laissaient la possibilité aux États membres de prendre des dérogations pour certains usages sur une durée limitée. La filière maïs espérait en obtenir une en France pour le traitement de semences Sonido pour 2019 mais elle n'y est pas parvenue. Les dérogations sont devenues l’exception en grandes cultures dans l'Hexagone. Elles peuvent être délivrées par le ministère de l’Agriculture pour une autorisation de mise en marché d’une durée maximale de 120 jours « en situation d’urgence sanitaire ». Sur la campagne 2018-2019, une seule autorisation a été donnée à la date du 14 mars 2019, pour un fongicide en traitement de semences de la betterave industrielle.
Les dérogations 120 jours avaient fait polémique il y a quelques années quand l’organisation Générations Futures s’était insurgée, considérant qu’elles étaient délivrées trop facilement pour des produits jugés dangereux. Fini le temps où des dérogations revenaient régulièrement chaque année pour les mêmes spécialités : Mocap 15 G, Dursban 5G… L’époque est définitivement aux restrictions d’usage sur les produits phytosanitaires.
(1) Autorité européenne de sécurité des aliments.Europe et États se succèdent dans les évaluations
Pour l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché (AMM), un produit phytosanitaire suit plusieurs étapes, à commencer par l’approbation de la substance active au niveau européen. Cela a été le cas en mars dernier par exemple du méfentrifluconazole, nouveau fongicide de BASF présenté sous la marque Revysol(1). Mais aucun produit contenant cette molécule n’est homologué en Europe pour le moment. La société doit déposer des demandes d’AMM dans les États où elle souhaite commercialiser sa spécialité. En l’occurrence, l’Union européenne est découpée en trois zones : Nord, Centre et Sud. L’obtention d’une AMM dans l’un des pays d’une zone s’étend au reste des pays par une procédure simplifiée de reconnaissance mutuelle. En France, c’est l’Anses(2) qui est chargée, entre autres, d’examiner les demandes d’AMM.
(1) L’approbation d’une matière active s’accompagne également de celle d’un produit type contenant cette molécule au niveau européen.(2) Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail.
Le glyphosate sous pression de toutes parts
Le glyphosate a eu « la chance » de voir renouvelée son approbation européenne en décembre 2017, mais pour cinq ans seulement et non pour dix ans comme c’est l’usage. Certains produits à base de glyphosate qui comportaient comme co-formulants des tallowamines avaient de toute façon été définitivement exclus sur décision européenne auparavant car les conditions d’approbation à leur égard avaient été modifiées. D’autre part, 132 des produits à base de glyphosate ont été retirés du marché français car les fabricants n’avaient pas déposé de demandes de renouvellement d’autorisation. Enfin, des États tels que la France ont décidé d’interdire certains usages pour l’herbicide total avant la date fatidique de 2022, en relation avec des orientations décidées au niveau national sur la pratique de l’agriculture. Mais le glyphosate attend encore d’être officiellement interdit au niveau européen. En 2022, la Commission européenne devra à nouveau se prononcer sur le renouvellement ou non de l’approbation de l’herbicide.
Des interdictions nationales pas seulement en France
La France n’est pas le seul pays à adopter des mesures unilatérales aboutissant au retrait de produits phytosanitaires ou à des restrictions d’usage. Exemple parmi d’autres, le Royaume-Uni a décidé en décembre 2018 d’interdire au champ l’utilisation d’antilimaces à base de métaldéhyde, pour cause de risque non acceptable pour les mammifères et oiseaux sauvages. La présence de cette molécule dans les eaux est également mise en avant par le gouvernement britannique. La mesure va entrer en vigueur en 2020.