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Produits phytosanitaires : pourquoi n'y a-t-il plus d'innovations en solutions chimiques conventionnelles en France et dans l'UE ?

Avec une réglementation de plus en plus exigeante face à la dangerosité des produits, les solutions chimiques disparaissent les unes après les autres et l’innovation, qui se limite au biocontrôle, ne pallie pas ces retraits. État des lieux dans le monde, en Europe et en France.

L’adepydin ou l’isoflucypram en fongicide céréales, le cinméthylin en herbicides… quelle sera la prochaine matière active chimique homologuée dans l’Union européenne pour les traitements phytosanitaires ? Il n’y a pas eu de nouvelles homologations de molécule chimique conventionnelle depuis 2019. Des substances ou organismes de biocontrôle sont autorisés depuis mais ils ne compensent pas le retrait de substances actives.

Le manque de nouveautés en molécules chimiques phytosanitaires est-il propre à l’Union européenne ou est-ce un phénomène mondial ? Simon Cheylan, directeur général d’Adama, relaie les données compilées par le cabinet AgbioInvestor : « le rythme d’introduction de nouvelles substances actives dans le monde avait atteint 129 dans la décennie 1990. Elle est descendue à 45 entre 2010 et 2020. Nous ne pouvons plus compter sur l’innovation moléculaire pour le marché phytosanitaire ».

La société Adama s’est fait une spécialité des nouvelles formulations sur des produits génériques hors brevets dont la part de marché augmente au fil des ans. Les produits avec des molécules sous brevets ne concernent plus que 16 % du marché des produits phytosanitaires dans le monde en 2022 contre 30 % dix ans plus tôt, selon AgbioInvestor. L’évolution est encore plus flagrante en Europe et en France : on est passé de 38 % (41 % en France) à 17 % de produits sous brevet dans le même laps de temps.

La réglementation la plus sévère au monde sur les phytos

Quelles sont les raisons de ce recul important sur le Vieux Continent ? « Faire une demande d’homologation pour une nouvelle matière active est devenu très compliqué dans l’Union européenne avec le niveau d’exigence requis. Beaucoup de substances actives ne passent plus les critères de danger européens, notamment sur les tests toxicologiques », note Léonard Berthomier, directeur du service homologation de la société Syngenta France. « Nous avons la réglementation la plus sévère au monde, renchérit Philippe Michel, directeur des affaires réglementaires et juridiques chez Phytéis. Entre le moment où l’on découvre une solution chimique potentielle et son arrivée sur le marché, il s’écoule plus de douze ans, au lieu de moins de dix ans auparavant. »

L’adepydin, molécule fongicide de Syngenta proposée en 2016, n’a toujours pas reçu d’homologation des instances européennes, de même que le cinmethylin (2018), herbicide de BASF. « Nous attendons l'approbation pour l'adepydin pour le deuxième semestre de cette année et, ainsi, nous pourrions programmer un lancement commercial en 2027 », espère Léonard Berthomier. Le produit est homologué dans plus de 50 pays dans le monde, dont le Royaume-Uni. Quant au cinmethylin, cet antigraminées est utilisé outre Manche sous le nom commercial de Luximo. BASF l'espère pour 2026 dans l'Union Européenne.

Quelques innovations apparaissent malgré tout en Europe chaque année, classées dans les produits de biocontrôle. « Mais même ce type de solutions a du mal à percer, ces substances étant soumises aux mêmes exigences que celles conventionnelles, constate Léonard Berthomier. Il faudrait rapidement une nouvelle réglementation adaptée. »

Des substances actives sont approuvées en Amérique, en Asie, pas en Europe

« Un dossier d’homologation coûte de plus en plus cher : des centaines de millions d’euros pour une substance active, chiffre Michel Urtizberea, responsable du service homologation de BASF en France. Par ailleurs, les réhomologations de nos spécialités consomment beaucoup de ressources financières et humaines, au détriment des dossiers sur les nouvelles substances actives. Des substances sont approuvées en Amérique, en Asie, pas en Europe. » Les sociétés phytosanitaires affirment consacrer toujours autant de moyens à la recherche de nouvelles solutions phytosanitaires.

Dans l’Union européenne, l’homologation d’une molécule est du ressort des instances européennes (Efsa) et, quand elle est acquise, la société phytosanitaire peut déposer des demandes d’autorisation de mise en marché (AMM) de ses produits commerciaux comportant la molécule dans chaque État membre. En France, les demandes se font auprès de l’Anses, Agence nationale de sécurité sanitaire. La protection de la santé et de l’environnement prime dans l’étude des dossiers. Rappel : avant 2015, la DGAL (ministère de l'Agriculture) instruisait ces dossiers puis il y a eu transfert des compétences à l’Anses.

