En chiffres
Profiter des aides avant qu’il ne soit trop tard
Dans le Gers, Fabrice Furlan a entamé en 2015 la conversion en bio de la presque totalité de ses 140 hectares. Cette année, il s’apprête à engranger sa première récolte de soja bio. Il est très positif… Malgré des aides qui ne sont pas à la hauteur de ses attentes.
En 2014, cela faisait plus de dix ans que j’étais installé et je commençais à m’ennuyer en conventionnel », explique Fabrice Furlan, qui exploite 140 hectares à Encausse, dans le Gers. Entraîneur de rugby, fan d’Instagram, l’agriculteur, âgé de 41 ans, est en recherche permanente de nouveautés et de stimulation, tant dans sa vie privée que dans son métier. En 2015, la région ouvre en grand les portes de la conversion en bio, sans fixer de plafond. Il décide de se lancer. « C’était le moment où jamais : nous étions accompagnés, ce ne serait peut-être pas toujours le cas», décrit-il. Fabrice Furlan vit ce tournant « comme une seconde installation, un nouveau challenge ». C’est aussi pour lui une façon de sécuriser ses revenus avec des débouchés moins volatiles, un souci qui l’habite depuis plusieurs années. « Avant 2007, nous avions beaucoup de blé dur, du soja irrigué, un peu de tournesol et de l’ail violet, se remémore-t-il. On travaillait mais on ne savait pas vraiment pourquoi ! Puis il y a eu la flambée des prix de 2007. 2008 a suivi, une bonne année aussi… Et en 2009, j’ai failli mettre la clé sous la porte. » De très mauvais rendements le mettent en difficulté, alors qu’il vient d’investir dans des enrouleurs et du foncier. Pour s’en sortir, il arrête le maïs, revend ses enrouleurs, repart sur du tournesol, développe l’ail… Le calcul s’avère pertinent mais l’exploitant n’est pas satisfait. « Le blé dur est une culture un peu 'Las Vegas', capable de donner le pire comme le meilleur », explique-t-il. Pour limiter les risques, il augmente la sole d’ail, qui finit en 2012 par lui procurer autant de chiffre d’affaires que les céréales. «Je me suis dit que je me mettais en danger car le marché de l’ail est très fragile, se souvient-il. Et ça n’a pas manqué, je me suis pris une très grande claque en 2013, avec une mauvaise récolte et un effondrement des cours ! » En quête d’alternative, l’agriculteur s’oriente vers le noisetier, dont il implante 20 hectares (voir encadré). Son passage au bio s’inscrit dans cette même logique de productions moins généralistes, plus diversifiées et plus rémunératrices.
Un investissement en matériel de l’ordre de 100 000 euros
La transition vers le bio ne s'est pas faite à coût constant. L'agriculteur a certes revendu son pulvérisateur (18 000 euros), mais il a aussi dû s'équiper. « J’ai investi autour de 100 000 euros », précise-t-il. Outre deux nouveaux enrouleurs pour sécuriser l’irrigation, il a acheté neuves une herse étrille et une bineuse équipée d’une caméra. « Cela m’a coûté 45 000 euros mais je ne regrette pas : la herse étrille s’est montrée d’une efficacité redoutable sur soja, une culture qui, il est vrai, est facile à nettoyer. » L'exploitant a aussi acquis d’occasion pour 30 000 euros un déchaumeur à disques, une charrue déchaumeuse et un tracteur. Et il a opté pour des jumelages de roues étroites, ainsi que pour une coupe flex d’occasion pour la moissonneuse-batteuse qu’il a en Cuma. Objectif : éviter de ramasser de la terre avec le soja.
En C1, récolte 2015, l’agriculteur a misé sur des cultures d’hiver, méteil et blé tendre qu’il a pu traiter jusque début mai, démarrage officiel de sa conversion. Il n'empêche : « j’ai eu beaucoup de maladies sur mes 47 hectares de blé tendre, du Bologne, et je n’ai fait au final que 4,7 tonnes/hectare», observe-t-il. Quant au méteil, pour moitié un mélange pois/orge rustique conseillé par son technicien d’Agro d’OC et pour moitié une association blé/féverole sur son initiative, les performances ont été mitigées. «Le premier a donné de très bons résultats, avec 43 quintaux/hectare… mais la seconde n’a produit que 22 quintaux/hectare !, relève-t-il. Cela m’a fait perdre 14 000 euros de chiffre d’affaires, surtout à cause des attaques de rouille. » Grâce à des produits de respectivement 955 euros/hectare et 1100 euros/hectare, ses 21 hectares de maïs pop corn et ses presque 10 hectares de blé dur lui ont permis de se rattraper. Pour cette première année en conversion, Fabrice Furlan a enregistré un chiffre d’affaires de 334 000 euros, hors aides non versées (voir encadré). En C2, l’exploitant s’est concentré sur le méteil pois/orge (27 ha), le tournesol, à 12 quintaux/hectare seulement, vendu en conventionnel faute d’intérêt du marché pour du C2, et sur le soja, à 33 quintaux/hectare rémunérés 550 euros la tonne. « Je commercialise tout chez Grains d’Oc, qui a embauché une commerciale spécialisée dans le bio, observe-t-il. Elle nous a trouvé des marchés intéressants pour l’orge, mais également pour les autres produits, y compris le méteil. Il me reste quand même un peu de soja C2, qui a du mal à partir. » Bilan, en 2016 Fabrice Furlan a réalisé 204 000 euros de chiffres d’affaires, hors aides non versées. « C’est moins qu’en conventionnel, bien sûr, mais en bio, le chiffre d’affaires représente quasiment la marge puisqu’il y a très peu de charges. Et pour cette deuxième année, je n’avais pas droit au prix du bio. » L'optimisme est de mise, d'autant plus que l'agriculteur pourra valoriser au prix fort dès cette année les cultures de printemps implantées après le début mai.
Voir grand pour pouvoir embaucher et gagner en efficacité
« J’ai prévu 60 hectares de soja bio, note l’exploitant. Je peux irriguer toutes mes terres, or dans ces conditions, c’est le soja qui en marge brute remporte la mise. » Fabrice Furlan va également produire 15 hectares de semences de maïs. « Ça peut sembler beaucoup pour un coup d’essai, mais j’en ai déjà fait en conventionnel, et surtout, c’est la taille critique pour pouvoir embaucher de la main-d’œuvre », note-t-il. Aujourd’hui, l’agriculteur travaille avec son père, qui continue de l’aider malgré ses 69 ans, et un jeune en contrat pro. « Je souhaite développer l’ail bio ou me lancer dans des légumes de plein champ, je ne sais pas encore, mais ce sera à une échelle suffisante pour embaucher un ouvrier ou avoir un associé, explique-t-il. Il faut inscrire ce type de production dans la durée, donc faire du volume pour pouvoir se payer. Sinon, ça ne vaut pas le coup. »
Fabrice Furlan compte également « professionnaliser » ses installations de stockage, pour pouvoir stocker toutes ces productions, y compris les plus petites, afin de gagner en valeur ajoutée. « Ce sera probablement la prochaine étape : je pense à utiliser des caisses à camion ou des silos à fond conique pour l’alimentation animale », indique-t-il. C'est un gros investissement qui passe, entre autres, par l'acquisition d'un séparateur. « Je cherche la formule ! Pour l’instant, j’ai eu une proposition qui incluait tout mais à 250 000 euros, c’est trop cher. » Fabrice Furlan n’est en tout cas pas en peine de projets. Il réfléchit déjà à l’éventuelle implantation sur sa ferme d’un atelier d’élevage… Des poules en pâture, peut-être bien. À suivre.
36 000 euros d’aides en attente
Pour l’instant, Fabrice Furlan porte un regard très positif sur sa conversion : challenge technique, abandon des produits phytosanitaires, meilleurs rapports avec ses voisins non agriculteurs, marché du C2 plus porteur que prévu en 2016… Seul point noir : les aides. « Je devais toucher 37 000 euros par an. Pour 2015, je n’ai eu que 20 000 euros et 18 000 euros pour 2016. Il me reste à percevoir 36 000 euros sur ces deux années… Je ne sais pas si je les aurais un jour ! » L’agriculteur fait partie du collectif « Fermes sur nos fermes » qui a décidé de réagir face à ce changement de règle du jeu. La bataille n’est pas gagnée…
140 hectares dans le Gers
60 ha de soja irrigués et 15 ha de semences de maïs vendus en AB à la récolte 2017
37 ha de mélange orge et pois encore en C2 en 2017
7 ha de semences pour 2018 (blé, lentilles, pois vert)
1,5 ha de tournesol ou de légumes de plein champ
20 ha de noisetiers en conventionnel