Un taux d’échec important dans les demandes d’autorisations de mise en marché

Le délai d’instruction d’un dossier d’AMM est de dix mois pour évaluer une demande, mentionne un document de l’Anses. « Il peut être ajouté six mois s’il y a un besoin de complément d’informations, selon les textes communautaires. Mais l’Anses n’applique pas cette règle », informe Philippe Michel. L’agence l’a mise de côté dans le but d’accélérer l’instruction des dossiers et de tenir les délais plus facilement. D’autres pays acceptent les compléments d’information. « Dans les faits, les délais d’instruction sont un peu plus courts qu’avant mais avec un taux d’échec beaucoup plus important, relève Léonard Berthomier. Des informations complémentaires sont souvent nécessaires pour l’Anses, ce qui nécessite alors de déposer à nouveau un dossier avec des mises à jour. » En effet, l'Anses n'applique pas la règle des six mois supplémentaires pour apporter de nouveaux éléments. « Au final, il y a une perte d’accès à l’innovation pour les agriculteurs, selon l'expert de Syngenta. Par exemple, des nouveaux herbicides antigraminées à base de pinoxaden ont essuyé un refus alors que leurs demandes d'autorisation ont été acceptées dans des pays voisins. »

L’évaluation d’un dossier en France demande plus d’études que dans tout autre pays européen. La situation du pays en est la raison, à cheval sur deux zones géographiques Nord et Sud selon une délimitation dans le règlement européen N° 1107/2009, ce qui nécessite par exemple le double d’études sur les résidus des produits par rapport à un pays situé dans la zone Nord (l’Allemagne, par exemple) ou la zone Sud (l’Espagne, l’Italie…). Par ailleurs, la France regroupe une grande diversité de situations agropédoclimatiques. En conséquence, l’évaluation du risque pour les eaux souterraines et superficielles requiert l’application d’une liste conséquente de scénarios pour la constitution du dossier, bien davantage qu’en Espagne par exemple. Une évaluation manque pour un des scénarios de risque dans le dossier d’AMM et celui-ci doit être redéposé. Ces spécificités figurent bien dans les textes du règlement européen : il ne s’agit pas de surtransposition de la part de la France dans les évaluations des AMM.

Un principe de reconnaissance mutuelle entre pays qui ne fonctionne pas

Un dossier peut être déposé dans un autre pays européen de la même zone (Sud) que l’Hexagone, avec une possibilité de reconnaissance mutuelle en France, ce qui raccourcit la procédure à trois mois. « Dans les faits, cela fonctionne difficilement, observe Philippe Michel. Souvent, des études complémentaires sont demandées, avec parfois de nouvelles exigences décidées pendant le déroulement de l’instruction du dossier par un État membre. » Léonard Berthomier confirme : « C’est une procédure qui n’aboutit que trop rarement en France. Nous l’utilisons très peu. »

Pour ajouter à la complexité, des arrêtés franco-français ont été pris, rendant l’usage des produits phytosanitaires et l’évaluation des dossiers plus compliqués. C’est le cas de l’arrêté de 2021 relatif à la protection des abeilles et autres insectes pollinisateurs qui se traduit par des études complémentaires demandées aux détenteurs d’AMM pour l’autorisation d’usage de leurs produits. Il en est de même de l’arrêté « riverains » de 2022 appliquant des distances de sécurité ainsi que de l’arrêté « mélanges » interdisant l’association de produits s’ils comportent certaines phrases de risque communes. « On a créé des dispositions nationales spécifiques à la France, qui n’existent pas au niveau européen, relève Philippe Michel. Cela entraîne une charge de travail d’évaluation en plus, indépendante du cadre européen classique d’évaluation de dossiers. »

Des dérogations possibles annuellement en cas d’impasse technique

Quand un produits n’a pas reçu d’autorisation de mise en marché en France, une dérogation de 120 jours peut être demandée à condition que les substances actives que contient la spécialité soient homologuées en Europe, qu’elles ne soient pas classées CMR (cancérogène, mutagène, reprotoxique), ni comme perturbateur endocrinien. Cette dérogation pallie généralement une impasse technique contre un bioagresseur. Les instituts techniques et les syndicats interprofessionnels portent ces dossiers de demande auprès du ministère de l’Agriculture. Ainsi, des dérogations sont obtenues chaque année comme pour le produit Movento contre les pucerons sur betteraves (demande pour la pomme de terre), Minecto Gold contre les méligèthes en colza, Lumiposa contre la géomyze sur maïs…

EN CHIFFRES

Un peu moins de 3 000 produits phyto en France

420 substances actives approuvées dans l’UE au 29 janvier 2025 dont 37 sont des phéromones contre 502 en 2017. L’augmentation des substances de biocontrôle (plus de 100 en 2022) ne compense pas le retrait de celles de la chimie conventionnelle (moins de 300).

Moins de 100 matières actives sont autorisées sur chaque famille de grandes cultures : 63 en céréales en 2022, 80 sur les autres grandes cultures en 2022(1), 63 en pommes de terre en janvier 2025.

Pas de nouvelles molécules chimiques conventionnelles homologuées depuis 2019, année où il y en a eu 3. Seules des substances (ou organismes) de biocontrôle ou de base ont été approuvées depuis dans l’UE. Exemple : 6 de biocontrôle en 2022 et 1 substance de base(1).

2 971 produits phyto autorisés en France début 2025 dont 512 de biocontrôle et 409 utilisables en agriculture biologique, selon l’Anses (catalogue E-Phy).

(1) Source : Patrice Marchand, Evolution of plant protection active substances in Europe : the disappearance of chemicals in favour of biocontrol agents (Environmental science and pollution research 2023).

<em class="placeholder">graphe sur l&#039;évolution annuelle  du nombre de nouvelles substances actives phytosanitaires en Europe</em>
© Source : P. Marchand

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