Des noisetiers en conventionnel
« En 2007-2008, j’ai investi dans du matériel, ce qui n’a, au final, rien donné, alors je me suis dit qu’il fallait penser autrement, explique Fabrice Furlan. En 2014, je me suis donc lancé dans un investissement productif, les noisetiers. » C’est après avoir rencontré plusieurs producteurs et s’être renseigné sur les perspectives, prometteuses, que l’exploitant signe un contrat avec Unicoque, leader français du secteur basé dans le Lot-et-Garonne. « Les arbres commencent à produire au bout de 4 à 5 ans, et je me suis engagé auprès d’Unicoque sur 20 ans, précise-t-il. Cela m’a permis d’être suivi par les banquiers. Plants, goutte-à-goutte, main-d’œuvre, clôtures et protection… c’est un investissement de l’ordre de 10 000 euros/ha ! » Si l’agriculteur n’a pas converti ces hectares-là en bio, c’est à cause du balanin, un charançon redoutable, très dur à éradiquer en bio. « Mais j’ai beaucoup hésité, reprend-il. La région proposait tout de même 900 euros/hectare d’aide pour une conversion de ce type… »
Quatre cultures minimum et des légumineuses
« L’un des principaux écueils que nous constatons chez les agriculteurs qui se convertissent en bio, c’est une rotation inadaptée. Dans notre région, il faut avoir un minimum de quatre cultures, réintégrer des légumineuses, et alterner deux cultures d’été avec deux cultures d’hiver. Une rotation assez typique se compose de deux sojas suivis d’une lentille et d’une céréale à paille, avec un couvert de féverole en interculture longue, et les repousses en interculture courte. Cela permet d’économiser sur les engrais, qui sont un vrai problème et se vendent au moins trois fois plus cher qu’en conventionnel. Autre point clé : l’irrigation, qui doit être possible sur toute la ferme. En sec, c’est très compliqué.
Il est également impératif de s’équiper d’une bineuse et d’une herse étrille en propre, car les fenêtres de tir pour intervenir sont réduites. Le désherbage est un point crucial. Il faut prévoir un mois et demi de travail très intensif sur mai et juin. Tout se joue là et à l’implantation : il faut semer sur une parcelle parfaitement propre, pour que la culture puisse prendre très vite le dessus sur les adventices. Sinon, on ne s’en sort pas. »
L’Occitanie championne des grandes cultures bio
Avec un peu plus de 20 000 hectares encore en conversion, selon l’agence Bio, l’Occitanie enregistre 45 000 hectares de céréales bio.
Loin devant ses consœurs, l’Occitanie compte 26 % des surfaces en grandes cultures bio. La Région a aidé puisqu'elle a ouvert sans limite le robinet des aides à la conversion en 2015… avant toutefois de le refermer partiellement ensuite (voir en page xx). "La baisse des cours du blé dur, du tournesol, du colza et du maïs depuis 2013 a compté également, indique Élisa Delporte, conseillère chez Cerfrance qui a réalisé avec la chambre d’agriculture régionale une étude publiée ce printemps sur les résultats économiques des fermes de grandes cultures bio de la région. Mais le bio s’est développé plus particulièrement dans le Gers, où les rendements moyens sont faibles et les cultures spéciales peu nombreuses. »
Des structures plus résilientes en année difficile
Les exploitations qui se sont converties depuis dix ans font en moyenne 107 hectares, quasiment comme les fermes conventionnelles. Depuis deux ans, elles sont plutôt plus grandes : « elles ont entre 150 à 170 hectares et passent intégralement en bio », note Marie Guihamoulat, chez Agro D’oc. Plus diversifiés, les assolements sont plus riches en oléoprotéagineux et en luzerne fourragère. La vente en circuit long est très largement majoritaire. Selon l’étude, les structures en bio ont mieux résisté que les autres aux conjonctures difficiles de 2013 et 2014, grâce à des prix plus constants et à des charges opérationnelles plus faibles. De fait, celles-ci sont en moyenne de 233 euros/hectare contre 416 euros/hectare en conventionnel. Les charges de structure sont cependant plus fortes en raison de la mécanisation : « les agriculteurs doivent s’équiper en outils de travail du sol et les subventions ont poussé à l’achat individuel », note Élisa Delpporte. Mais le différentiel avec le conventionnel n’est que de 110 euros (913 €/ha contre 803 €/ha).
D'après l’étude, les exploitations bios les plus performantes optimisent mieux la main-d’œuvre : « dans le groupe de tête, 1 UTH(1) gère 94 hectares, mais seulement 63 hectares dans le groupe de queue », indique la conseillère. Ce sont aussi celles qui enregistrent les meilleurs produits. « Quand on passe en bio, il faut absolument continuer à produire et viser des rendements corrects, pas seulement un niveau de prix », insiste Élisa Delporte.
(1) Unité de travail horaire.